Pour qui se souvient de la série fantastique Harry Potter, Voldemort est ce sorcier maléfique, Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom au risque de s’en attirer les foudres.
David Blondeau, pour sa part, voit dans l’ABF plus de bien que de mal, mais ce n’est pas le cas de tous les conseillers.
En effet, si la règle de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) selon laquelle il faut produire cette analyse chaque fois que l’on vend un produit d’assurance est claire, certains conseillers s’en débarrasseraient volontiers d’un coup de baguette magique !
C’est ce qui ressort du plus récent Baromètre de l’assurance de Finance et Investissement, un sondage mené auprès des conseillers en sécurité financière. À la question : Quelle réglementation vous cause le plus de souci et pourquoi ? Une forte proportion a désigné la règle de l’ABF comme étant la pire.
«Ceux qui ont pensé cette réglementation n’ont jamais été sur le terrain. Par exemple, pour assurer un enfant, il faut voir plus large», dit un conseiller sondé.
«L’analyse du besoin est stupide quand on assure un jeune enfant», dit un autre.
«Ce ne sont pas tous les clients qui sont ouverts à partager l’information», conclut un autre.
Quand on lui rapporte ces commentaires, le conférencier et formateur, Yves Lefrançois n’est pas surpris. L’ABF, qui consiste à procéder à une analyse globale du profil financier d’un client avant de lui recommander un produit, est mal connue, mal utilisée, voire esquivée.
«L’analyse des besoins financiers en rebute plusieurs et ça entraîne des comportements discutables dans l’industrie», dit-il.
Par exemple, certains vont croire que, pour se conformer, il suffit de faire signer une décharge à leur client, disant que celui-ci a refusé de donner ses informations. D’autres encore vont le faire sur un coin de table ou «dans leur tête», en omettant de produire un document en bonne et due forme.
«Ça ne veut pas dire que les clients sont mal assurés, entendons-nous bien, mais bon nombre ignorent à quel point ce document a une très haute teneur légale», dit Yves Lefrançois.
L’ABC de l’ABF
Plusieurs représentants autonomes négligent l’ABF, selon le formateur, et c’est parfois par ignorance que la loi a changé pour les assureurs depuis octobre 2014.
Pourtant, la règle énoncée dans l’article 6 de la LDPSF est très claire, affirme Yves Lefrançois. «Elle spécifie qu’on doit faire l’ABF avec le preneur ou l’assuré. Le besoin d’assurance vie vient alors de la perte financière probable lors du décès de l’assuré par rapport aux survivants», explique le formateur.
Par exemple, pour un produit d’assurance pour enfant, il faut analyser la situation financière globale des parents. L’ABF d’un preneur dans le cas où l’assuré est un enfant doit tenir compte de la perte financière que pourrait représenter pour les parents le décès de cet enfant.
«Il n’y a pas que des funérailles à payer… Un parent qui aime son enfant ne pourra pas retourner au travail dans la semaine qui suit le décès. Le véritable besoin, c’est de remplacer son salaire pendant une certaine période», dit Yves Lefrançois.
Certes, les parents qui ont une assurance invalidité peuvent toujours y recourir, mais ils ne voudront peut-être pas attendre d’avoir un billet du médecin et l’aval de leur assureur pour prendre du temps afin de faire leur deuil.
«On peut facilement penser qu’un parent dans cette situation en aura pour au minimum six mois à être sur le carreau. Une année de salaire à assurer, c’est un minimum», dit le formateur.
Toutefois, il faut éviter d’assurer un enfant avant de s’être assuré de la santé financière des parents. Ont-ils eux-mêmes assez d’assurance ? Une fois qu’on a une réponse à cette question, on peut envisager d’assurer un enfant.
Pour David Blondeau, l’objection des produits pour enfant, telle qu’elle est soulevée par les conseillers sondés, n’est en fait que l’arbre qui cache la forêt. C’est cette notion d’analyse des besoins avant de vendre des produits qui ne passe pas dans l’industrie.
Certains conseillers pourraient trouver difficile de refuser de vendre à un client qui ne voudrait pas se soumettre à l’ABF ou dont l’ABF révèle qu’il n’a pas besoin de tel ou tel produit.
«Ça peut être un deal breaker», admet David Blondeau, qui préfère pour sa part se concentrer sur les avantages de le faire. «Les ventes croisées deviennent beaucoup plus fréquentes. Quand on détient plus d’un permis, les gens voient tout ce qu’on peut faire pour eux», dit-il.
Il reconnaît toutefois que si la règle est claire dans son principe, elle l’est moins en pratique, par exemple, en assurance-voyage ou en assurance maladies graves.
«C’est difficile d’analyser les besoins quand on ne sait pas de quelle maladie il s’agira. Et est-ce qu’on va faire toute une ABF pour une assurance-voyage ?» s’interroge le conseiller.
L’approche par produit n’est pas adéquate, dit David Blondeau. «L’ABF doit se faire de façon neutre. On prend tous les renseignements sur le client, on analyse sa situation, et c’est sur cette base qu’on recommandera un produit. On fait l’ABF d’une personne, et non d’un produit. C’est le point de départ d’un dossier.»
Le conseiller préfère en faire plus que moins, réglementation oblige, mais aussi par souci de professionnaliser le métier de conseiller. «Ça a été un domaine un peu cowboy, et là, les gens réalisent qu’ils ont des responsabilités», illustre David Blondeau.
Pour lui, ne pas faire l’ABF serait comme de ne pas payer ses impôts. «Ça peut vous donner de l’argent, mais c’est de l’argent qui ne vous appartient pas. Il y aura une coquille dans le dossier, et tôt ou tard, ça peut vous rattraper lors d’un contrôle.»
Des occasions d’affaires
Pour Christian Lachance, on ne badine pas avec cette règle. «Si mon ordi est en panne et que je ne peux faire l’ABF, je remets le rendez-vous à plus tard», dit ce conseiller en sécurité financière affilié au réseau InfoPrimes.
«Ça permet au client de comprendre pourquoi il prendra tel ou tel montant en capital. Des fois, il a trop de protection sur certains aspects et pas assez dans d’autres, l’ABF permet de doser son portefeuille», dit Christian Lachance.
Il ajoute qu’il est très rare que l’analyse ne fasse pas ressortir d’autres besoins que celui pour lequel il est consulté au départ.
«L’augmentation des ventes est l’avantage numéro un de l’ABF», renchérit Yves Lefrançois.
«Je donne toujours l’exemple des banques. La TD, par exemple, vend énormément d’assurances maladies graves. Pourquoi ? Simplement parce qu’elle l’offre ! Si on fait une ABF dans les règles et qu’on démontre un besoin en assurance maladies graves, ça se pourrait qu’on en vende de temps en temps», mentionne le conférencier.
Selon lui, bien menée dans tous les dossiers, l’ABF fait même augmenter la valeur du bloc d’affaires. Elle tient aussi à l’abri des poursuites. «En placement, votre client ne va pas vous poursuivre s’il n’a pas le revenu qu’il souhaitait à sa retraite. En assurance, oui. Si vous ne vendez pas suffisamment d’assurance à quelqu’un qui en avait les moyens, vous pouvez être poursuivi pour avoir mis à risque le patrimoine d’une famille. Sans ABF, ce n’est pas possible de le savoir.»
Pour Yves Lefrançois, les excellents vendeurs intègrent l’ABF naturellement dans leur pratique. «Si on prend des raccourcis, on n’est pas un bon vendeur. On vend de l’assurance comme on vend une voiture.»