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La bourse chinoise dit-elle au reste du monde des choses qu’on ne sait pas au sujet du choc de COVID-19?

Les pronostics quant à l’impact du virus sur l’économie chinoise variaient considérablement. Avant l’épidémie, la plupart des prévisions parlaient d’une croissance qui se situerait entre 5,5% et 6%. Or, un analyste prévoyait au début de février une chute en récession à la fin de 2020 pour l’économie qui meut 40% de l’économie mondiale.

D’autres économistes parlaient d’une croissance qui fléchirait à 2%, d’autres encore, à 4%. Les plus optimistes entrevoyaient une croissance qui réussirait quand même à surpasser la barre de 5%.

Faire le tri

Devant de si larges écarts de prévision, Finance et Investissement a choisi d’aller plus près du terrain auprès d’observateurs susceptibles de connaître en profondeur le terreau chinois. Tout n’est pas rose auprès de ces interlocuteurs, mais leurs observations portent à croire que les prévisions plus optimistes pourraient s’avérer les plus justes.

Ambassadeur du Canada en Chine de 2012 à 2016, Guy Saint-Jacques garde de nombreux contacts sur le terrain avec lesquels il est constamment en lien. Son pronostic d’une croissance de 4,2% pour 2020 est le plus pessimiste de ceux que nous avons récoltés auprès de quatre spécialistes. Nous nous sommes entretenus avec l’ex-ambassadeur le 4 mars dernier.

Le chiffre qui ébranle le plus les observateurs est celui des indices PMI manufacturier et non manufacturier, pour l’anglais purchasing managers index, aussi connus sous le vocable d’indices des directeurs d’achat. Le premier, rapporte Guy Saint-Jacques, est tombé à un niveau record de 35,7 en février dernier, plus bas que les 38,8 enregistrés au plus creux de la crise financière de 2008.

Quant au PMI non manufacturier, qui mesure l’activité dans la construction et les services, sa lecture s’est avérée plus inquiétante encore : il est tombé à 29,6, écrasant pour la première fois la barre de référence de 50.

Même au plus fort de la crise de 2008, cet indice n’était pas tombé en contraction négative, demeurant bien au-dessus à 50,8. Cette lecture s’est avérée particulièrement troublante pour une économie dans laquelle les services représentaient 54% de l’activité économique en 2019 et 59,4% de la croissance.

Ces indices traduisent des chaînes de production de biens et de services qui, au plus fort de la crise, ont été paralysées par l’épidémie, des dizaines de millions de travailleurs, des millions d’entreprises, immobilisés. Mais la situation se redresse rapidement, juge Mark Kruger, fellow de recherche senior au Yicai Research Institute à Shanghai, précédemment conseiller senior au bureau international de la Banque du Canada.

Il faut se rappeler que c’est dans la province de Hubei que la crise s’est concentrée. « Alors que la nombre de cas déclarés y dépassait 50 000 en février, signale Mark Kruger, nous sommes maintenant passés à 23 000 (au 6 mars). Or, cette province, où 96% de la population chinoise vit, les cas confirmés se sont stabilisés voici un bon moment. Le nombre de cas confirmés a chuté d’un pic de 9 000 en février à moins de 1 200 hier (le 5 mars), et 90% de ceux qui avaient contracté le virus sont guéris, le taux de mortalité étant de moins de 1%. »

Reprise économique

Par ailleurs, l’activité économique reprend doucement. « Bien que tout ne soit pas revenu à la normale, nous avons vu des rapports de multiples sites manufacturiers où les gens retournent au travail », rapporte Jia Wang, directrice adjointe du China Institute, de l’Université d’Alberta.

Au National Bureau of Statistics, on calculait au 25 février dernier que 79% des grandes et moyennes entreprises étaient de retour au travail, jugeant que ce pourcentage monterait à 91% à la fin de mars. Au 6 mars, rapporte le groupe médiatique Yicai Global, 90% des 12 861 firmes de haute technologie de Shanghai avaient repris le travail.

L’analyse du trafic automobile indique, d’une part, que les gens utilisent leur auto pour aller au travail à l’usine ou au bureau, d’autre part, qu’ils ne circulent pas pour faire leurs emplettes, aller au restaurant ou se divertir. Toutefois, à la fin de février, la consommation de charbon, qui alimente 60% de l’énergie électrique, dont les deux tiers sont consommés par l’industrie, était encore loin de ses niveaux normaux.

Il faut noter aussi que le gouvernement chinois a multiplié les interventions, notamment en contribuant divers stimuli pour un total de 250 milliards de dollars (G$) (plus du quart de cet argent ciblant les PME), en instruisant les banques de faire preuve de plus de souplesse à l’endroit des prêts de PME en détresse, en abaissant les taux d’intérêt tout particulièrement dans certaines régions plus éprouvées.

Cependant, avertit Guy Saint-Jacques, dans un pays où la dette totale (combinant la dette de l’État et celle des entreprises d’État) représente 300% du PIB, « jusqu’à quel point le régime veut-il stimuler l’économie? » En effet, l’abaissement du niveau d’endettement dans l’économie est une priorité du gouvernement, reconnaît Chi Lo, économiste senior chez BNP Paribas Asset Management, à Hong Kong. « Dans le cas où Pékin remettrait à l’honneur cette politique, fait-il ressortir, une croissance de 5% ou moins en 2020 demeure une possibilité. »

Cependant, cet économiste juge beaucoup plus probable que Pékin, considérant l’impact économique du virus, donne toute sa priorité à une relance économique vigoureuse, ce qui, selon lui, ramènerait l’économie à un solide taux de croissance de 5,6% pour l’année.

Au total, les signaux demeurent encore mixtes, mais l’embellie ne fait pas de doute pour trois analystes proches du terrain qui prévoient que la croissance pour l’ensemble de 2020 atteindra au moins 5%. Si c’est le cas, les souffrances éventuelles de l’économie des pays développés seraient beaucoup moins tributaires d’une hypothétique récession chinoise.

Mark Kruger note que « le virus représente un choc sans doute sévère à l’endroit de l’économie, mais ultimement temporaire ». Ainsi, prévoit-il, l’activité économique sera léthargique au total pour le premier trimestre de l’année, accusant un repli de -0,2%, mais les trois prochains trimestres vont retrouver leur niveau normal de croissance entre 1,5 et 2%, permettant de rejoindre au moins 5% pour l’ensemble de l’année.

Est-ce ce choc « sévère mais temporaire » qu’anticipe le marché boursier chinois depuis le début de la crise? Plusieurs facteurs expliquent sa bonne tenue, notamment le supplément de liquidité injectée par le gouvernement qui favorise la bourse en tant que meilleur refuge d’investissement alors que l’immobilier, par exemple, est contraint par des mesures visant à limiter la spéculation.

Cependant, considère Mark Kruger, l’élément déterminant tient aux marchés boursiers chinois qui « ont tôt réalisé que la forte réponse du gouvernement contiendrait la propagation du virus, permettant un impact significatif, mais temporaire. Ailleurs dans le monde, les marchés réagissent au coronavirus comme s’il s’agissait de la grippe espagnole et doutent que la réponse des gouvernements sera efficace. »