Selon lui, les bénéfices d’exploitation de l’ensemble du secteur canadien des valeurs mobilières ont diminué de 13 % en 2015 par rapport à l’année précédente, après deux années consécutives d’augmentation.
Ainsi, bien que les produits d’exploitation des sociétés indépendantes de détail et des sociétés intégrées aient augmenté respectivement de 30 % et de 14 % environ au cours des trois dernières années, les frais d’exploitation ont augmenté en moyenne de plus de 3 % par an de 2012 à 2015 dans le cas des sociétés indépendantes de détail, et en moyenne de 5 % par an au cours de la même période dans le cas des sociétés intégrées. Cette hausse a réduit leur rentabilité.
«Et 53 petites sociétés indépendantes ont perdu de l’argent en 2015, ce qui est presque le tiers de toutes les sociétés indépendantes du secteur. Plusieurs de ces sociétés ont perdu de l’argent au cours des quatre dernières années, et elles ont pu poursuivre leurs activités parce que les associés faisaient constamment des apports en capitaux», indique Ian Russell.
Dans le contexte actuel, il n’est pas étonnant que «les petits cabinets indépendants se trouvent en difficulté ou ne puissent tout simplement plus survivre», constate Jean Morissette, consultant auprès de firmes de gestion de patrimoine, ancien président de Services Financiers Partenaires Cartier et ex-associé fondateur de Talvest.
Traditionnellement, dit-il, les petits cabinets indépendants conservent une marge très faible de la rémunération totale et en redonnent une large part aux représentants. «Il s’agit d’un modèle d’affaires qui est de moins en moins compatible avec la réalité du marché. Dès que les revenus ou les coûts sont touchés, les petits se retrouvent en grande difficulté.»
Les gens semblent refuser de voir les grands changements qui vont marquer l’industrie financière, estime Jean Morissette. Selon lui, on assiste à un bouleversement du modèle d’affaires dans le secteur financier comparable à celui de la musique ou des médias. «C’est vrai pour les banques, les assureurs et les distributeurs, qu’on soit membre de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) ou cabinet en fonds.»
Les indépendants bénéficient toutefois d’un atout majeur : ils s’adaptent, dit-il. Malgré cela, Jean Morissette estime que les petites firmes davantage nichées sont les plus susceptibles de perdurer.
«Lorsque je parle de spécialisation, je n’évoque pas une offre de service particulière, mais plutôt une clientèle bien ciblée, car aujourd’hui, les courtiers ne peuvent plus se permettre de servir n’importe qui», dit-il. Par exemple, les firmes desservant une clientèle plus fortunée ne sont pas frappées selon lui de la même façon que les autres par la baisse de la rémunération, car elles n’ont pas à gérer des milliers de comptes.
Jean Morissette estime qu’il y aura toujours un marché pour les indépendants, à condition que ceux-ci revoient leur modèle d’affaires en misant notamment sur l’automatisation.
La technologie est une avenue qui permet de diminuer ou de stabiliser les coûts fixes, et ainsi, de continuer à servir des comptes plus petits et dont les marges sont plus faibles. Toutefois, selon lui, il s’agit d’une solution qui demeure bien théorique, «car il n’y a en fait que les gros acteurs qui peuvent se payer le développement technologique requis. Les petits acteurs n’ont pas cette alternative de dire : je vais mettre une couple de millions pour me développer un robot conseiller».
Selon Jean Morissette, les indépendants devront se regrouper afin d’avoir accès à certains éléments technos ou de pouvoir se conformer à l’intensification du fardeau réglementaire, car «une économie d’échelle est devenue absolument nécessaire».
Ce constat rejoint les observations de Geneviève Blouin, présidente-fondatrice de la firme Altervest et présidente du Conseil des gestionnaires en émergence (CGE), une organisation regroupant une cinquantaine de firmes actives en gestion de portefeuille dont l’actif sous gestion est inférieur à 1 G$. Selon elle, une saine croissance du secteur financier local ne peut pas reposer uniquement sur de grandes organisations, elle doit aussi miser sur les plus petites, qui sont souvent davantage agiles et innovatrices.
Les entrepreneurs et les gestionnaires ne peuvent toutefois pas avoir de succès tout seuls, constate Geneviève Blouin.
«Un dialogue doit s’établir entre les gestionnaires, puis avec tous les membres de l’écosystème financier, y compris les régulateurs, car tout le monde doit bien comprendre quels sont les enjeux. Par exemple, nous avons d’énormes institutions financières et les règles d’encadrement sont pour la plupart construites en fonction de ces grosses institutions, ce qui tue la relève ou les petites firmes», affirme-t-elle. Cette volonté de faire face collectivement aux enjeux du marché l’a incitée à créer le CGE en 2014.
Investir dans les technologies et la relève sont de bonnes façons de se préparer à l’avenir, indique pour sa part Sophie Palmer, présidente de CFA Montréal, au sujet des initiatives mises en oeuvre par le CGE et par Finance Montréal, dont le Programme des gestionnaires en émergence du Québec (PGEQ). «Ces initiatives sont très importantes pour créer et entretenir un environnement propice à l’éclosion du talent en finance à Montréal.»
«Les petits courtiers de fonds communs de placement sont aux prises avec les mêmes pressions concurrentielles et les mêmes tensions sur les coûts que les petites sociétés de courtage. Ceux qui négocient des fonds communs continueront à s’inscrire auprès de l’OCRCVM pour profiter des économies d’échelle, tirer parti des avantages d’une intégration commerciale et se conformer plus facilement à la réglementation, analyse Ian Russell. À cause de la standardisation et de la nécessité d’économies d’échelle, les fonds d’investissement continueront à se regrouper, alors que les grandes et les moyennes sociétés s’empareront des petits fonds d’investissement.»
C’est pourquoi, selon Ian Russell, le secteur se dirige rapidement vers une scission entre, d’un côté, les grandes sociétés de courtage intégrées, et de l’autre, les grandes sociétés spécialisées indépendantes. Ceci intensifiera la concurrence entre elles, de même qu’avec les franchisés institutionnels, afin de faire affaire avec les investisseurs à revenu moyen et les investisseurs à revenu élevé.