Peu de questions sur les marchés financiers canadiens divisent autant que la vente à découvert. Au début de l’année, l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) a lancé une consultation sur des propositions de modification des règles de négociation visant à renforcer la réglementation en matière de vente à découvert.
Les propositions renforcent principalement les dispositions exigeant des négociateurs qu’ils aient une « attente raisonnable » avant de passer un ordre qu’ils seront en mesure de régler les transactions à découvert dans les délais. Les propositions ajoutent des obligations de surveillance qui soutiennent cette exigence.
Ces dernières propositions ont été présentées à la suite d’efforts répétés pour examiner les plaintes concernant les ventes à découvert abusives et prédatrices. Pour certains acteurs, en particulier certaines petites sociétés de ressources naturelles, il n’y a pas de plus grande menace pour les marchés canadiens que la vente à découvert, avec — selon eux — une réglementation faible par rapport à celle des États-Unis et une application tout à fait inadéquate. En revanche, de nombreux autres acteurs du secteur des valeurs mobilières estiment que les règles existantes sont tout à fait satisfaisantes.
Ces points de vue radicalement différents ont été mis en évidence lorsque le prédécesseur de l’OCRI, l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), et les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont examiné la vente à découvert en 2022. Ils ont conclu qu’il n’y avait « pas de consensus sur le régime réglementaire approprié pour la vente à découvert ». Les régulateurs se sont néanmoins engagés à continuer d’étudier la question et à envisager une action politique.
Ces efforts ont abouti à la dernière proposition de l’OCRI visant à renforcer les attentes en matière de règlement pré-négociation. Comme on pouvait s’y attendre, les réactions sont très partagées.
Pour de nombreux acteurs du secteur de l’investissement, les réformes sont inutiles et non souhaitées.
L’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) soutient que le régime actuel de contrôle des ventes à découvert est satisfaisant et que toute modification entraînerait des coûts supplémentaires sans générer d’avantages.
« Les propositions semblent être une tentative de résoudre un problème qui n’existe pas actuellement sur le marché canadien », affirme l’ACCVM. Elle fait remarquer que la plupart des courtiers voient relativement peu d’opérations échouer, et que les opérations qui échouent sont généralement dues à des raisons administratives plutôt qu’à des comportements de négociation abusifs ou manipulateurs.
L’imposition de nouvelles obligations aux sociétés et aux négociants, qui doivent confirmer qu’ils seront en mesure de régler une transaction avant de passer un ordre, « crée une nouvelle charge importante pour les sociétés membres de l’ACCVM, sans que l’OCRI ne présente de preuves claires de problèmes urgents qui ne pourraient être résolus dans le cadre du régime actuel », affirme le groupe.
L’ACCVM suggère également que le fait d’imposer ces obligations au secteur pour le compte de leurs clients ayant un accès direct pourrait ralentir l’exécution des transactions et accroître la complexité et les coûts opérationnels sans nécessairement renforcer l’intégrité du marché.
Les bourses ont exprimé des préoccupations similaires.
Le Groupe TMX affirme que les réformes proposées pourraient avoir un « effet préjudiciable » sur les entreprises du secteur et les émetteurs en réduisant l’activité de négociation et en poussant les négociateurs à quitter le marché.
L’entreprise rapporte que, depuis que l’organisme de réglementation a publié ses propositions, elle a « reçu des commentaires non sollicités de nombreux participants au marché » qui s’inquiètent de l’impact possible des changements, qui seraient uniques au marché canadien et « pourraient leur imposer un fardeau financier et administratif important ».
Compte tenu de ces préoccupations, le Groupe TMX souligne que les changements proposés « pourraient avoir pour effet de décourager l’activité de négociation au Canada de la part du côté acheteur international dans son ensemble (plutôt que de cibler ceux qui participent à des opérations ratées), ce qui aurait en fin de compte des répercussions négatives sur les émetteurs au Canada ».
S’il est nécessaire de prendre des mesures réglementaires pour régler le problème des opérations ratées, le Groupe TMX suggère d’utiliser les règles existantes en matière de vente à découvert ou d’envisager d’autres réformes de ce régime.
Une autre faction du marché considère la vente à découvert abusive comme un problème grave.
CNSX Markets, qui exploite la Bourse canadienne des valeurs mobilières, déclare que la croyance en ce problème « s’est infiltrée dans la conversation de la communauté commerciale au sens large et est devenue un sujet de premier plan dans presque toutes nos conversations avec les parties prenantes concernant la négociation et les marchés boursiers au Canada ».
Save Canadian Mining, un groupe de défense des petites sociétés minières, insiste dans son mémoire sur le fait que les problèmes liés à la vente à découvert au Canada sont graves et nécessitent une action radicale. Le groupe critique vivement les efforts de l’OCRI, qualifiant les propositions de « distraction qui donne l’impression que l’OCRI fait quelque chose alors qu’en fait, les questions fondamentales sont laissées telles quelles ».
Le groupe demande au gouvernement fédéral d’interdire toutes les ventes à découvert à nu, ainsi que d’effectuer un audit des transactions qui ont échoué et des activités présumées d’usurpation d’identité dans les banques.
Save Canadian Mining réitère également les recommandations qu’elle a faites en 2020 au groupe de travail sur la modernisation des marchés financiers de l’Ontario, qui demande aux régulateurs de mettre en œuvre des règles beaucoup plus strictes concernant la vente à découvert, y compris des exigences strictes de pré-emprunt, des exigences obligatoires de rachat, une divulgation plus stricte des positions à découvert et une surveillance plus rigoureuse.
Le groupe demande également l’interdiction de certaines tactiques de négociation à haute fréquence. « À notre avis, nous avons des problèmes majeurs au Canada et nous avons besoin d’une action immédiate et décisive », prévient Save Canadian Mining.
Le rapport final du groupe de travail sur la modernisation des marchés financiers fait écho à certains de ces sentiments et conclut que les règles relatives à la vente à découvert ne sont pas assez strictes. Le rapport recommande des réformes telles que l’adoption d’exigences plus strictes en matière de pré-emprunt et de clôture obligatoire, ainsi que l’interdiction de la vente à découvert pour les nouvelles émissions.
Le groupe de travail propose également aux décideurs politiques d’interdire les déclarations trompeuses sur les entreprises, ce qui permettrait aux régulateurs provinciaux de prendre des mesures contre ceux qui tentent de faire fluctuer les cours des actions au moyen d’informations trompeuses, afin de lutter à la fois contre les campagnes dites de « short-and-distort » (un type de fraude dans lequel les investisseurs vendent à découvert une action, puis répandent des rumeurs négatives sur l’entreprise dans le but de faire baisser les cours des actions ) et les systèmes de « pump-and-dump » (une technique de manipulation de marché qui consiste à faire monter artificiellement le prix d’une action par des déclarations mensongères, dans le but de revendre ces actions, achetées à bas prix, avec une forte plus-value).
Toutefois, la consultation sur les propositions modestes de l’OCRI révèle qu’il existe un soutien persistant pour des réformes plus larges.
Le CSNX indique dans son mémoire que, bien qu’il approuve les dernières propositions de l’OCRI, il estime que des exigences obligatoires en matière de liquidation sont nécessaires pour lutter efficacement contre les ventes à découvert abusives et corriger la perception selon laquelle cette activité est endémique sur les marchés canadiens. CSNX dit avoir envisagé d’adopter des exigences obligatoires en matière de liquidation dans ses règles de négociation, mais conclut qu’une réglementation plus complète est nécessaire.
L’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (ACPE) affirme également soutenir les propositions de l’OCRI, qui, selon elle, réduiront le risque de ventes à découvert manipulatrices. Mais une application plus stricte des règles existantes est également nécessaire pour décourager les transactions abusives, selon elle, et des mesures doivent être prises pour lutter contre la désinformation et l’utilisation des médias sociaux par les vendeurs à découvert manipulateurs.
Plus précisément, l’ACPE demande à l’OCRI et aux ACVM de se pencher sur l’utilisation des médias sociaux dans les campagnes de négociation abusive, d’adopter une « règle alternative de remontée » pour se prémunir contre les ventes à découvert incontrôlées, et d’imposer des obligations d’information plus strictes aux courtiers qui prêtent des titres de leurs clients à des vendeurs à découvert.