Le mois dernier, la Cour a statué qu’un recours collectif contre les sociétés de fonds communs AIC Ltée et Fonds CI pouvait aller de l’avant.

AIC avait déjà payé 58,8 M$ aux investisseurs, et CI 49,3 M$, dans le cadre d’un accord avec la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) en 2004 et 2005 à l’issue duquel un total de 205,6 M$ a été versé aux investisseurs par ces deux sociétés, auxquelles s’ajoutent Fonds AGF, la Société de Placements Franklin Templeton et laSociété de gestion d’investissement I.G..
Ces sociétés avaient permis à des investisseurs de certains fonds communs de réaliser des profits de plusieurs millions de dollars aux dépens d’autres investisseurs à la fin des années 1990 et au début des années 2000 par le biais de ce que l’on appelle des stratégies de synchronisation des marchés.

Les stratégies de synchronisation des marchés misent sur la différence de cours entre deux places boursières. Par exemple, le prix d’un fonds commun canadien investissant dans les actions japonaises est fixé à 16 h HNE.

Toutefois, la valeur des parts de ce fonds se fonde sur le prix de clôture à Tokyo, 14 heures auparavant.
Toute bonne nouvelle sur le marché japonais publiée après la clôture se reflètera dans la valeur des parts du fonds canadien le lendemain. Les négociants à court terme gagnent de l’argent en achetant les fonds le premier jour et en les vendant le jour suivant.

Les transactions à court terme fréquentes causent du tort à un fonds car elles impliquent d’importants coûts transactionnels, et les profits réalisés par les négociants à court terme interviennent aux dépens des investisseurs à long terme du fonds.

L’Organisme canadien de règlementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) a déclaré dans sa mesure disciplinaire concernant les courtiers impliqués dans la synchronisation des marchés, que l’un d’entre eux avait exécuté de cette façon plus de 3 900 transactions boursières au nom d’un client, dont la valeur conjuguée allait de 500 000 $ à 54 800 000 $.

La période moyenne de détention d’un fonds commun donné dans le compte du client avait été de moins de 5 jours.

Bien que la synchronisation des marchés ne soit pas illégale, les gestionnaires de fonds ont le devoir de préserver le meilleur intérêt de leurs fonds. Les sociétés de fonds s’en acquittent généralement en imposant des frais pour les transactions à court terme, ou simplement en refusant ces comptes-là.

Les fonds d’actions en question étaient donc censés faire payer des frais de 2 % à 3 % pour les rachats effectués dans les 90 jours suivant la date d’achat, redevables au fonds lui-même plutôt qu’au gestionnaire.

La position de la partie plaignante dans le nouveau recours collectif est que le règlement du différend opéré par la CVMO n’atteint pas le niveau des sommes qui auraient dû être versées aux investisseurs. La position de la partie défenderesse est que ces règlements ont déjà indemnisé les millions d’investisseurs concernés.

Selon Rochon Genova, le cabinet d’avocats des investisseurs, cette décision signifie que les sociétés ne peuvent plus se cacher derrière une enquête sur leur conduite effectuée par les autorités.

Du point de vue de Steven G. Kelman (auteur de cet article), si ce dossier ne faisait pas l’objet d’un règlement et devait être plaidé en justice, les véritables conséquences seraient que les investisseurs et l’industrie des fonds pourraient apprendre certaines choses que la CVMO n’a pas révélées pas dans ses documents de règlement, l’élément principal étant l’identité des individus concernés.

De même, l’Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières n’a pas mentionné certains noms dans la décision qu’elle a prise à l’égard des courtiers impliqués dans les transactions à court terme.

Steven G. Kelman présume qu’à un certain moment durant le procès, les avocats de la partie plaignante poseront des questions comme qui dans ces sociétés de gestion de fonds a approuvé les pratiques de transactions à court terme et si les agents de conformité ou autres cadres dirigeants étaient au courant de ces agissements.

Il suppose aussi qu’ils demanderont qui a pris la responsabilité de renoncer aux frais soi-disant en place pour décourager les transactions à court terme, et qui a initié cette pratique. Il pense qu’ils demanderont aussi sur quelle base les sociétés de fonds justifiaient cette pratique.

La synchronisation des marchés n’était pas une pratique très répandue dans l’industrie. En 2003, la CVMO a envoyé une lettre à 105 sociétés de fonds leur demandant de confirmer qu’elles appliquaient des principes efficaces de détection et de prévention des transactions abusives, comme les transactions tardives et la synchronisation des marchés. Il s’est avéré que les transactions tardives ne posaient pas problème, mais les cinq sociétés concernées ont été par la suite appelées à s’expliquer sur la synchronisation des marchés.

(La synchronisation des marchés n’est plus un problème parce que l’industrie s’est orientée vers un modèle de « valeur juste », qui ajuste le prix des parts de fonds en fonction des changements intervenus dans la valeur de leurs avoirs étrangers).

Société de gestion d’investissement I.G., Franklin Templeton et Fonds AGF représentaient elles aussi la partie défenderesse dans le recours collectif mais sont arrivées à un règlement en 2010, payant un total de 11,3 millions $ : des peccadilles par rapport à ce que demande la partie plaignante et ce que les cinq sociétés ont payé aux investisseurs aux termes de leur accord avec la CVMO.

La décision du tribunal note que l’estimation des pertes effectuée par les experts de la partie plaignante s’est élevée à 192,6 millions $ pour les investisseurs d’AIC et 349,3 M$ pour les investisseurs de CI.
On ne sait trop si ce dossier sera plaidé, ou s’il fera l’objet d’un règlement. Si règlement il y a, je soupçonne qu’il sera plus généreux que les 11,3 millions $ notés.

Certains termes des règlements avec la CVMO recommandaient que les sociétés mettent en place des procédures de prévention et de détection de la synchronisation des marchés et des transactions fréquentes, pratique que l’on pourrait raisonnablement considérer néfastes pour les fonds communs de la partie défenderesse et pour les porteurs de parts de ces fonds.
Une conséquence du scandale de la synchronisation des marchés a été le Règlement 81-107, qui fait obligation à chaque fonds de placement d’instituer un comité d’examen indépendant chargé d’étudier tout conflit d’intérêt dont puisse être soupçonné le gestionnaire. Le travail de ce comité est de faire au gestionnaire du fonds une recommandation dont il doit obligatoirement tenir compte.

Auteur : Steven G. Kelman