Le sursis de dernière minute accordé par l’Agence du revenu du Canada (ARC) au sujet de la déclaration des simples fiducies est une victoire vide de sens et mine la confiance déjà fragile entre les autorités fiscales et le public.

La législation sur les simples fiducies affecte de manière disproportionnée les Canadiens ordinaires, et non les 1 %. Les simples fiducies ne sont généralement pas utilisées pour la planification de l’impôt sur le revenu — elles le sont pour des raisons de commodité ou de protection de la vie privée.

Pour un gouvernement qui a épousé les vertus de l’égalité, cibler une aide-soignante épuisée qui détient temporairement des biens pour sa mère âgée semble hors de propos. Mais les autorités fédérales sont allées de l’avant malgré des avertissements précoces et répétés.

Il y a plus de deux ans, Investment Executive a tiré la sonnette d’alarme au sujet de la législation sur les « simples fiducies », en soulignant que de nombreuses personnes pouvaient avoir recours à ces structures sans en être conscientes, en raison de la formulation générale de la proposition. Les experts fiscaux ont demandé au ministère des Finances de se concentrer sur les structures qu’il jugeait problématiques. Malgré l’avertissement et les supplications des fiscalistes, la législation a été adoptée à la fin de l’année 2022 sans modifications substantielles.

L’ARC a ensuite dû mettre en œuvre des règles imparfaites, et elle semble avoir du mal à résoudre la quadrature du cercle — et ce n’est pas la première fois. Quelques heures à peine avant la date limite du 31 octobre 2023 pour produire sans pénalité la déclaration de taxe sur les logements sous-utilisés, l’ARC a accordé aux contribuables une deuxième prolongation jusqu’au 30 avril 2024.

Ces changements de dernière minute tournent en dérision les Canadiens respectueux de la loi, leurs conseillers qui ont rempli leur devoir fiduciaire en les avertissant de cette obligation de déclaration, et les comptables qui ont longtemps souffert en faisant des heures supplémentaires pour aider leurs clients à se conformer à cette obligation.

Il faut aussi noter les conséquences financières : des honoraires gaspillés pour ce qui est maintenant une exigence de déclaration improbable, des pressions salariales sur les petites entreprises de comptabilité et le stress non quantifiable, mais très réel, placé sur des milliers de Canadiens. De nombreux comptables pensent qu’ils ne pourront pas facturer à leurs clients les déclarations de simple fiducie en cours, voire les déclarations déjà déposées.

Le ministère des Finances a défendu sa législation en affirmant qu’elle aiderait les autorités à lutter efficacement contre l’évasion et la fraude fiscales agressives, ainsi que contre les activités criminelles. (Peu importe que l’ARC dispose déjà d’informations sur les revenus ou les plus-values réalisés sur les biens détenus en simple fiducie.)

Mais ce qui permet de lutter efficacement contre l’évasion et la fraude fiscales, c’est la confiance : la confiance que le gouvernement a nos meilleurs intérêts à l’esprit ; la confiance que l’argent de nos impôts sera dépensé de manière responsable ; la confiance que nous nous comportons en bons citoyens lorsque nous déclarons nos impôts dans les délais et conformément aux règles.

Chaque texte législatif mal conçu, chaque prolongation de délai de dernière minute et chaque revirement de politique provoquant un coup de fouet entame la crédibilité de nos institutions sociétales.

La prochaine fois que le gouvernement voudra faire passer à toute vapeur une nouvelle politique fiscale, il devra tenir compte des enjeux.