En 2008, au moment où le dollar entamait un flirt soutenu de parité avec le dollar américain, bon nombre considéraient que la valeur de parité de pouvoir d’achat (PPA) du dollar canadien était d’environ 0,85 $US (soit 85 cents américains pour acheter 1,00 $ CA), rappelle François Dupuis, vice-président et économiste principal au Mouvement Desjardins.

Cette cible n’a pas beaucoup bougé. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), par exemple, l’établit encore autour de 0,80 à 0,85 $ US, rappelle Clément Gignac, vice-président principal et économiste en chef de l’Industrielle Alliance, qui se dit par contre sceptique en ce qui concerne cette notion de PPA. Or, le huard s’est tenu loin de sa valeur PPA, poussant plutôt l’audace jusqu’à atteindre les 1,06 $ US.

Certains voient maintenant le dollar canadien retourner vers sa valeur PPA. C’est le cas de Mark Abbott, vice-président, gestion des devises, de State Street Global Advisors, à Montréal, qui le voit atteindre le prix de 0,86 $ US d’ici deux ou trois ans, glissant à 0,94 $ US dès la fin de 2013.

Clément Gignac, pour sa part, voit le dollar canadien fléchir «aux environs de 0,90 $ à 0,92 $ US d’ici 18 à 24 mois? ou même plus tôt».

François Dupuis concède que le dollar pourrait connaître un fléchissement au cours des prochains mois,? mais passager. Selon lui, dès le deuxième trimestre de 2013, il reprendra le chemin de la parité avec la devise américaine.

Détérioration sous-jacente

À l’époque, on attribuait la force du dollar surtout à la surperformance du secteur pétrolier, cette ascension du huard entraînant dans son sillage la perte de centaines de milliers d’emplois dans le secteur manufacturier.

Par ailleurs, d’autres «excellentes caractéristiques fondamentales du Canada», comme les qualifient Clément Gignac, soutenaient le huard, notamment des institutions financières bien capitalisées, le taux d’endettement fédéral le plus bas des pays du G-7 et une économie robuste.

Cela a contribué à faire du Canada un havre de sécurité dans la tempête financière qui sévissait, notamment grâce à un taux d’intérêt qui marquait, et marque encore, un écart de 75 à 100 points de base avec les taux américains. «Le Canada était une valeur refuge pour qui cherchait la stabilité de l’Amérique, mais sans la volatilité des États-Unis», souligne Shaun Osborne.

À présent, plusieurs facteurs qui soutenaient le huard s’effritent. Tout d’abord, quelques indices économiques ternissent sensiblement le portrait canadien. Clément Gignac souligne le début d’une correction immobilière, indiquant qu’une «baisse généralisée de l’ordre de 10 à 20 % (selon les régions) du prix des immeubles en copropriété est tout à fait plausible d’ici 24 à 36 mois.»

À cela s’ajoute l’endettement excessif des ménages, susceptible de freiner de plus en plus la consommation.

Autres trous béants : le déficit du compte courant est de 69 G$ pour 2012, ou 3,9 % du PIB, «un niveau quasi-record» note-t-il ; la productivité demeure faible et les coûts unitaires de main-d’oeuvre ne cessent de monter plus vite que ceux de concurrents comme les États-Unis, l’Allemagne et la France.

Par ailleurs, le prix du baril de pétrole est un élément particulièrement instable dans le portrait général. Pour les raisons de distribution qu’on connaît, «le pétrole connaît un écart de 30 $ entre l’indice canadien Western Canadian Select (WCS) et l’indice américain Western Texas Intermediate (WTI)», fait ressortir Krishen Rangasami, économiste principal à la Financière Banque Nationale.

Mark Abbott observe une corrélation de 0,50 entre le niveau du huard et le prix du baril WCS, c’est-à-dire que, lorsque le prix de ce dernier baisse d’un dollar, le huard fléchit d’un demi-cent.

Or, une opposition américaine au projet de pipeline Keystone, par exemple (une opposition que les marchés jugent encore improbable), pourrait fortement ébranler le prix du baril WCS… et du huard.

Cependant, Krishen Rangasami juge que le sort du dollar canadien dépend avant tout de l’étranger, à moitié de Washington, à moitié des investisseurs internationaux.

L’appréciation, ou la dépréciation, du huard tient à la politique monétaire américaine. Plus la Réserve fédérale (Fed)imprime des dollars, plus la valeur du dollar américain fléchit, et plus le huard, inversement, s’apprécie. Quand la Fed cessera d’imprimer des dollars, ce qui ne tardera certainement pas, le greenback s’appréciera fort probablement? et le huard se dépréciera.

L’autre moitié du sort du huard est entre les mains des investisseurs dont l’argent afflue massivement vers le Canada. Il y a quelques années, cet argent faisait son chemin dans des projets industriels, notamment dans l’exploration pétrolière.

Plus récemment, il s’est concentré dans des actifs mobiliers : obligations gouvernementales, marchés monétaires, actions, etc. C’est un investissement volatil et instable.

«Si jamais il y a un renversement de sentiment chez les investisseurs, cet argent n’entrera plus, mais plutôt sortira, et ce sera très mauvais pour le dollar canadien», soutient Krishen Rangasami.

Pour toutes ces raisons, les économistes consultés par Finance et Investissement voient le dollar fléchir. Pour longtemps ? That is the question.

Certains, comme Clément Gignac, ne peuvent encore se prononcer, mais voient les signes de faiblesse s’accumuler, ce qui pourrait mener à un repli soutenu du huard.

D’autres, comme Mark Abbott, prévoient que ce sera pour longtemps, le dollar se nichant plus près de sa valeur PPA.

Et certains, comme François Dupuis, jugent que le repli ne sera que temporaire, le temps qu’un certain pessimisme face aux chiffres canadiens se dissipe et que les prix du pétrole se stabilisent à nouveau.

Devant tous ces pronostics, une chose demeure : les facteurs qui ont poussé le huard à la hausse se sont soit effrités (prix du pétrole plus bas, déficit du compte courant, etc.), soit déplacés (importance des acteurs étrangers). La donne n’est plus la même. À quelle altitude le huard volera-t-il alors ?