Il est bon toutefois de se rappeler que «même avec cette remontée de 100 points de base, les taux demeurent historiquement bas», fait ressortir Benoît Durocher, vice-président et économiste principal chez Addenda Capital.
Une fin pourtant annoncée
On voyait pourtant venir cette fin depuis longtemps, une telle échéance ayant été annoncée depuis belle lurette par Ben Bernanke, président de la Fed. Le marché n’en a pas moins été secoué, même si Ben Bernanke et plusieurs gouverneurs de la Fed ont pris mille précautions pour expliquer que cette interruption de QE3 n’aurait lieu que si la santé de l’économie le permettait.
Deux situations justifient cette élimination progressive de QE3. Tout d’abord, l’économie américaine donne des signes de vigueur d’autant plus étonnants qu’elle a subi au tournant de 2013 le double choc d’une hausse d’impôts et d’une baisse des dépenses fédérales. Actuellement de 2 %, la croissance annuelle du PIB américain pourrait très bien passer à 3 % en 2014, juge Serge Pépin, vice-président stratégie d’investissements chez BMO Gestion globale d’actifs.
De plus, les statistiques de l’emploi indiquent une lente résorption du chômage, et le secteur de l’immobilier résidentiel a amorcé une solide reprise.
Par ailleurs, de plus en plus d’intervenants, au sein même du comité des gouverneurs de la Fed, insistaient sur les conséquences néfastes de la poursuite de QE3 : distorsions importantes des marchés financiers et menace latente d’inflation.
Devant cette double perspective, la réaction des marchés financiers étonne. «Les investisseurs auraient dû se dire que si la Fed interrompt QE3, c’est parce que l’économie va mieux, donc que tout est pour le mieux», fait ressortir Jean-René Adam, chef des placements adjoint et vice-président, marchés nord-américains, chez Hexavest, à Montréal.
Les marchés sceptiques
Il y a anguille sous roche. Les marchés ne semblent pas partager l’hypothèse de Ben Bernanke selon laquelle le stimulus monétaire, nécessaire pour remettre l’économie à flot, pourrait être retiré en douceur sans secousse majeure.
Pourtant, la majorité des économistes se rallient à cette hypothèse de travail de Ben Bernanke. C’est le cas de la plupart des spécialistes interrogés par Finance et Investissement. «Je crois que la Fed peut interrompre son QE3 sans nuire à l’économie», remarque Benoît Durocher, reflétant l’opinion majoritaire.
Jean-René Adam le voit d’un autre oeil. «La thèse de Ben Bernanke ne fonctionne pas, tranche-t-il. On se demande si l’économie sera un jour assez forte pour absorber un arrêt du QE3. On l’a vu avec tous les QE précédents : chaque fois que la Fed a voulu les interrompre, l’économie et les marchés sont retombés.»
En effet, une hausse des taux obligataires touchera tous les acteurs économiques, en premier lieu les acheteurs de maison, secteur névralgique s’il en est. Selon Jean-René Adam, la Fed n’aura pas d’autre choix que de poursuivre sa politique de stimulation, l’économie en ayant besoin comme d’une drogue. La conséquence de l’administration de cette drogue sera inévitablement l’inflation.
Pour l’instant, l’inflation imprègne uniquement les actifs financiers, tout particulièrement les obligations à plus haut risque de pays émergents, par exemple, dont les rendements ne reflètent pas du tout le degré réel de risque, juge Jean-René Adam. Et il ajoute : «Il est pas mal certain que tous les surplus d’argent feront éventuellement leur chemin dans les biens tangibles ; c’est d’ailleurs ce qu’on voit en ce moment dans le prix des maisons.»
Protection du capital
Le retrait de QE3 sera-t-il un succès – ou un traumatisme ? Nul ne peut le dire encore, mais les marchés semblent avoir manifesté leur scepticisme. Jusqu’à ce que cette question trouve sa réponse, tous les intervenants conseillent quand même la prudence aux détenteurs d’obligations, même si trois d’entre eux jugent que le pire de la hausse des taux est passé, alors que Jean-René Adam juge que le pire reste à venir.
Par exemple, Serge Pépin conseille de conserver intacte la proportion d’obligations dans le portefeuille, mais en déplaçant son poids vers les rendements à plus court terme, en attente de rendements meilleurs à plus long terme. Il propose par ailleurs de diversifier le contenu obligataire vers des coupons d’entreprises à plus haut rendement et des obligations internationales. «Mais à cause de la volatilité à laquelle on assistera d’ici la fin de l’année, les obligations peuvent encore servir de protection à la baisse.»
Chez Fiera Capital, on réduit la part des obligations à hauteur de 25 % des portefeuilles en privilégiant, à parts égales, «des stratégies qui n’ont pas beaucoup plus de risque que les obligations, mais qui offrent un rendement un peu meilleur.» Ainsi, 25 % est consacré à des placements immobiliers, 25 % à des stratégies non directionnelles (achats d’actifs sous-évalués associés à la vente à découvert d’actifs surévalués) et 25 % aux actions.
Plus pessimiste, Jean-René Adam conseille aux investisseurs de rester cramponnés à leurs obligations fédérales et provinciales et aux titres d’entreprises de première qualité, et d’éviter les titres à haut rendement, qui connaissent actuellement une bulle. «Oui, les taux sont très faibles, mais ils donnent une certaine sécurité, dit-il. Si vous avez perdu dans votre portefeuille, prenez la perte et ne partez pas en quête de rendement risqué.»