«Je trouve ça alarmant, ce qui se passe dans le secteur financier canadien», lance Geneviève Blouin. Le problème, selon elle, tient à la faible proportion des actifs confiés aux gestionnaires locaux par les allocateurs canadiens.
«Il y a beaucoup de talent au Québec et au Canada, que ce soit chez les entrepreneurs en gestion de portefeuille ou dans la relève. Par exemple, c’est à Montréal et à Toronto que l’on retrouve le plus haut taux de CFA (Chartered Financial Analyst) par habitant dans le monde. Malgré cela, on préfère confier des mandats à des gestionnaires américains ou européens et c’est inacceptable», dénonce-t-elle.
Les allocateurs d’actif américains investissent entre 3 et 5 % de leur actif auprès de gestionnaires locaux, alors qu’au Québec et au Canada, «ce n’est même pas 1 %, et en fait, on est plusieurs chiffres après la virgule, selon Geneviève Blouin. Moi, ce que j’essaie de dire, c’est : « Let’s go, on va se rendre à 1 % », et 1 % pour moi au Québec, c’est 3 G$».
Sa théorie, c’est que le milieu est très concurrentiel, et que tout le monde se bat pour avoir sa part, «sauf que tout le monde crève de faim, alors il faut cesser de se battre pour un petit morceau et travailler ensemble pour faire grandir la tarte et avoir chacun un plus gros morceau».
Ce qui retient l’attention chez Geneviève Blouin, c’est son énergie et sa grande capacité de rassembler les gens, signale Stéphane Corriveau, président et directeur principal d’Alphafixe Capital, qui l’a principalement côtoyée dans le cadre de son engagement au sein du Chantier entrepreneuriat de Finance Montréal.
«Aujourd’hui, un peu tout le monde évoque l’importance de soutenir l’écosystème local, mais c’est Geneviève qui a été la bougie d’allumage, témoigne-t-il. Elle est partie de zéro avec le CGE, elle y a cru et s’est engagée en même temps qu’elle démarrait son entreprise. C’est assez unique et je lui lève mon chapeau, car elle en fait beaucoup pour la communauté.»
L’attention portée sur les initiatives du CGE est d’ailleurs croissante, et l’ouverture d’une section ontarienne est prévue en 2017. Auparavant, le CGE aura lancé trois indices mesurant la performance de 38 fonds gérés par ses membres. «Ça permet de sensibiliser les investisseurs et c’est très novateur. Même aux États-Unis, il n’existe aucun indice relatif aux produits de gestionnaires émergents».
Geneviève Blouin estime que l’indice pourrait être reproduit dans les autres provinces, puis aux États-Unis. On lui a également signifié qu’une grande institution financière canadienne souhaiterait lancer un fonds négocié en Bourse (FNB) composé de fonds de gestionnaires émergents.
«À mesure que je rencontre des gens, je constate qu’il y a une soif de réinvestir localement, mais les gens ne savent pas comment», constate-t-elle.
La quête d’adrénaline
Bien qu’elle ait su faire son chemin au sein de l’industrie financière au cours des 20 dernières années, Geneviève Blouin confesse qu’elle n’a jamais aspiré à travailler dans le secteur. Au moment d’entrer à l’université, elle a déposé des demandes notamment en médecine et en kinésiologie, avant de choisir l’administration des affaires.
Son principal objectif consistait plutôt à devenir bilingue, et elle a obtenu en 1995 son baccalauréat de l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique. «M’envoyer étudier à l’extérieur est probablement le meilleur héritage que mes parents pouvaient m’offrir», témoigne-t-elle.
Geneviève Blouin est née à Montréal, alors que ses parents ont d’abord vécu à Québec. «Dans le temps, les traders d’obligations travaillaient en français, et c’était Toronto qui devait parler en français. Les choses ont changé après le référendum. Mon père a donc appris l’anglais sur le tard, et ma mère nourrit encore l’espoir de l’apprendre. C’est pourquoi je m’étais dit qu’après l’université, il fallait que je sois bilingue», raconte Geneviève Blouin.
De retour dans la métropole, elle décroche un premier emploi à la Bourse de Montréal à titre d’opératrice, directement sur l’aire de négociation. «C’est là que je me suis passionnée pour la finance. Je déteste les emplois répétitifs, et ça s’est révélé un milieu intense et très stimulant».
On lui offre ensuite un poste administratif, mais elle trouve la tâche ennuyeuse et veut «à tout prix retourner dans le pit (l’aire de négociation)». Geneviève Blouin s’inscrit alors à son propre compte auprès de la Bourse et commence à négocier des contrats à terme. Pour financer les 25 000 $ requis par l’inscription, elle contracte un prêt de 15 000 $ auprès d’une caisse populaire et obtient l’aide de nombreux amis pour le reste.
L’expérience a été des plus formatrices en matière de gestion du risque, dit-elle en riant. «Il ne fallait pas que je perde d’argent parce que je n’en avais pas et il fallait que j’en fasse pour vivre. Je ne peux pas dire que j’ai fait fortune, mais j’ai beaucoup appris.»
Geneviève Blouin s’engage ensuite dans le processus d’obtention de sa désignation CFA, ce qui l’amène à délaisser la Bourse au profit de nouvelles expériences. Elle est recrutée par TAL Gestion globale d’actifs en 1999. Elle y travaille d’abord comme analyste en actions canadiennes, puis renoue avec les opérations d’achat et de vente (trading).
Elle travaille ensuite successivement à la Caisse de dépôt et placement du Québec, où elle se taille une place dans les produits dérivés, puis chez Pictet, une banque suisse qui possède une antenne à Montréal, où elle passe sept ans et acquiert une expérience sur les marchés internationaux.
Des défis en série
«Lorsque j’étais enceinte de mon deuxième enfant, je tenais un journal de mes activités et ça se résumait toujours à : je m’en vais à Genève, à Zurich, à San Francisco. Je pense avoir fait le tour du monde trois fois pendant ma grossesse. Je me suis alors dit que ce n’était peut-être pas le cadre de vie idéal pour élever une famille», se remémore-t-elle.
Une fois en congé de maternité, Geneviève Blouin s’est demandé quel genre d’emploi elle aimerait dorénavant occuper, avant de conclure : «Je veux bâtir quelque chose».
Elle fonde Altervest. «Notre philosophie d’investissement, c’est que si vous pouvez préserver le capital à court terme, vous surperformerez les indices de référence à long terme», résume-t-elle.
La firme, qui développe des stratégies alternatives qualifiées de conservatrices, compte aujourd’hui cinq employés, dont un consultant externe au Connecticut qui contribue au développement des stratégies quantitatives. Bien qu’Altervest ne compte aucun client au sud de la frontière, cette présence aux États-Unis devrait faciliter les choses le moment venu. Le but étant d’y aller dès que la valeur des actifs sous gestion potentiels sera jugée suffisante pour couvrir les frais de développement.
En matière de croissance, Altervest mène plusieurs projets de front, dont le développement de produits destinés aux compagnies d’assurance.
«Avec une exposition aux placements alternatifs, nous pouvons trouver des solutions d’investissement qui peuvent être intégrées à faible coût de capital dans leur stratégie, et ainsi respecter les normes de capitalisation du secteur», avance Geneviève Blouin.
Au printemps 2014, l’actif total sous gestion d’Altervest était de moins de 10 M$, mais l’objectif avant la fin de cette année-là était de 40 M$. Depuis, la croissance de l’actif a été «phénoménale», selon Geneviève Blouin. Elle estime qu’au cours de la dernière année, la forte progression de l’actif lié à la gestion privée a généré une croissance de 100 %.
Au nombre de ses solutions d’investissement, la firme propose la stratégie quantitative Altervest S&P Plus+, dont la performance annualisée a été de 9,29 % en 2015 et qui a atteint 7,35 % de janvier au 31 août 2016.
En janvier 2016, la firme a lancé le fonds Altervest Smart Volatilité, qui est uniquement accessible aux investisseurs qualifiés. Le rendement annuel moyen espéré est de 15 % sur une période de cinq ans, alors que la perte maximale visée est de 7 %. Sa performance mensuelle pour 2016 est de – 3,89 % au 31 août.
Altervest offre aussi un portefeuille de gestion privée qui a recours à la gestion alternative.
Geneviève Blouin estime d’ailleurs qu’il n’y a pas de meilleur moment pour se positionner vers le placement alternatif.
«Si vous regardez les 10 plus grands fonds de pension canadiens, 32 % de leur actif est investi dans le placement alternatif. En contrepartie, seulement 2 % des investisseurs ont du placement alternatif dans leur portefeuille». Selon elle, le recours au placement alternatif va considérablement augmenter, et les individus qui n’y ont pas suffisamment accès vont invariablement en venir à accroître leur exposition.
«Auparavant, les obligations avaient un rendement réel positif, ce qui contrebalançait la portion investie en actions parce qu’il y avait une corrélation négative entre les deux. Aujourd’hui, les obligations ont un rendement réel négatif, alors le bénéfice en matière de rendement n’est plus là et elles ont aussi perdu leur pouvoir de diversification, avance Geneviève Blouin. Malheureusement, je ne pense pas que les gens comprennent que le portefeuille qu’on utilisait il y a 10, 15 ou 20 ans, ne marche plus très bien dans ce contexte.»