Moteur de ce changement : l’impression 3D. Imaginez une imprimante de bureau qui applique une couche d’encre pour former des lettres ou des chiffres. Remplacez l’encre par du plastique en fusion ou du métal en poudre, superposez des couches de 5 à 13 millièmes de pouce (13 à 33 centièmes de millimètre) d’épaisseur, et vous obtiendrez un solide, en trois dimensions. C’est comme si vous empiliez en les collant des feuilles de papier rondes ; vous finiriez par obtenir un tronc d’arbre. C’est aussi simple que ça !

En fait, c’est un peu plus compliqué. La fabrication additive (par addition de couches) regroupe plus d’une trentaine de technologies différentes, comme les thermoplastiques, la fusion laser, les poudres métalliques et la polymérisation, explique François Guilbault, ingénieur, MBA et président de Solaxis, de Bromont, qui est en voie de devenir un spécialiste dans ce domaine.

La fabrication additive ne relève pas de la science-fiction : 22 000 pièces de métal et de plastique produites ainsi volent déjà, affirme M. Guilbault. Dans les ailes des nouveaux Airbus A380 et Boeing 787, entre autres. À Sainte-Anne-de-Bellevue, dans l’ouest de l’île de Montréal, MDA travaille à un projet de pièces en titane pour ses satellites.

«Il y a des pièces fabriquées selon des techniques additives dans nos prototypes de moteurs fonctionnels, et il y aura au moins une pièce de ce type dans les premiers moteurs du CSeries de Bombardier», a confié à Les Affaires Yves Rabellino, directeur principal, gestion stratégique des coûts, recherche & technologie et support aux opérations de Pratt & Whitney Canada. (Il n’a toutefois pas voulu dire laquelle.)

Bientôt un campus spécialisé

L’ingénieur Clément Fortin est pdg du Consortium de recherche et d’innovation en aérospatiale au Québec (CRIAQ). C’est sur lui que comptent Bombardier, Pratt & Whitney, Bell Helicopter, CAE, Héroux- Devtek, Rolls-Royce et d’autres pour faire avancer le dossier de la fabrication additive.

Ce consortium existe depuis 10 ans, mais en novembre, ses membres ont visionné une vidéo sur la fabrication additive qui a été le déclencheur. «Nous travaillons actuellement à mettre sur pied le Campus international de recherche et d’innovation en aérospatiale de Montréal (CIRIAM) dans ce but précis», précise M. Fortin.

Au lieu que chaque établissement (Polytechnique, universités McGill et Laval) se procure ses propres imprimantes, le CIRIAM achètera plusieurs machines pour les mettre en commun. Les entreprises aérospatiales du CIRIAM obtiendront des licences exclusives gratuites pour le monde entier sur les découvertes qui y seront faites, alors que les universités garderont les droits pour les autres secteurs que l’aérospatiale.

«Nous avons plusieurs fournisseurs qui possèdent déjà une imprimante 3D. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant la machine que la façon optimale d’utiliser cette technologie», explique Mathieu Boisclair, chef de section, technologies stratégiques, aéronautique, chez Bombardier.

Une chaîne d’approvisionnement locale

Bombardier, Pratt et Bell veulent créer une chaîne d’approvisionnement locale de pièces fabriquées selon des procédés additifs. «Si vous voulez devenir un fournisseur de l’un de ces avionneurs, vous feriez bien de vous familiariser avec la fabrication additive», conseille M. Fortin.

«Nous voulons collaborer avec des manufacturiers locaux pour leur faire part de nos besoins et pour apprendre d’eux aussi afin que chacun sache à quoi il peut s’attendre de l’autre», ajoute Pierre Rioux, directeur, technologie et sciences du vol de Bell Helicopter Textron Canada.

«De plus, faire fabriquer ici est plus rapide qu’en Chine et profite à notre économie, ajoute M. Boisclair. Si Bombardier peut livrer ses appareils plus rapidement, c’est un avantage concurrentiel. Et si on peut livrer les pièces de rechange plus rapidement, on améliorera notre service à la clientèle.»

Et M. Fortin de préciser : «Ce n’est pas seulement l’industrie aéronautique qui pourra bénéficier de cette technologie, mais d’autres industries comme les transports terrestres, les véhicules et les équipements médicaux.»

Dans un premier temps, le CIRIAM travaillera à dresser l’inventaire des ressources disponibles : laboratoires, équipements, expertises, etc. «Nous réaliserons aussi des études sur ce qui se fait ailleurs dans le domaine de la fabrication additive et nous étudierons les modèles existants pour trouver celui qui nous convient le mieux, précise M. Fortin. En somme, il s’agit d’aller chercher les connaissances qui nous manquent.» Cette première phase, d’une durée d’un an, sera lancée ces jours-ci avec la signature d’une entente entre les principaux partenaires.

De nombreuses économies

Bonne nouvelle pour l’environnement : la fabrication additive s’inscrit parfaitement dans une démarche de développement durable. «On rejette jusqu’à 80 à 90 % de matériaux sur certaines pièces fabriquées de façon traditionnelle [moulage, injection, usinage, thermoformage, etc.], explique M. Rioux. Même si on recycle ces matériaux, il faut de l’énergie pour les produire. Alors qu’avec la fabrication additive, les rejets sont réduits au strict minimum.»

La fabrication additive peut en outre permettre de réduire le poids des pièces et donc de l’appareil, sa consommation d’essence, ses émissions de GES, etc. «Avec la fabrication traditionnelle, on ne peut pas retirer de la pièce toute la matière inutile, parce que ce serait trop complexe, explique M. Rioux. La fabrication additive utilise des matériaux seulement là où il en faut et, de plus, on peut optimiser la géométrie de la pièce et faire en sorte de lui donner plus de résistance là où c’est requis.»

Bell fabrique déjà selon des techniques additives de la tuyauterie en nylon pour la ventilation de la cabine de ses hélicoptères. «Question de se familiariser avec la technologie, on commence par les pièces non structurales», précise M. Rioux.

Autre avantage : comme la fabrication additive ne nécessite pas de moule – qu’il faut parfois faire produire en Chine -, les délais de fabrication peuvent être beaucoup plus courts.

«Obtenir certaines pièces peut nous prendre un an, alors qu’avec la fabrication additive, un mois suffit, soutient M. Rabellino. Ces délais réduits nous permettent en plus d’expérimenter plusieurs configurations pour trouver celle qui est optimale.»

De son côté, Mathieu Boisclair estime que la fabrication additive permet un meilleur contrôle de la qualité. «Tout est contrôlé numériquement, il y a donc moins d’intervention humaine. Et comme la machine crée le matériau en même temps que la pièce, la marge d’erreur est réduite.»

La fabrication additive permettra-t-elle aussi aux entreprises de réduire leurs frais de transport ? M. Fortin se permet de rêver : «Une fois que vous avez le modèle 3D dans votre ordinateur, vous avez seulement à l’acheminer par Internet vers l’imprimante 3D située le plus près de votre client.»

«Ça pourrait en effet devenir très économique d’avoir de petites usines équipées de quelques imprimantes dans plusieurs pays, croit aussi Jocelyn Leclerc, associé chez KPMG Canada. Ainsi, les économies d’échelle deviendraient moins critiques pour les PME.»

Des pièces pour le cockpit du CSeries

François Guilbault et son associé Gabriel Allard ne doutent pas du potentiel de la fabrication additive. En 2010, ils ont créé Solaxis avec l’objectif de devenir des spécialistes. Ils possèdent quatre imprimantes 3D de modèle Fortus, valant de 375 000 à 500 000 $ chacune ; elles ont été achetées au fabricant Stratasys, du Minnesota.

Solaxis utilise la technologie du fil de plastique (thermoplastique), qui est relié à une buse qui se déplace comme une tête d’imprimante en fonction de la forme de la pièce. La buse chauffe le fil pour le liquéfier et étend juste où il faut une mince couche de plastique qui se fusionne à la précédente.

Lors de notre passage à l’usine, un conduit d’aération en polycarbonate de 18 centimètres pour l’industrie aéronautique a été produit en 56 minutes.

Solaxis vient d’agrandir son usine. «Nous ne sommes pas encore dans la technologie des poudres métalliques, parce qu’elle n’est pas encore au point. Mais comme vous voyez, il y a de la place pour de l’expansion», lance fièrement M. Guilbault. «La technologie des poudres métalliques est plus avancée que ne le croient les dirigeants de Solaxis», estime toutefois Clément Fortin, du CRIAQ.

Solaxis, qui emploie 10 personnes dont 4 ingénieurs, produit des prototypes fonctionnels pour le cockpit du CSeries de Bombardier.

Solaxis est également le fournisseur de pièces de fabrication additive d’IBM, de Pratt & Whitney, de Prévost Car, d’Alstom, de la STM, d’Hydro-Québec, de BRP (pour son prototype canadien de rover lunaire et martien) et… du Cirque du Soleil, pour lequel elle produit les boîtiers à l’épreuve du feu qui contiennent des batteries que les artistes portent sur eux en spectacle pour illuminer leurs costumes. Une application toute simple mais qui, avec les techniques additives, a l’avantage de ne pas nécessiter de moule.

Une véritable révolution

Dans sa livraison de mars 2013, la prestigieuse Harvard Business Review (HBR) titrait «L’impression 3D va changer le monde». Rien de moins ! «Avec l’impression 3D, les facteurs qui ont fait de la Chine l’atelier du monde perdront de leur importance», écrit HBR, citant Richard A. D’Aveni, professeur à la Tuck School of Business, à Dartmouth, et auteur de Strategic Capitalism.

dominique.froment@tc.tc