En réalité, la fiducie à soi-même est bien plus un complément au mandat en cas d’inaptitude qu’un substitut.

Un outil de protection

La fiducie à soi-même comporte effectivement plusieurs avantages. Dans le livre Développements récents en successions et fiducies, Julie Loranger, notaire, présente cette structure comme un outil de prévention des abus financiers.

En quoi la fiducie à soi-même offre-t-elle une protection accrue ?

«Un tiers fiduciaire indépendant sera automatiquement impliqué dans la gestion financière. Cette personne n’a aucun intérêt éventuel dans la fiducie, ce qui lui permet de prendre des décisions objectives», explique Marie-Pier Cajolet, notaire et directrice principale, Fiducie et service conseil chez Gestion privée 1859 et Trust Banque Nationale.

Dans le cas des mandats en cas d’inaptitude, la gestion des finances est souvent confiée aux proches, qui sont moins impartiaux.

Autre avantage : «La fiducie permet d’éviter l’homologation et elle est plus flexible, puisqu’elle peut intervenir même lorsque le constituant n’est pas inapte», souligne Jean Turcotte, directeur, Planification fiscale et de l’assurance, à la Financière Sun Life.

À l’inverse, le mandat en cas d’inaptitude doit être homologué pour entrer en vigueur. L’homologation peut être refusée si la personne vulnérable est jugée partiellement apte ou si le mandataire nommé est rejeté en raison de son manque d’habiletés en matière financière.

Plus grande flexibilité

De plus, la fiducie offre une plus grande souplesse, car elle peut être modifiée même lorsque le bénéficiaire est inapte.

Dans le cas du mandat en cas d’inaptitude, des changements peuvent être apportés tant que le mandant est en bonne santé. Cependant, le tribunal refuse habituellement d’intervenir pour combler les lacunes du mandat lorsque le titulaire est inapte. «Il n’en va pas de même pour la fiducie», dit Marie-Pier Cajolet.

Elle cite l’exemple de la personne qui omettrait d’indiquer, dans son mandat en cas d’inaptitude, qu’elle contribue à un régime enregistré d’épargne-études (REEE). «Une fois que la personne sera inapte, ses contributions cesseront, remarque-t-elle. Mais cela ne se produira pas avec la fiducie.»

La notaire souligne cependant qu’en ayant recours aux services d’un expert pour rédiger le mandat, il est possible de le personnaliser davantage, voire, de le rendre plus flexible et sécuritaire.

Toutefois, le mandat peut parfois contenir de graves lacunes, du fait qu’il peut être rédigé devant deux témoins non concernés par son contenu, sans être notarié.

On pourrait par exemple omettre de mentionner dans le mandat que la personne contribue à un REEE. On pourrait aussi nommer un mandataire inexpérimenté en finance ou qui n’a pas le temps de s’occuper des finances du mandant.

Zones grises

Malgré ses avantages, la fiducie à soi-même a l’inconvénient de ne s’attarder qu’à la gestion des avoirs du constituant. Elle n’encadre pas les soins de santé.

Julie Loranger souligne toutefois qu’en l’absence d’un mandat en cas d’inaptitude, un conjoint ou un proche parent pourra donner le consentement médical.

Il reste que c’est dans le mandat en cas d’inaptitude qu’on peut donner des directives sur les décisions qui doivent être prises en ce qui concerne les soins de santé, la réanimation, le maintien artificiel de la vie ou l’hébergement.

Pour ce qui est du volet financier, la fiducie n’englobe pas tout.

Lors de la formation Fiducie ou mandat en prévision de l’inaptitude présentée devant l’Association de planification fiscale et financière, en 2012, Robert Laniel, notaire-fiscaliste spécialisé en planification successorale, faisait remarquer que les biens personnels n’y sont normalement pas transférés.

Alors que la fiducie ne contrôle ni la résidence ni les effets personnels, le mandat en cas d’inaptitude permet de s’assurer qu’une personne gère cet aspect des choses, notamment le paiement des taxes foncières.

Autre aspect : «Il est possible de transférer dans la fiducie des placements, des immeubles à revenu, des titres de sociétés privées, etc., sans qu’il y ait de disposition», remarque Jean Turcotte.

«Par contre, il est désavantageux d’y transférer des régimes enregistrés (REER, CELI), car ces portefeuilles perdent automatiquement leur enregistrement, ce qui implique que le titulaire doit payer de l’impôt», explique-t-il.

Par ailleurs, les revenus générés dans la fiducie sont imposés au taux d’imposition maximum. «Et il ne s’agit pas d’un taux progressif, note Marie-Pier Cajolet. Même 100 $ gagnés dans l’année seront imposés sur cette base.»

«Il est possible cependant d’éviter un prélèvement aussi élevé dans le cas où les revenus générés sont normalement imposés à taux moindre, souligne Jean Turcotte. Il faut tout simplement distribuer tous les revenus au constituant. Ceux-ci seront alors imposés à son nom.»

Une structure coûteuse

Dernier point important, la fiducie est beaucoup plus coûteuse qu’un mandat en cas d’inaptitude. «On peut facilement dépenser quelques milliers de dollars pour la mettre en place, auxquels s’ajoutent des frais d’administration annuels d’au moins quelques centaines de dollars», précise Jean Turcotte.

Il faut donc avoir un actif assez important pour qu’il vaille la peine de payer ces frais élevés.

Jean Turcotte fixe le plancher à 100 000 $. Et si le constituant ne veut pas y transférer ses régimes enregistrés, il devrait avoir cette somme sous une autre forme d’actif.