Yale et Harvard
Cela fait plus de 30 ans que les deux plus prestigieux fonds de dotation américains, ceux des universités Yale et Harvard, ont commencé à investir dans les placements que l’industrie du détail qualifie de «placements alternatifs».
Alors qu’en 1980, l’Université Havard investissait 66 % de son portefeuille en actions américaines et 34 % en revenu fixe, ces deux catégories d’actifs ne représentaient respectivement plus que 11 % et 10 % de sa caisse de 38 G$ US, au 30 juin 2015 1.
Pour Harvard, les placements en actifs tangibles sont désormais les plus importants en pourcentage, avec 23 % de l’allocation d’actifs. À Yale, plus de 50 % du portefeuille est constitué d’actions de sociétés privées (34,5 %) et de stratégies à rendement absolu (20,5 %). Leurs répartitions respectives sont différentes l’une de l’autre. La constante ? Une performance à long terme remarquable avec une volatilité moindre que celle des marchés publics des actions.
Par exemple, pour la période de 10 ans se terminant le 30 juin 2015, l’Université Yale a produit un rendement annuel net de 10 %, alors que sur 20 ans, ce chiffre se situe à 13,7 %. Les rendements les plus attrayants sur 10 ans ont été obtenus dans les actions privées et les actions étrangères, qui composent respectivement 32,5 % et 14,7 % du portefeuille.
Alors que Yale et Harvard financent le tiers de leurs budgets annuels respectifs par l’intermédiaire de leur fonds de dotation, certains pourraient être surpris d’apprendre que seulement 4,9 % du portefeuille de Yale et 10 % du portefeuille de Harvard est constitué d’obligations. Pourtant, les deux objectifs de placement principaux de ces fonds ressemblent à ceux des caisses de retraite ainsi qu’à ceux des particuliers retraités :
générer des flux de revenus stables afin de financer les opérations de l’université ;
protéger le capital contre l’inflation afin d’assurer la pérennité des programmes à très long terme.
Les revenus versés à l’Université Yale par son fonds de dotation ont augmenté de 6,7 % par année au cours de la dernière décennie, tandis que le capital a progressé de 15 à 26 G$ US. Leur méthodologie misant principalement sur les actifs non traditionnels semble avoir porté des fruits.
Cibles élevées
L’hypothèse de rendement à atteindre afin de maintenir les cotisations et les bénéfices aux niveaux actuels au fil du temps varie selon les régimes. Les principaux régimes canadiens répondent par contre à des normes en la matière. L’actuaire en chef du Canada détermine un taux de rendement réel projeté sur un horizon de 75 ans afin de maintenir la pérennité du régime au taux de cotisation actuel pour les principaux régimes canadiens tels que le Régime de pension du Canada (RPC) et Investissements PSP, qui, réunis, gèrent environ 360 G$. Ce taux est de 4,0 % pour le RPC et de 4,1 % pour PSP.
La première raison pour laquelle les caisses canadiennes se sont tournées vers les placements alternatifs est qu’elles doivent avoir un rendement réel qui serait pratiquement impossible à atteindre en ayant une politique très orientée sur les obligations, compte tenu de la faiblesse des rendements à l’heure actuelle.
La deuxième raison est la volatilité des marchés publics, plus difficilement prévisible à cause des nombreux facteurs qui l’influencent. Si on élimine l’évaluation de la valeur au marché quotidienne, les investissements privés permettent de limiter la volatilité et d’augmenter la prévisibilité des rendements, puisque l’évaluation de la valeur est réalisée à moins haute fréquence, le plus souvent par une firme indépendante.
Politiquement, c’est également beaucoup plus facile de composer avec une pondération plus grande dans des actifs non corrélés au marché. Cela permet de limiter les baisses importantes dans des années difficiles.
Finalement, la taille des caisses de retraite à titre d’investisseurs leur permet de saisir des occasions de placement impossibles à rendre accessibles aux particuliers. On peut, entre autres, penser aux investissements en infrastructure ou en immobilier, dont les projets les plus attrayants sont souvent de trop grande envergure et trop importants politiquement pour être rendus disponibles sur les marchés publics.
Prenons l’exemple du RPC. Lorsque l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada a commencé à gérer les entrées de fonds en 1999, le portefeuille était bâti uniquement avec des obligations gouvernementales qui ne se négociaient pas sur les marchés publics. En moins de 20 ans, le RPC a élargi sa palette d’actifs, et son avoir est désormais constitué à seulement 26 % d’obligations, à peine plus que les 23,7 % attribués aux placements privés divers (créances privées, immobilier et infrastructure).
Les cibles des clients riches
Un des principaux regroupements de particuliers aisés d’Amérique du Nord se nomme Tiger 21. Ce club très sélect réunit plus de 400 membres ultra nantis disposant d’actifs collectifs de près de 40 G$ US. Comment investissent-ils leur argent ?
Chaque trimestre, Tiger 21 publie sur son site web un sommaire de la répartition de l’actif de ses membres. Bien que le sommaire change légèrement sur de longues périodes, le constat est clair : environ la moitié de l’avoir de ces individus est investie en immobilier et en actions privées. Une forte proportion est également en actions de sociétés publiques, mais à peine 11 % est en revenu fixe. Fait intéressant à noter, les membres du Tiger 21 conservent constamment environ 10 % de leur fortune disponible en liquidités.
Les rendements de Tiger 21 ne sont pas diffusés publiquement. Toutefois, on peut imaginer qu’à l’instar d’investisseurs institutionnels mentionnés précédemment, leurs résultats sont fort probablement intéressants et décorrélés par rapport aux marchés traditionnels compte tenu de leur large diversification. Des leçons peuvent certes être tirées de leurs méthodes afin de s’en inspirer pour la gestion des portefeuilles de placement d’investisseurs plus communs – nantis ou non.