En voici quelques exemples.Louis Morisset, président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers (AMF), estime que l’intégration des activités de la Chambre de la sécurité financière (CSF) et de la Chambre de l’assurance de dommages au sein de l’AMF améliorera ce qui fonctionne bien en éliminant la confusion auprès du public.
Le Mouvement Desjardins appuie la création de ce «guichet unique» afin d’éviter qu’un client souhaitant porter plainte soit confus et ne sache pas vers qui se tourner.
Selon Yvan-Pierre Grimard, directeur aux relations gouvernementales, Québec, au Mouvement Desjardins, la responsabilité accrue des assureurs lors de la distribution d’assurance par Internet, tout comme l’élargissement de la couverture du Fonds d’indemnisation des services financiers et la création du comité consultatif des consommateurs au sein de l’AMF, sont autant de mesures contenues dans le projet de loi 141 qui protègent mieux le client.
Toutefois, au nom de la protection du public, Québec ne devrait pas permettre la distribution d’assurance sans intervention obligatoire d’un représentant, ni remplacer le modèle de discipline par les pairs par un simulacre de discipline par les pairs au sein du Tribunal administratif des marchés financiers, selon Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici, dont la position est partagée par bon nombre.
«Sans l’obligation d’être accompagné par ceux qui sont formés et encadrés pour le faire, on transfère la responsabilité de prendre de bonnes décisions et les risques qui viennent avec sur les épaules des consommateurs», a récemment déclaré pour sa part Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la CSF.
Par ailleurs, maintenant que le projet de loi est déposé, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes demande à ce qu’il soit adopté rapidement, justement afin que la distribution par Internet ait un cadre, alors qu’il n’en a pas actuellement. Avec un cadre, on protège mieux le public.
Tous les acteurs concernés utilisent le même argument afin de faire valoir leurs intérêts respectifs. On ne peut pas être contre la vertu, mais il faut quand même prendre du recul par rapport aux arguments des acteurs concernés.
La CSF veut protéger le public (et lutte pour sa propre survie), les conseillers veulent protéger le public (et garder l’autoréglementation et l’influence qu’ils exercent à travers elle) et les institutions financières veulent protéger le public (et se simplifier la vie en n’ayant qu’un seul interlocuteur en l’AMF, tout en ouvrant de nouvelles avenues d’affaires dans la distribution de produits financiers par Internet).
On ne peut donc pas nécessairement se fier uniquement à l’avis de ces divers acteurs afin de juger si le projet de loi 141 est une bonne réforme législative ou non. La question se pose : qui a réellement les intérêts du public à coeur face à cette réforme ?
Option consommateurs semble faire partie de ce groupe.
En conférence de presse, Annik Bélanger-Krams, avocate chez Option consommateurs, a été sans équivoque : «Le regroupement de la responsabilité d’encadrement à l’intérieur d’un seul organisme pourrait conduire à l’affaiblissement de l’encadrement des représentants au profit de l’encadrement des cabinets».
D’après elle, la réforme proposée entraînerait une concentration des mandats qui pourrait être problématique, alors que le régime actuel était efficace et atteignait son objectif de protéger les clients.
Pire, la mise à l’écart du représentant dans la distribution d’assurance en ligne représente un recul inacceptable en matière de protection du consommateur, selon Option consommateurs.
«Le consommateur moyen ne connaît pas bien les produits, c’est un profane dans ce domaine alors qu’il fait face à des initiés qui connaissent les règles du jeu et les produits, a déclaré l’avocate. Une mauvaise décision peut avoir des conséquences catastrophiques.» Option consommateurs a évoqué plusieurs autres reculs inacceptables en matière de protection du public, que nous évoquons dans certains textes de notre section «Nouvelles» de la présente édition.
Malgré tout ce qui a été déjà dit de cette réforme réglementaire, n’est-il pas inquiétant de voir Option consommateurs, un des rares interlocuteurs sans ligne d’action propre, sonner l’alarme aussi fort ? N’est-ce pas là un signe indéniable que le ministre des Finances doit prendre un peu plus de temps pour modifier le projet de loi 141 avant de l’adopter ?
De quel signe plus évident le gouvernement aurait-il besoin afin de comprendre que quelque chose ne va pas avec la protection du public, la vraie, dans cette réforme ? On ne parle pas ici de protection de l’industrie ou de maintien de l’équilibre entre réglementation et bonne tenue des affaires dans le secteur financier, mais bien de protection du public de base.
Après deux ans d’attente, le ministre des Finances, Carlos Leitão, a bien raison d’avoir hâte de conclure la réforme de l’encadrement du secteur financier, mais c’est aussi le moment de faire preuve de patience et de s’assurer de mettre en place le meilleur cadre réglementaire possible.
Une législation qui demeure aussi permissive pour la distribution sans représentant et qui transforme profondément la discipline par les pairs n’est pas nécessairement souhaitable. Une solution plus consensuelle, basée sur des compromis peut toujours être atteinte par un vrai dialogue et des consultations avec les différents acteurs concernés, pas seulement avec les plus puissants lobbys. À condition que le gouvernement se mette réellement en mode «écoute» et fasse un réel effort d’empathie. L’adoption d’un projet de loi est le bon moment pour atteindre ce consensus qui, à terme, permettra le meilleur encadrement de l’industrie des services financiers au Québec.
L’équipe de Finance et Investissement