Autrement dit, pour permettre aux gouvernements d’alléger leur dette, les taux d’intérêt sont gardés à un niveau artificiellement bas. Cependant, cela se fait au détriment des épargnants.
«Ce que Carmen Reinhart dit, c’est que le genre de conditions que nous avons en ce moment entraîne des taux d’intérêt relativement faibles», souligne Raymond Kerzérho, directeur de la recherche et président du comité de placement, PWL Capital, qui a assisté à la conférence.
Parallèlement, il précise dans sa «Minute économique», publiée sur le site de PWL Capital, que «les taux d’intérêt élevés peuvent porter le coup fatal aux gouvernements lourdement endettés. En effet, selon des études fondées sur cent ans d’histoire financière, lorsque la dette publique est aussi élevée qu’elle l’est actuellement dans plusieurs pays développés, les gouvernements font habituellement tout en leur pouvoir pour maintenir les taux au niveau le plus bas possible.»
Or, la Réserve fédérale (Fed) a annoncé qu’elle gelait son taux jusqu’en 2014.
De quoi se poser la question : y a-t-il répression financière aux États-Unis ? Mathieu D’Anjou, économiste principal chez Desjardins, tend à répondre que non. «C’est une question d’interprétation. Je ne pense pas que les États-Unis pratiquent volontairement la répression financière. C’est clair, à notre avis, qu’il y a une certaine distorsion dans le marché de la dette américaine en ce moment, ce qui fait que les taux sont plus bas que ce qu’ils ne devraient. Cependant, nous sommes face à une banque centrale qui fait tout pour assouplir sa politique monétaire et pour relancer l’activité économique», précise-t-il.
La mondialisation
Le problème est que les États-Unis ne sont pas seuls à être accablés par une dette record. En Europe, la crise de la dette se poursuit. Après les crises grecque et espagnole, les soubresauts portugais et italiens, Chypre annonçait à la mi-décembre que le pays risquait à son tour le défaut de paiement.
Le pays demande à l’Union européenne et au FMI une aide qui pourrait atteindre 17,5 milliards d’euros (22,5 G$). Cependant, il n’obtiendra vraisemblablement pas de plan de sauvetage avant le mois de mars. Face à l’approche des élections présidentielles chypriotes, les 17 et 24 février, les ministres des Finances de la zone euro semblent vouloir attendre de négocier avec le futur président.
«Il y a deux manières de régler une dette : la première consiste à gagner du temps en exerçant une pression à la baisse sur les taux d’intérêt. La seconde, c’est d’examiner les programmes gouvernementaux et de voir comment l’État est géré pour pouvoir renverser la vapeur», analyse Raymond Kerzérho.
Moins de pression
En Espagne, par exemple, on peut suspecter un cas de répression financière. Certes, le pays tente une cure d’austérité draconienne pour réduire ses déficits et baisser sa dette, mais il n’est pas le seul.
La France paie actuellement des taux extrêmement bas sur sa dette. Ce qui soulève certaines questions, car l’Hexagone a connu de bien meilleures situations économiques et financières. Il est quand même étonnant qu’on s’inquiète autant de la dette d’un gouvernement, alors que celui-ci ne s’est jamais aussi facilement financé.
«Le fait que les taux soient si bas réduit la pression sur les gouvernements pour agir. Cela leur donne beaucoup plus de marge de manoeuvre, et cela repousse peut-être un peu les décisions nécessaires», explique Mathieu D’Anjou.
L’idéal serait que les gouvernements mettent de l’ordre dans les finances publiques, tout en espérant que la croissance reprenne. Dans le passé, Paul Martin, ministre des Finances du Canada de 1993 à 2002, a montré qu’il était possible d’éliminer le déficit budgétaire et de diminuer la dette nationale.
Les économies mondiales sont aujourd’hui en meilleure santé qu’en 2008-2009. «La croissance mondiale est actuellement autour de 3 %, poursuit Mathieu D’Anjou. Nous espérons qu’elle atteindra environ 3,3 % en 2013. Cela ne suffira pas à donner de l’élan, mais par la suite, nous espérons qu’elle tournera autour de 4 %, ce qui aiderait beaucoup.»
Pour l’économiste principal de Desjardins, les nouvelles réglementations qui ont été mises en place depuis la dernière crise jouent également un rôle dans tout cela.
«Si l’on parle de Bâle III, qui incite les banques à détenir de la dette des gouvernements, je ne crois pas que l’intention était mauvaise. Le but était, je pense, de permettre aux institutions financières d’être plus stables. C’est sûr que le geste s’apparente un peu à ce qui pourrait être fait en terme de répression financière.»
Surveiller l’inflation
Un autre élément préoccupant est que les banques centrales parlent toujours plus de la stabilité financière, au détriment parfois du risque d’inflation.
Pour l’heure, il n’y a pas de poussée inflationniste aux États-Unis, la Fed peut donc se permettre d’attendre 2014-2015 avant de relever son taux directeur. Dans cette économie ouverte, le Canada est également touché par la situation et calque pour le moment ses actions sur celles de son voisin du Sud.
En revanche, les obligations canadiennes sont toujours recherchées, notamment par les investisseurs étrangers. Il faut dire que le Canada jouit encore d’une cote de crédit AAA.
«On ne peut pas abandonner les obligations sous prétexte qu’elles ne procurent pas la sécurité totale. En gestion de portefeuille, la sécurité totale n’existe pas. Un portefeuille bien structuré ne devrait pas écarter les risques. Il devrait essayer de créer un équilibre entre les différents risques qui existent parce qu’en éliminant un risque dans un portefeuille, on en accentue d’autres. On peut en revanche éliminer le risque de concentration et bâtir un portefeuille qui traversera les tempêtes», dit Raymond Kerzérho.