Depuis, le peuple ukrainien a renversé son régime pro-russe, la Crimée s’est rattachée à la Russie, et des régions russophones de l’est de l’Ukraine veulent avoir plus d’autonomie, voire faire sécession.

Or, depuis le déclenchement de cette crise politique, les tuiles s’accumulent sur la Russie, qui éprouvait déjà certains problèmes.

«La crise en Crimée et en Ukraine a accentué les problèmes économiques de la Russie», souligne Pierre Fournier, analyste en géopolitique à la Financière Banque Nationale (FNB). Le rouble s’est déprécié, la Bourse russe a reculé, et des investisseurs ont commencé à rapatrier leurs capitaux.

«On assiste à une fuite de capitaux, ce qui est négatif pour la Russie», précise Pierre Fournier.

D’ailleurs, cette fuite de capitaux s’accélère, montrent les chiffres de la banque centrale russe. Au premier trimestre de 2014, la fuite des capitaux de Russie a atteint 63,7 G$ US, un montant semblable au montant des capitaux ayant quitté la Russie pendant tout 2013.

Problèmes structurels

De plus, la Russie fait face à des problèmes structurels qui minent son potentiel de croissance économique, selon l’analyste.

En effet, la population diminue en raison d’un taux de fécondité bas et d’une faible immigration. Cela fait diminuer le bassin de main-d’oeuvre depuis 2009, alors qu’un million de Russes, sur une population de 143 millions, prennent leur retraite chaque année.

La Russie est aussi extrêmement dépendante de ses exportations de pétrole et de gaz naturel en Europe, ce qui rend le pays vulnérable aux cycles économiques.

En 2012, les revenus gaziers et pétroliers ont compté pour 52 % du budget du gouvernement fédéral russe, selon la firme PFC Energy. De plus, le gaz naturel et le pétrole représentent plus de 70 % des exportations totales du pays.

Par ailleurs, les entreprises manufacturières russes sont dans l’ensemble peu concurrentielles par rapport aux sociétés étrangères, selon Pierre Fournier.

D’une part, elles ne sont pas concurrentielles par rapport aux manufacturiers de pays émergents comme la Chine, qui misent sur de bas coûts de production. D’autre part, elles sont à la traîne par rapport aux entreprises européennes, qui sont plus productives et qui utilisent de meilleures technologies.

Selon Pierre Fournier, les problèmes structurels du pays et la crise en Ukraine créent un climat défavorable aux investissements en Russie.

«Comme investisseur, est-ce un risque que l’on veut prendre à long terme, compte tenu du manque de stabilité ? Personnellement, je répondrais non», indique l’analyste de la FBN.

De quoi miner la confiance

Yves Zlotowsky, économiste en chef de Coface, une firme française qui assure les risques commerciaux des sociétés à l’étranger, juge lui aussi que la Russie est un marché risqué.

«Le risque de ne pas être payé s’est accentué», affirme ce spécialiste de la Russie, joint à Paris. Selon lui, cette situation existait avant la crise en Ukraine ; les tensions et les sanctions économiques risquent toutefois de l’accentuer.

Le non-respect du droit de propriété est aussi un autre problème structurel en Russie, ajoute Yves Zlotowsky. Une situation qui mine même la confiance des investisseurs russes.

En 2013, les investissements intérieurs ont légèrement reculé de 0,03 % en Russie, selon Coface. Cette érosion de la confiance tient au manque de réformes économiques dans le pays, affirme l’économiste en chef.

«Par le passé, de nombreuses personnes fondaient beaucoup d’espoir dans l’ancien président russe Dimitri Medvedev [qui a présidé le pays de mai 2008 à mai 2012]. Toutefois, ses promesses de réformes pour libéraliser l’économie ne se sont pas concrétisées», explique Yves Zlotowsky.

Il précise que le retour de Vladimir Poutine à la présidence a érodé davantage la confiance des milieux économiques et financiers.

Selon l’économiste, beaucoup de gens d’affaires et d’investisseurs jugent qu’ils devraient éviter d’investir en Russie actuellement, car le climat des affaires y est trop contraignant.

Autre problème : la corruption, qui est endémique dans le pays. La Russie est d’ailleurs classée au 176e rang sur 215 pays pour ce qui est de la lutte à la corruption, selon l’indice de gouvernance de la Banque mondiale.

Ce climat place une épée de Damoclès au-dessus de la tête des entreprises et des investisseurs. «Si on réussit trop bien en Russie, les risques que nos actifs soient confisqués par un tribunal ne sont pas du tout nuls», dit Yves Zlotowsky.

Les tribunaux russes seraient toutefois plus favorables aux multinationales en cas de conflit avec une société russe, du moins selon un récent rapport du consultant russe Macro-Advisory (Myths and Misconceptions about Russia, octobre 2013). Ainsi, quatre fois sur cinq, l’entreprise étrangère gagne son litige contre une entreprise locale. Cette information est difficile à vérifier.

Quelques améliorations

Une source diplomatique canadienne à Moscou, qui souhaite garder l’anonymat, souligne que le président Poutine n’est pas hostile aux multinationales et aux investisseurs étrangers.

«Il a fait adopter des mesures afin de réduire la paperasse et alléger la réglementation. Selon la Banque mondiale, plusieurs indicateurs économiques se sont même améliorés», remarque cette source diplomatique.

Depuis un an, il est vrai que certaines choses vont mieux en Russie. Il est par exemple beaucoup plus facile d’y créer une entreprise ou d’y enregistrer une propriété, d’après les indicateurs mesurés par la Banque mondiale.

Par contre, la protection des investissements et l’obtention de crédit se sont légèrement dégradées.

Une place à occuper

Malgré les risques actuels, la Russie demeure un marché intéressant pour les entreprises et les investisseurs étrangers, soutient Ekaterina Turkina, spécialiste de la Russie à HEC Montréal.

«De grandes entreprises européennes, telles que Renault, Siemens et Nokia, investissent en Russie», dit-elle.

Si les entreprises canadiennes tournent le dos à la Russie et arrêtent d’y investir en raison de la crise en Ukraine, d’autres multinationales prendront tout simplement leur place, fait remarquer Ekaterina Turkina.

Et si les Canadiens veulent recommencer à y investir après la crise, ils auront de la difficulté à reprendre leur place sur le marché russe, et ce, dans un contexte où de nouveaux secteurs émergent.

Conscient de sa dépendance au secteur des hydrocarbures (gaz naturel et pétrole), le gouvernement russe veut diversifier l’économie de la Russie.

Six secteurs sont prioritaires : l’efficacité énergétique ; les technologies nucléaires ; les technologies de l’information et les logiciels ; les nanotechnologies ; l’ingénierie spatiale et les télécommunications ; ainsi que les technologies médicales et pharmaceutiques.

De plus, la Russie compte sur certains secteurs très dynamiques, souligne Yves Zlotowsky, économiste en chef de Coface.

«Pour les biens de consommation, la Russie a été un paradis au cours des dernières années», dit-il.

«Une entreprise qui vend des produits agroalimentaires ou des vêtements de luxe, sans parler de l’immobilier, peut y faire de bonnes affaires. La grande question est de savoir comment l’économie russe sera touchée par la crise en Ukraine», précise Yves Zlotowsky.

Les investisseurs doivent cependant faire preuve de prudence en Russie, souligne Pierre Fournier, analyste en géopolitique à la FNB.

«Si vous avez déjà investi dans le pays, la solution est de faire de votre mieux pour vous en tirer. Mais si on pense à investir en Russie, il vaudrait mieux attendre au moins que la situation en Ukraine se règle, à moins d’avoir une haute tolérance au risque», affirme-t-il.