En plus du profit qu’il a réalisé en vendant ses actions, Christopher Gagnon était surtout satisfait de faire partie d’un mouvement qui, pour une rare fois, a damé le pion à des poids lourds de Wall Street.
Comme d’autres boursicoteurs québécois, ce spéculateur sur séance s’est intéressé à la récente frénésie boursière provoquée par la visibilité de certains titres dans les médias sociaux, un engouement qui soulève certaines inquiétudes chez le gendarme boursier de la province.
« J’étais content de voir que pour une fois, ce n’était pas les petits investisseurs qui se sont fait avoir, mais plutôt les gros vendeurs à découvert et c’est une bonne affaire », a relaté Christopher Gagnon, jeudi, au cours d’un entretien téléphonique en expliquant avoir acheté des actions à la fois dans l’espoir de réaliser un gain et pour « passer un message ».
Cette semaine, la mobilisation de petits investisseurs dans les réseaux sociaux comme Reddit a fait monter en flèche le cours de titres comme le détaillant de jeux vidéo GameStop (EB Games au Québec) ainsi que la chaîne américaine de salles de cinéma AMC, deux entreprises qui éprouvent pourtant des difficultés. Le phénomène a provoqué d’importantes pertes au sein de firmes d’investissement pratiquant la vente à découvert, qui empruntent des titres dont elles prédisent le recul pour les vendre, puis les racheter à rabais et ainsi effectuer un gain en retournant leur emprunt.
Dans le cas d’AMC, Christopher Gagnon, qui s’est dit bien au fait des risques de la spéculation sur séance et qui s’informe notamment par l’entremise de groupes d’investisseurs sur Facebook ainsi que sur la plateforme StockTwits, a dit avoir réalisé un gain de 30 % sur une somme de « plusieurs milliers de dollars investie ».
« Je surveillais l’entreprise depuis un certain temps, a-t-il dit. Quand j’ai vu que tout le monde en parlait partout. J’ai vendu mes actions parce qu’à un moment donné, tu ne veux pas te faire avoir. »
C’est au début de la pandémie que Steve Briau Seha a décidé d’effectuer lui-même ses transactions boursières. Jusqu’à tout récemment, il n’avait jamais entendu parler de Reddit et s’intéressait à des titres d’entreprises bien établies comme des banques.
Néanmoins, ce qu’il a lu sur les réseaux sociaux l’a incité tourner son attention vers les titres de GameStop et AMC. Steve Briau Seha a dit avoir réalisé un profit mais a préféré ne pas le préciser.
« Habituellement, je ne me lance jamais dans ce qui touche la distribution, a-t-il expliqué, au bout du fil. J’ai décidé de tenter le coup avec moins de 10 % de mon portefeuille. Quand j’ai vu que ça n’arrêtait pas de monter, je suis sorti pour faire un petit profit. Je pense conserver cette stratégie avec les réseaux sociaux. »
Cette spéculation boursière en proie à Wall Street a eu des répercussions, jeudi, alors que des plateformes de courtage en ligne comme Robinhood, qui sont prisées par les spéculateurs sur séance, ont décidé de restreindre les transactions sur des titres comme GameStop.
Pour Christopher Gagnon, il s’agit d’un exemple illustrant que les gros joueurs finissent toujours par l’emporter en Bourse.
« Cela fait seulement montrer que quand eux perdent, ce n’est pas correct, mais quand nous on perd, c’est comme cela que ça fonctionne, a-t-il déploré. Pour une fois, cette semaine, ce sont les gros joueurs qui ont encaissé des pertes. »
Mise en garde
Ces exemples de gains ne sont toutefois pas la norme en Bourse, et à la lumière des événements des derniers jours, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a servi une mise en garde aux petits investisseurs.
Dans un courriel, son porte-parole, Sylvain Théberge, a souligné que le gendarme boursier était « très préoccupé » par la situation.
« L’Autorité est particulièrement préoccupée envers les investisseurs sans expérience ou les spéculateurs qui prennent part ou seraient tentés de prendre part à ce phénomène, a-t-il écrit. Car malheureusement, l’engouement pour ces titres risque d’être de courte durée et leur valeur chuter tout aussi rapidement. »
Dans le cas de GameStop, Stephen Foerster, professeur à l’Ivey Business School de l’université Western Ontario, a fait remarquer que le cours de son action se situait bien au-delà de sa fourchette habituelle.
Cette entreprise a perdu 1,6 milliard de dollars américains au cours des 12 derniers trimestres et son titre en décliné pendant six années consécutives avant de rebondir en 2020.
« Ce que nous observons est très similaire à il y a quelques décennies, pendant la soi-disant bulle technologique, a expliqué le professeur. Les actions n’étaient pas négociées en fonction de leurs perspectives réalistes, comme la rentabilité. »
Les titres étaient plutôt négociés pour des raisons qui, finalement, ne reposaient pas sur des principes fondamentaux, a dit Stephen Foerster.
(Avec des informations d’Anita Balakrishnan)