Le Groupe avait déjà fait état de cette situation dans une étude publiée en 2012. Il revient à la charge dans ses «Réflexions sur l’encadrement des services de courtage en épargne collective», présentées le 30 septembre 2015 dans le cadre des consultations sur la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) (http://tinyurl.com/hbfzscg).
Cela soulève la question à savoir qui devrait superviser l’industrie : l’Autorité des marchés financiers (AMF), la Chambre de la sécurité financière (CSF) ou l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) ?
De rares sanctions
Dans leurs «Réflexions» publiées cet automne, Raymonde Crête et Cinthia Duclos, du Groupe de recherche en droit des services financiers, rappellent que «notre étude parue en 2012 suggère que les courtiers en épargne collective et leurs dirigeants au Québec bénéficient d’une immunité légale et de facto en matière déontologique et disciplinaire, comparativement à leurs homologues ailleurs au Canada».
En effet, l’étude de 2012 révélait qu’entre janvier 2005 et septembre 2011, seulement quatre décisions disciplinaires ont été rendues contre des dirigeants de courtiers en épargne collective travaillant au Québec, soit une par l’AMF et trois par la CSF. En comparaison, 22 décisions ont été rendues par l’ACCFM ailleurs au Canada (http://tinyurl.com/zog5c9y).
«Rien ne permet de justifier le nombre significativement plus faible de décisions rendues au Québec. Il est vrai que les dirigeants surveillés par l’ACCFM sont plus nombreux que ceux soumis à l’encadrement des organismes québécois, mais ils ne le sont pas cinq fois plus, à l’instar du nombre de décisions rendues au Québec», lit-on dans l’étude de 2012.
De plus, les auteurs constatent que bien souvent, les sanctions exercées contre les dirigeants de courtiers en épargne collective au Québec ne portent pas directement sur leurs actions à titre de dirigeant, mais plutôt sur leurs actions à titre de représentant.
La CSF aux aguets
Les chercheurs remarquent cependant que lorsque la CSF intervient à l’encontre d’un dirigeant en raison de son inscription comme représentant, elle tient compte du statut de dirigeant comme d’un facteur aggravant dans la détermination de la sanction.
Ce que confirme Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la CSF : «Les principes du droit disciplinaire veulent que l’on tienne compte de circonstances atténuantes ou de facteurs aggravants lors de l’établissement d’une sanction. Si un accusé occupe une position de leadership, ce sera peut-être considéré comme un facteur aggravant. Le comité de discipline pourrait être plus sévère, car la personne fautive a plus de responsabilités», explique-t-elle.
Cependant, la CSF ne peut exercer aucun recours contre un dirigeant qui n’est pas représentant. La supervision des cabinets et de leur chef revient à l’AMF.
Dispersion des tâches
La plus grande sévérité, du moins en apparence, de l’ACCFM, pourrait s’expliquer par le fait qu’elle exerce son pouvoir de réglementation sur les trois types d’intervenants de l’industrie : le courtier, les membres de la direction ou les dirigeants, et les représentants.
Au Québec, en vertu de la LDPSF, c’est la CSF qui assume la surveillance et le contrôle des représentants en matière déontologique et disciplinaire. Elle le fait par l’intermédiaire du comité de discipline, qui entend les causes portées à son attention.
Quant aux courtiers et aux dirigeants, c’est à l’AMF et au Bureau de décision et de révision (BDR) que revient le devoir de veiller à leur bonne conduite, en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières et du Règlement 31-103.
Rappelons que depuis la réforme de l’inscription en 2009, l’AMF dispose de pouvoirs en matière d’inscription et de pouvoirs d’inspection, d’enquête et de sanction à l’égard des personnes inscrites, y compris les courtiers en épargne collective et leurs représentants.
Quant au BDR, il s’agit d’un tribunal administratif spécialisé qui constitue en quelque sorte le bras semi-judiciaire de l’AMF. À la demande de l’AMF, il peut imposer des sanctions disciplinaires à des courtiers, à des représentants et à des dirigeants exerçant la fonction de «personne désignée responsable» et de «chef de la conformité».
Les autres dirigeants ou actionnaires échappent donc à son contrôle. Cela pourrait expliquer le plus petit nombre de sanctions contre les dirigeants au Québec.
Améliorer l’encadrement
Raymonde Crête et Cinthia Duclos déplorent l’absence dans la province de cette harmonisation dans la réglementation que l’on retrouve ailleurs au Canada. C’est pourquoi les professeures souhaiteraient que le ministère des Finances du Québec étudie la possibilité de modifier l’encadrement de l’épargne collective.
Elles voudraient «qu’un même organisme de surveillance puisse intervenir en matière déontologique et disciplinaire à l’égard de l’ensemble des acteurs, soit les courtiers en épargne collective, leurs dirigeants et leurs représentants».
Selon elles, un encadrement unique applicable aux trois groupes permettrait de surcroît de tenir compte, non seulement du comportement fautif d’un représentant faisant l’objet d’une enquête, mais également de l’environnement organisationnel dans lequel celui-ci évolue et qui pourrait l’avoir influencé.
Ce qui revient à dire que parfois, les dirigeants sont également à blâmer lorsqu’un représentant commet une faute, et que le régulateur devrait avoir le pouvoir d’intervenir contre celui-ci également.
Les chercheuses proposent donc trois pistes de solution (voir l’encadré).
L’étude de 2012 constatait d’ailleurs un contraste étonnant par rapport à la situation qui prévaut chez les représentants des courtiers : «Malgré les pouvoirs moins étendus attribués aux autorités québécoises (BDR, AMF et CSF), les représentants de courtiers au Québec bénéficient d’un encadrement déontologique et disciplinaire spécifique et plus étoffé que celui qui est appliqué aux courtiers et aux dirigeants en raison de la surveillance et du contrôle exercés par la CSF».
Ainsi, seulement 15 % des sanctions prises contre les dirigeants à l’échelle pancanadienne le sont au Québec, par rapport à 48 % des décisions contre les représentants. (voir le tableau)
L’AMF intervient davantage
L’AMF s’est dit dans l’impossibilité de commenter les réflexions du Groupe de recherche en droit des services financiers, étant donné qu’elle n’avait pas encore pu les analyser en profondeur.
À sa décharge, mentionnons que les auteurs de l’étude n’ont recensé que les sanctions disciplinaires, ce qui peut donner un portrait déformé de la réalité. Rappelons que le droit québécois accorde à l’AMF des recours, notamment en matière en matière de droit pénal, que d’autres régulateurs ne peuvent pas forcément exercer.
De plus, un survol des dernières décisions du BDR effectué par Finance et Investissement semble montrer que le nombre de causes instruites par l’AMF à l’encontre des dirigeants de cabinets s’est accru.
En 2015, l’AMF a saisi le BDR de 153 causes. Toutefois, celles-ci portaient tant sur des cabinets d’épargne collective que sur des cabinets se spécialisant exclusivement dans l’assurance ou des entreprises spécialisées dans d’autres services financiers (comme des bureaux de change, des négociants de divers types de produits dérivés, des courtiers hypothécaires ou spécialisés dans les devises, etc.).
Dans cinq de ces causes, l’AMF a réussi à faire sanctionner des dirigeants d’un cabinet d’épargne collective ou d’un cabinet multidisciplinaire. C’est plus au cours d’une seule année que sur l’ensemble de la période de plus de six ans visée par l’étude du Groupe de recherche de l’Université Laval.