Cette division, des plus stratégiques pour la Banque Nationale, a généré des revenus de plus de 1,4 G$ l’an dernier et des bénéfices nets de 441 M$ avant impôts. Elle représente le quart des revenus totaux de la Banque Nationale, qui se sont élevés à 5,7 G$ en 2015.
Cependant, les gros chiffres n’effraient pas Martin Gagnon. Avant d’être recruté à la Gestion de patrimoine, il dirigeait quatre segments d’affaires différents à la Banque Nationale : Partenariat, Réseau des Correspondants (NBCN), Courtage direct (NBDB) et Banque Nationale Trust. Un mini empire dans l’empire !
«Je l’appelais mon petit Paul Desmarais !» lance son prédécesseur, Luc Paiement, qui a créé la division Gestion de patrimoine de la Banque Nationale en 2008 et qui agit maintenant à titre de conseiller à la direction. «Martin, c’est un cérébral qui est bon avec le monde», décrit ce vétéran de l’industrie, fier d’avoir trouvé sa succession au sein de son équipe.
Malgré quelques détours, Martin Gagnon a toujours gravité autour de la Banque Nationale. Il a été engagé une première fois en 1987, pour un emploi d’été pendant ses études en finance à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). On lui propose d’autoriser des transactions de crédit Mastercard.
«Ça payait moins bien que l’usine de chaussures tout près de la maison de mes parents, alors j’ai dit à la conseillère en ressources humaines que si je prenais l’emploi, il faudrait que ce soit vraiment l’fun !» raconte Martin Gagnon.
Le plaisir pour lui, ce sont les marchés financiers. Il est passionné par les mathématiques, les algorithmes complexes, le calcul du risque et du rendement. Une semaine plus tard, il est transféré dans le Groupe d’ingénierie financière où il remplace un autre étudiant.
Vers New York
Il restera à la Banque pendant plus de six ans, jusqu’à ce que Goldman Sachs lui fasse une offre pour aller travailler à Toronto. Là-bas, il participe à la création et à l’émission des premières obligations canadiennes adossées à des créances hypothécaires.
Cependant, il quitte cet emploi sur un coup de tête en 1995, à cause d’une mésentente au sujet d’un boni. Il voyage pendant plusieurs mois partout dans le monde, dans des endroits aussi reculés que le Yémen, sac au dos, avec sa compagne. À son retour, après un bref passage à la Banque Laurentienne, il retourne chez Goldman Sachs, cette fois sur Wall Street, à New York.
Les déserteurs ont rarement une deuxième chance dans cette banque d’affaires réputée, mais Martin Gagnon est l’exception qui confirme la règle. «Ils avaient besoin d’un francophone pour s’occuper de la Caisse de dépôt, dit Martin Gagnon. Ils montaient une nouvelle équipe pour s’occuper des clients institutionnels canadiens au niveau des actions. Il s’agissait donc d’une nouvelle activité pour Goldman Sachs.»
De 1995 à 2001, il vit la frénésie du bullmarket, installé avec son épouse en plein coeur de Manhattan. «C’était des années vraiment l’fun. Là bas, vous êtes avec les meilleurs, et vous travaillez toujours plus fort parce que tout le monde est bon», raconte le financier.
Après la naissance de son premier enfant, le couple décide de rentrer au pays. Martin Gagnon retourne frapper à la porte de Louis Vachon, qui lui propose la direction d’Innocap, une plateforme de fonds de couverture que la Banque vient tout juste de créer.
«On a pris ce petit actif de 400 M$, et en cinq ans, on l’a fait monter à près de 4 G$. La crise financière a été difficile, mais Innocap est maintenant reconnu sur la scène mondiale, et a des mandats partout dans le monde», dit fièrement Martin Gagnon.
Martin Gagnon affiche ses réalisations sans fausse modestie. «C’était le genre de gars bon dans tout», dit la comédienne Pascale Létourneau, qui l’a bien connu à la fin de ses études secondaires à l’Externat Sacré-Coeur de Rosemère. «Il avait un côté très boute-en-train, sociable et rassembleur. On aurait pu penser qu’il n’était pas sérieux du tout, mais il avait la bosse des maths, c’était tout naturel pour lui.»
Rien ne prédestinait ce fils d’un employé de fonderie et d’une mère enseignante à une carrière dans les chiffres. Et encore moins en finance. «Mon père nous a toujours dit à ma soeur et moi que nous n’aurions pas d’héritage, mais que nous aurions une éducation», dit-il.
Détenteur d’un MBA de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), Martin Gagnon porte aussi le titre d’analyste financier agréé, mieux connu sous son appellation anglaise de Chartered Financial Analyst (CFA), une des certifications les plus prestigieuses de l’industrie. Le boss des maths, c’est lui !
Cet équilibre rare entre les deux hémisphères de son cerveau est ce qui fait sa grande force, admet son entourage. Et c’est sans doute ce qui l’aidera à atteindre ses prochains objectifs. Son mandat à la Gestion de patrimoine est de continuer de faire croître cette division clé pour la banque et de continuer son expansion hors Québec, notamment par l’ouverture d’autres succursales de Gestion privée 1859, comme celles qui ont été inaugurées à Calgary et à Vancouver en 2016.
«C’est un secteur très concurrentiel, alors la Banque doit jouer ses cartes différemment pour gagner. Il ne faut pas seulement défier le statu quo, il faut réécrire les règles», dit-il.
Par l’intermédiaire de Banque Nationale Investissements (BNI), la Banque Nationale mise sur son architecture ouverte pour se démarquer de la concurrence. «Toutes les autres banques canadiennes sont intégrées verticalement, alors si vous leur demandez quelles sont leurs priorités, elles vont vous parler de leur gestionnaire de portefeuille d’abord, ensuite de leurs réseaux de distribution et de leurs clients. Moi, je veux renverser ça et focaliser sur le client», explique Martin Gagnon.
«S’il veut des actions de petite capitalisation et que le meilleur gestionnaire pour ça est à Thunder Bay, c’est à lui qu’on va donner le mandat. S’il veut des actions japonaises, on va aller chercher ce qu’il y a de mieux au Japon», précise le vice-président.
La Banque a toutefois un défi de rentabilité que les autres institutions n’ont pas. «Le pari qu’on fait, c’est qu’en se concentrant sur le client, on va augmenter nos parts de marché, et le petit sacrifice qu’on fait sur nos marges sera compensé», répond Martin Gagnon.
Sang-froid
Il en faut plus pour ébranler cet homme, adepte de plongée sous-marine depuis une vingtaine d’années. En 2014, il a pris part à une expédition sur l’épave de l’Empress of Ireland, ce paquebot qui a sombré en 1914 et qui gît à 42 mètres de profondeur dans l’estuaire du Saint-Laurent.
«C’est comme l’Everest pour les alpinistes», illustre Stéphanie Labbé, instructrice à l’école de plongée Nautilus de Québec, qui organise à l’occasion des expéditions sur la célèbre épave. «C’est une plongée très technique et risquée, parce qu’on ne peut pas remonter comme bon nous semble, mais Martin est un gars très calme et qui se maîtrise», dit la jeune femme.
Il en faut, du sang-froid, pour affronter les bouleversements qui frappent l’industrie financière, dont la vague de nouvelles normes réglementaires qui déferle depuis quelques années. «Des fois, je pense qu’on perd de vue que notre job, c’est de travailler pour le client», dit-il en soupirant.
«Quand tout ce que ça fait, c’est d’augmenter les coûts, que plein d’acteurs n’arrivent plus à survivre et qu’on ne peut plus servir les petits comptes, est-ce qu’on sert bien le client ?» se demande Martin Gagnon.
En parallèle, il s’inquiète de la situation financière des retraités, victimes de la faiblesse des taux d’intérêt. «Un conseiller m’a raconté qu’il a dû dire à un client de réduire radicalement son train de vie s’il voulait avoir de l’argent, et la personne en question est millionnaire !»
Dans ce contexte, le rôle du conseiller prend de plus en plus de valeur, selon Martin Gagnon. «C’est de moins en moins de décider d’acheter du Bombardier ou non, et de plus en plus de guider le client vers les comportements les plus appropriés», dit-il. Et en cas de panique sur les marchés, le conseiller évitera souvent à son client de faire des gaffes majeures.
Pour Martin Gagnon, il est hors de question de se laisser aller à la panique, et ce, en services financiers comme en plongée. «À 50 mètres de profondeur, quand ton instructeur coupe ton air et t’arrache ton masque, paniquer n’est pas la solution. Si tu as un masque et des bouteilles additionnelles, tu changes de détendeur, et en trois secondes tu vas avoir de l’air.»