Selon lui, ces erreurs ont coûté une « véritable fortune » aux contribuables canadiens, dont l’une qui aura coûté à elle seule au moins 2,5 G$, d’après son analyse. Le fiscaliste, qui se porte défenseur de contribuable et de la classe moyenne, n’en peut plus et publie le premier bulletin d’une série de bulletins dans lesquels il montre du doigt des cas où l’inertie du ministère des Finances du Canada aurait « causé d’importants préjudices aux contribuables ».
D’abord, Yves Chartrand montre du doigt l’ajustement retardé de six ans à l’imposition de dividendes ordinaires, laquelle omission a coûté au moins 2,5 G$ selon ces estimations.
L’histoire de cette situation remonte à 2008. Le taux d’imposition fédéral des petites entreprises passe de 13,12 à 11,0 %. Le problème est que cette baisse ne s’accompagne pas d’ajustement dans d’autres paramètres de la fiscalité des particuliers, afin de respecter le principe d’intégration.
Le principe d’intégration en fiscalité est un concept voulant qu’un particulier qui gagne un revenu soit imposé de la même façon qu’il l’ait gagné directement, comme sous forme d’un salaire, ou qu’il l’ait gagné indirectement, par l’intermédiaire d’une société par actions qui lui verse un dividende.
En conséquence, une iniquité se crée en faveur des actionnaires, laquelle a été notée dans le budget fédéral de 2013, qui prévoit que des ajustements en ce sens s’appliqueront en 2014.
Parmi les ajustements proposés, ce budget mentionnait que le crédit d’impôt pour dividendes (CID) ordinaires et le facteur de majoration correspondant qui s’appliquait alors aux dividendes non déterminés avantageaient les particuliers rémunérés sous forme de dividende, lit-on dans le budget fédéral de 2013 : « Un particulier recevant un dividende d’une société se trouve dans une situation fiscale plus avantageuse qu’un particulier qui aurait tiré ce revenu directement. Pour assurer un traitement fiscal satisfaisant du revenu de dividendes, le budget de 2013 propose de rajuster le facteur de majoration qui s’applique aux dividendes non déterminés (…) ainsi que le CID correspondant (…) »
Yves Chartrand dénonce « ce cadeau fiscal accordé à tort de 2008 à 2013 aux contribuables canadiens qui ont gagné du revenu de dividende autre que déterminé ».
« Il ne faut pas oublier que le ministère des Finances du Canada est le fiduciaire de notre richesse collective », dit-il, jetant la faute sur les fonctionnaires de ce ministère et non sur le ministre.
Il n’a pas été possible d’obtenir un commentaire de l’attachée de presse du ministre des Finances du Canada, ni d’un membre de l’équipe de relation avec les médias de ce ministère au moment de mettre ce texte en ligne.
La bonne nouvelle est que le ministère des Finances semble avoir corrigé le tir sur ce plan. À preuve, dans le budget fédéral d’avril 2015, au moment de la baisse d’impôt pour les PME, le ministère a immédiatement ajusté l’imposition des dividendes ordinaires.
Une exemption à la vente de terres agricoles « en asphalte »
Par ailleurs, Yves Chartrand se plaint d’un autre avantage accordé selon lui « pour aucune raison » lorsqu’une personne vend à profit une terre agricole. « Saviez-vous que si un particulier vend une terre ou un terrain qu’il a reçu en héritage ou autrement de sa mère il y a 10 ans et qu’il la vend à très gros prix à un promoteur immobilier, il pourra néanmoins réclamer une belle exemption de 1 000 000$ de gains en capital pour terres agricoles, et ce, même si la dernière fois qu’elle fut exploitée de façon agricole par ses ascendants directs remonte à 1950? » lit-on dans le bulletin du CQFF.
Cette situation, quant à elle remonte à 1987, alors que le ministère des Finances d’alors souhaitait restreindre l’accès à l’exonération de 500 000 $ de gains en capital (seuil qui s’élève aujourd’hui à 1 M$ pour les biens agricole et de pêche admissible), relate Yves Chartrand.
En proposant différentes exigences à satisfaire, le ministère des Finances a plutôt fait le contraire, soit d’« ouvrir les valves du pipeline » donnant accès à cet avantage fiscal aux propriétaires de terres agricoles qui ont un historique familial favorable, d’après Yves Chartrand.
Par souci de simplification de cet article, mettons de côté les critères précis de ces exigences, mais présentons l’exemple d’un client qui peut profiter de cette exemption. Selon le bulletin du CQFF, ce sera le cas « si un particulier a hérité une terre de son père en 1998 et que la terre a généré un chiffre d’affaires supérieur au revenu net d’autres sources de son père en 1959 et en 1960, il s’agirait d’une terre agricole aux fins fiscales pour le particulier, et ce, même si elle est aujourd’hui zonée « commerciale » et qu’elle ne sert plus à l’agriculture depuis 60 ans ».
Comme praticien en fiscalité, en 1988, Yves Chartrand a lui-même exonéré un gain de 2,3 M$ pour cinq enfants pour une terre agricole non exploitée depuis 1963 et vendue à un promoteur immobilier. Ces enfants, des frères et sœurs, avaient hérité de leur mère la terre, laquelle avait été exploitée à des fins agricoles jusqu’en 1963. Chacun des cinq enfants a profité individuellement de l’exemption de 500 000$ et, et conséquence, la totalité du prix de vente a été exemptée, sachant qu’ils avaient droit à une exemption maximale de 2,5 M$ (5 fois 500 000 $).
Selon le fiscaliste, qui a consulté plusieurs confrères qui pratiquent en fiscalité, des centaines de millions $ de gain en capital ont ainsi été exemptés depuis 1988 et peuvent continuer de le faire. En 2002, Yves Chartrand soulignait d’ailleurs cet avantage dans un texte paru dans le magazine Conseiller.
Ces éléments « sont encore valides, sous réserve des dispositions proposées par le ministère des Finances du Canada du 18 juillet 2017 », indique de son côté Mario Gazaille, directeur en fiscalité au bureau de Saint-Hyacinthe de Raymond Chabot Grant Thornton.
À savoir, que lors d’une vente directe d’un particulier propriétaire de la terre, les règles exposées fonctionnent. Toutefois, les choses sont moins claires dans des cas de détention de la terre par l’intermédiaire d’une société de personnes ou d’une société par actions.
« Selon les mesures proposées, la disposition d’actions d’une société agricole ou de pêche familiale ou d’une participation dans une société agricole ou de pêche familiale détenues par un particulier qui a reçu, par exemple, ses biens par donation et qui n’est pas impliqué dans l’entreprise agricole serait visée et ne donnerait pas le droit à la déduction pour gains en capital », ajoute Mario Gazaille.
Quoi qu’il en soit, Yves Chartrand se demande « Comment se fait-il que les fonctionnaires du ministère des Finances du Canada n’aient rien vu de tout cela depuis 30 ans et malgré toutes les interprétations techniques favorables publiées par l’Agence du revenu du Canada à cet égard? La réponse est simple, c’est à notre avis un cas d’incompétence pratique grave des fonctionnaires et non pas une simple erreur de politique fiscale », lit-on dans le bulletin du CQFF.
Yves Chartrand propose que le ministère des Finances du Canada limite l’exonération à la juste valeur marchande de la terre au moment où elle cesse d’être exploitée.
Le bulletin du CQFF comprend d’autres exemples pour lesquels le ministère des Finances aurait pu consulter des praticiens de la fiscalité afin de mieux atteindre ces objectifs de politique fiscale. Parmi ceux-ci, il y a la perte potentielle d’admissibilité au taux réduit d’imposition des PME pour les sous-traitants ayant un lien de dépendance avec un actionnaire de PME.
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