Au cours de la décennie 2000, ce risque n’a cessé de hanter la scène des pays émergents.

Voilà maintenant qu’il s’écrase en un lieu où on n’aurait jamais cru le voir : les pays développés.

Pays du centre

Évidemment, la Grèce est le premier nom qui vient à l’esprit, mais il demeure un brin périphérique. Avec l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni, nous approchons dangereusement du centre.

Puis l’impensable survient : les États-Unis, dont la cote de crédit est reculée d’un cran, font trembler les marchés en raison des tensions politiques suscitées par le plafond de la dette.

Au lendemain de la crise financière, des torrents de dettes sans valeur ont été transférées du secteur privé au secteur public et, soudain, la masse des dettes souveraines explose et paraît démesurée. Bien que son cas ne soit pas extrême, le Canada n’échappe pas à cette situation.

Selon la plus récente édition (2012) du CIA World Factbook, l’endettement représente 161 % du PIB en Grèce, 126 % en Italie, 219 % au Japon, 84 % au Canada, et 74 % aux États-Unis. La France, l’Allemagne et les États-Unis s’en tirent un peu mieux, mais pas outre mesure, avec un endettement de 89 %, 80 % et 74 % de leur PIB respectivement.

Pendant ce temps, l’endettement des pays émergents, si inquiétant naguère, a maintenant l’air sage et docile. En Argentine, toujours selon le CIA World Factbook, il représente 42 % du PIB ; 38 % en Chine ; 52 % au Brésil et en Inde ; et 11 % en Russie.

Toutefois, les pourcentages d’endettement des pays développés n’effleurent que la surface des choses. C’est la part d’endettement «explicite», comme la nomme Jagadeesh Gokhale, associé senior au National Center for Policy Analysis, de Washington.

Celui-ci, dans une étude de 2009, revue, corrigée et augmentée depuis, a exploré la part qu’il nomme «implicite» : tous les paiements non chiffrés que les gouvernements devront honorer au cours des prochaines années au chapitre des retraites, des soins de santé et de la sécurité sociale, et dont les coûts exploseront lors de l’arrivée à la retraite des baby-boomers.

Selon cette lecture, la part d’endettement actuelle est trompeuse. Calculée sur le PIB futur de la France jusqu’en 2060, par exemple, la dette actuelle et «explicite» représente seulement 1% du PIB, alors que la dette «implicite» représente 10,7 %.

En Allemagne, l’«explicite» est de 1,2 %, et l’«implicite», de 8,9 %, aux États-Unis, ces chiffres sont de 1 % et 8 %.

Autrement dit, les pays occidentaux consacrent actuellement un peu plus de 1 % de leur PIB au paiement de leurs dettes ; mais leurs engagements ne cesseront de croître.

Âge d’or ?

L’endettement public ne manifeste que la partie plus visible du risque des pays du monde développé. Sous ce couvert se profile un risque démographique considérable, comme le fait ressortir Angelo Katsoras, analyste géopolitique de la Banque Nationale. Celui-ci se réfère à des chiffres du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui montrent que le vieillissement de la population est une menace partout dans le monde, mais surtout dans les pays développés.

On sait que le Japon est déjà le pays le plus âgé de la planète et le demeurera. Le pourcentage de sa population de plus de 65 ans est actuellement de 22 % et devrait passer à 39 % en 2050, selon le SCRS.

En Italie, il sera de 35 % à la même date, en Allemagne, de 34 %, en France et au Canada, de 27 %. Mais en Inde, il sera de 12 %, et au Mexique et au Brésil, de 20 %, indique la même source.

Exceptions notables parmi les pays développés, ces pourcentages seront de 20 % et de 23 %, respectivement aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Au moment de sortir de la crise la plus éprouvante depuis 1929, «Comment stimule-t-on la croissance quand on a de telles dettes et des populations qui vieillissent autant ? demande Angelo Katsoras. Comment investissez-vous en éducation et en R-D quand la plus grande portion de votre population est âgée et accapare une importante portion du budget national en soins de santé ? Si nous avions la croissance d’il y a 30 ans, nous n’en parlerions même pas. Mais sans croissance, que fait-on avec la dette ? On la radie ? On la neutralise par l’inflation ? On taxe et on réduit les services sociaux ? Ou ces trois mécanismes ensemble ? Les pays avancés n’auront plus le défi de répartir la richesse, mais la rareté.»

Re-couplage

Ces observations laissent croire qu’un découplage définitif a détaché les pays émergents du sort des pays avancés.

Il est indéniable que les pays émergents portent désormais les espoirs de croissance à long terme et présentent des bilans comparativement sains, dit Jean-Pierre Couture, économiste et stratège, marchés émergents, d’Hexavest, à Montréal. Mais, dans les faits, «il n’y a pas de découplage, tranche-t-il. Les pays émergents restent des pays exportateurs dont le sort est lié aux marchés des pays avancés et ils n’ont pas encore formé des marchés internes forts qui pourraient les immuniser.»

De plus, fuyant la léthargie économique des pays avancés, les investisseurs des pays riches se précipitent vers les pays émergents et les contaminent avec des risques accrus, notamment en y achetant en masse des titres obligataires gouvernementaux et privés.

«En janvier, le «Fund Manager Survey», de Bank of America Merrill Lynch, montrait que 40 % des gestionnaires avaient surpondéré leurs portefeuilles d’actions des pays émergents, alors que la moyenne est de 27 %, signale Jean-Pierre Couture. L’été dernier, la proportion était autour de 17 %. C’est une montée vertigineuse.»

Il ne craint pas de parler d’une «bulle dans la dette des pays émergents».

Les anciens risques ne nous ont pas quittés, loin de là : risque de marché, de crédit, de solvabilité, alouette. Mais aujourd’hui, le risque de pays fait un retour en force. Avec une note originale : les pays les plus importants font partie du risque.