Les deux professeurs critiquent sévèrement les règles internationales mises au point à Bâle, où un troisième accord (Bâle III) sur la supervision bancaire est négocié par quelque 27 pays, dont le Canada. Selon Anat R. Admati et Martin Hellwig, le nouvel accord n’impose pas un seuil adéquat de niveau de capitaux propres, particulièrement en ce qui a trait à la composante de capital-actions.
Plutôt que d’encourager les banques à se financer par l’émission d’actions, le système actuel les pousserait à l’endettement. Premièrement, les intérêts sur les emprunts sont souvent déductibles d’impôt. Deuxièmement, les grandes institutions financières dites systémiques profitent de meilleurs taux d’intérêt grâce à une garantie implicite de l’État. Les grandes banques profitent donc d’un coup de pouce pour s’endetter au-delà d’un seuil qu’elles considéreraient inacceptable pour n’importe lequel de leurs clients corporatifs.
En effet, les sociétés non bancaires se financent habituellement à hauteur de 30 % ou plus en capital-actions, alors que les banques ne conservent généralement qu’un ratio de moins de 10 %, parfois même de 5 % et moins, de capitaux propres. Cette situation fragilise le système financier, comme nous pouvons le constater depuis cinq ans. Martin Hellwig et Anat R. Admati affirment même que c’est comme si «l’on subventionnait l’industrie chimique pour qu’elle pollue intentionnellement nos rivières.»
Le Bâle nouveau
Même si Bâle III prévoit plusieurs mesures comme une surcharge de capital imposée aux institutions financières systématiquement importantes (à laquelle les cinq grandes banques canadiennes seront assujetties), un nouveau «coussin de conservation» et un ratio de levier, les deux auteurs sont catégoriques : le nouvel accord ne permettra pas d’éviter une autre crise. Rejointe à son bureau de l’Université Stanford où elle enseigne la finance, Anat R. Admati affirme que l’accord est un «gaspillage» et une «occasion manquée» : «On n’a fait que corriger quelques détails», tranche-t-elle.
Selon elle, les régulateurs s’illusionnent encore en pensant que la réglementation par pondération du risque est adéquate. Cette technique permet de calibrer les réserves bancaires en fonction du risque attribué à chaque instrument financier au bilan d’une institution. Cette manière de faire créerait des «distorsions» dans les décisions d’affaires de banques qui sont poussées à développer les produits considérés comme moins risqués. Pour Martin Hellwig, rejoint à Bonn au Max Planck Institute qu’il dirige, la pondération des risques incite davantage les banques non pas à améliorer la qualité de leurs investissements, mais plutôt à améliorer… leur gestion de la pondération des risques.
Les auteurs suggèrent des niveaux de capitaux propres de l’ordre de 20 à 30 % du total de l’actif, alors que Bâle III ne prévoit que des ratios de 7 % de l’actif pondéré pour les banques ordinaires et jusqu’à 10 % pour les banques dites systémiques. Pour Anat R. Admati, avec Bâle III, on opère toujours un système «au bord d’un précipice». «Notre message est que cet accord est vraiment une mesure minimale, et que les nations devraient resserrer les règles individuellement», dit-elle.
Cela dit, les deux auteurs ne s’étonnent pas outre mesure de la difficulté qu’il y a à imposer une réglementation plus sévère aux banques. «Les gens qui sont heurtés par la crise sont aussi souvent ceux qui sont sans voix», déplore Anat R. Admati. Martin Hellwig affirme pour sa part que les politiciens ont souvent une relation «symbiotique» avec les banques. Celles-ci sont considérées en politique comme «une source de fonds plutôt que comme une source de fragilité».
Plus ils ont étudié l’aspect économique du problème, et plus ils ont été confrontés à son aspect politique. «Ce n’est pas seulement ce que les gens savent, mais ce qu’ils veulent savoir», affirme Anat R. Admati. C’est dans le but de provoquer une discussion publique plus vaste que les deux professeurs ont publié ce livre. «Seule la pression publique peut régler ce problème de gouvernance», affirment-ils.