250 G$ cachés
Rappelons que le 8 février, le quotidien français Le Monde a levé le voile sur un vaste système d’évasion fiscale, résultat de l’enquête journalistique internationale SwissLeaks. Plus de 150 journalistes de 47 pays ont épluché au-delà de 100 000 documents bancaires de la filiale suisse de la HSBC recueillis grâce à une fuite causée par un informateur.
«Les chiffres donnent le vertige», indique Le Monde en début d’article. En seulement cinq mois – de novembre 2006 à mars 2007 – 180,6 milliards d’euros (257 G$ CA) auraient frauduleusement transité à Genève par l’intermédiaire des comptes HSBC de plus de 100 000 clients vers 20 000 sociétés offshore situées notamment au Panama et dans les îles Vierges.
Qui retrouve-t-on parmi cette clientèle ? «Des trafiquants d’armes ou de stupéfiants, des financiers d’organisations terroristes, des politiques, des vedettes du showbiz, des icônes du sport ou des capitaines d’industrie. Désireux, dans leur grande majorité, de cacher leur argent en Suisse […] dans la plus parfaite illégalité», poursuit Le Monde.
Une bombe pour le secteur bancaire suisse. Le lendemain des révélations, le quotidien Le Temps, de Genève, qui a participé à l’enquête, a évoqué le «choc» qui ébranle la Suisse.
«À gauche, le monde politique suisse demande que l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) et la justice se saisissent du dossier. À droite, les faits mis en avant provoquent un malaise. Mais les élus bourgeois, comme le monde bancaire, parlent d’une affaire qui appartient au passé.»
«Une affaire du passé»
HSBC Suisse se défend, rappelant qu’une nouvelle direction a été mise en place après une affaire de vol de données en 2007, que la culture de la société a profondément changé depuis et que ces événements relèvent du passé.
Qui plus est, l’institution soutient avoir «procédé à un examen en profondeur des affaires, ce qui inclut des fermetures de comptes de clients qui ne correspondaient pas aux standards élevés de la banque, et la mise en place d’un système très poussé de contrôle interne».
Depuis 2007, le nombre de comptes gérés par la filiale suisse a en effet fondu, passant de 30 000 à 10 000. Les avoirs gérés par la filiale ont chuté de près de 41 %, passant pendant cette période de 118 à 70 G$ US à la fin de 2014.
Possibles poursuites
Au Royaume-Uni, où se trouve le siège social de la HSBC, les autorités gouvernementales ont immédiatement réagi.
«La Commission des comptes publics va ouvrir d’urgence une enquête dans le cadre de laquelle nous demanderons à la HSBC de fournir des éléments, et si nécessaire, lui ordonnerons de le faire», a indiqué la présidente de la Commission, Margaret Hodge.
Les révélations ont d’ailleurs rapidement pris une tournure politique à Londres. Rien de surprenant, puisque Stephen Green, qui dirigeait la HSBC au moment des faits, a quitté l’institution en 2010 pour se joindre au gouvernement conservateur de David Cameron. Il y a été secrétaire d’État au commerce international et à l’investissement de 2011 à 2013.
HSBC est également sur la sellette de l’autre côté de l’Atlantique. En effet, l’institution n’est pas à l’abri de poursuites judiciaires aux États-Unis, a affirmé la procureure américaine Loretta Lynch, qui sera la prochaine ministre américaine de la Justice.
Elle rappelle qu’en dépit de la somme payée (1,9 G$ US) par HSBC aux États-Unis pour mettre fin en 2012 à des poursuites pour blanchiment d’argent de la drogue, cet arrangement ne fournit «aucune protection contre des poursuites» fondées sur d’autres faits.
Parmi les 106 000 clients identifiés par l’enquête SwissLeaks, près de 4 200 sont des ressortissants américains, rapporte l’Agence France-Presse. Ceux-ci auraient placé de façon frauduleuse 13,2 G$ US en Suisse, selon le site du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) qui a coordonné l’enquête.
Facteur d’instabilité
Ainsi, l’affaire SwissLeaks pourrait bien devenir un facteur d’instabilité macroéconomique supplémentaire. Le Monde soulignait que l’affaire éclaboussait des dirigeants algériens, marocains, tunisiens et saoudiens.
Pour sa part, le Courrier international a indiqué que deux journalistes d’enquête ont publié sur le site dissident Armando.info un rapport détaillé sur la présence du Venezuela sur la liste des titulaires de comptes secrets à la HSBC en Suisse.
Près de 15 G$ US auraient été déposés dans ces comptes à partir du Venezuela, dont 85 % à partir d’instances gouvernementales. Parmi elles, la Trésorerie nationale et la banque d’État Banco del Tesoro. «La révolution bolivarienne garde aussi son argent en Suisse», ont ironisé les deux journalistes.
Une histoire qui ne fait que commencer.