«Ces conflits d’intérêts doivent être évités, déclarés ou contrôlés. S’il est impossible de les déclarer ou de les contrôler de manière à faire passer l’intérêt du client avant celui de la société et du représentant, il faut les éviter», peut-on lire dans le document de consultation des ACVM sur le devoir fiduciaire (33-404), déposé en avril.
Ces éventuelles réformes ne sont pas encore entrées en vigueur, mais laissent présager davantage de travail pour les services de la conformité des firmes (voir l’encadré «Six conflits dans le collimateur des ACVM»).
D’accord avec les ACVM, l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) a mentionné son intention de collaborer dans le cadre de cette consultation. L’organisme, qui a réalisé récemment un sondage sur le sujet, constate que les firmes ont beaucoup d’améliorations à apporter en ce qui concerne les conflits d’intérêts, surtout ceux liés à la rémunération.
Les conflits influencent le rendement
«La plupart des sociétés interrogées ne disposaient pas de processus pertinent qui permette de repérer, de traiter et de surveiller ce type de conflit», a commenté Claudyne Bienvenu, vice-présidente pour le Québec de l’OCRCVM, dans un courriel.
Par exemple, selon l’OCRCVM, plusieurs firmes n’avaient pas mis en place de mécanismes de contrôle pour repérer les conseillers qui recommandent des produits rapportant des honoraires et des primes élevés, alors qu’il existe d’autres solutions convenables, moins coûteuses.
Selon le document des ACVM (33-404), des études montrent que les conflits d’intérêts influencent le comportement des représentants, et que les personnes inscrites agissent souvent avec opportunisme, en raison des paiements qu’elles reçoivent des fournisseurs de produits.
Ces comportements ont aussi des conséquences sur le rendement des clients. De 1993 à 2009, dans les fonds d’investissement américains qui versent des commissions ou qui partagent leurs revenus avec un courtier, la hausse des paiements aux personnes inscrites s’est traduite par une hausse des entrées de fonds, ce dont on peut déduire que leurs recommandations sont influencées par les paiements.
Selon cette analyse, les rendements nets sont d’environ 50 points de base plus bas par 100 points de base de frais partagés avec les personnes inscrites.
Cela permet d’entrevoir des conseils conflictuels, des rendements moins élevés et des frais plus élevés. Selon une autre étude américaine, les conseils conflictuels se traduisent par un rendement inférieur. Pour les épargnants qui en reçoivent, la perte de rendement est d’environ un point de pourcentage par an.
Divulguer n’est pas suffisant
Selon la Règle 42 de l’OCRCVM, tous les conflits d’intérêts existants ou potentiels qui ne peuvent être réglés de manière juste, équitable et transparente, au mieux des intérêts des clients, doivent être évités.
Pour Robert Pouliot, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, divulguer les conflits est peut-être un bon début, mais c’est loin d’être suffisant. Il faut adopter une norme fiduciaire claire et applicable à tous pour éviter d’avoir à gérer les conflits un à un.
«Les études confirment que le seul fait de dévoiler des conflits crée un plus grand climat de confiance, mais ce faisant, non seulement ça ne réduit pas le conflit, mais ça le banalise aux yeux du client et il ferme les yeux dessus», dit le professeur, qui est aussi expert-conseil en risque fiduciaire.
Pour lui, c’est une façon pour l’intermédiaire financier de transférer sa responsabilité à l’investisseur. «Il serait tellement plus simple de dire aux courtiers : si vous exercez la moindre responsabilité discrétionnaire, si modeste soit-elle, y compris une exécution d’achat ou de vente de titres pour votre client, à sa demande, vous avez la responsabilité d’exécuter cette transaction de manière fiduciaire», dit Robert Pouliot.
Cependant, il ne peut y avoir de devoir fiduciaire sans que l’accès aux tribunaux soit facilité. Et dans la mesure où on améliore la transparence et la capacité des investisseurs de poursuivre, on réduit les frais de régulation de conformité, croit Robert Pouliot.
«Les courtiers sauront que s’ils n’agissent pas dans l’intérêt du client, ils peuvent être poursuivis et que ce n’est pas l’AMF qui leur tapera dessus, mais le tribunal», ajoute le professeur.
L’OCRCVM procède actuellement à un sondage exhaustif afin de recueillir des renseignements plus détaillés sur la surveillance des conflits d’intérêts liés à la rémunération.
«Les réponses à ce sondage devraient fournir l’information dont nous avons besoin pour établir des « pratiques exemplaires » à recommander à l’ensemble de nos courtiers membres», commente l’organisme d’autorégulation.
De leur côté, les firmes ont jusqu’au 26 août pour déposer des mémoires dans le cadre de la consultation des ACVM sur 33-404. Quelques tendances se manifestent déjà. Des firmes indépendantes, par exemple, entendent faire valoir l’autonomie de leurs conseillers.
«On peut bien surveiller la pratique des commissions ou des produits maison, mais si on veut l’indépendance du conseil, il faut la définir, et actuellement, rien dans la loi ne dit ce que c’est. Pour nous, ça veut dire qu’il ne doit y avoir aucun lien d’appartenance entre un manufacturier de produits et un conseiller de produits», dit Robert Frances, président du conseil et chef de la direction de Groupe financier PEAK.
À ce chapitre, il est d’accord avec les ACVM, qui proposent que le représentant d’une société qui a une liste de produits exclusifs porte le titre de «vendeur de valeurs mobilières» et non de «conseiller en valeurs mobilières». «Dans les faits, il y a une réelle différence entre les deux, alors c’est sain de clarifier ça pour l’investisseur».