L’idée d’obliger les conseillers à connaître tous les produits ne permettra pas aux ACVM d’atteindre leur objectif, selon les membres de l’industrie qui ont soumis un mémoire dans le cadre de la consultation 33-404.
«La proposition […] touche tous les produits, même les moins pertinents pour les clients d’un conseiller. C’est une norme impossible à appliquer. Elle pourrait conduire à un rétrécissement du nombre de produits pour répondre aux besoins de la réglementation, ce qui conduira à moins de choix pour les investisseurs», écrit iA Groupe financier. Cette opinion est largement répandue dans l’industrie financière.
La connaissance des produits qu’il vend aux clients est essentielle au travail du conseiller. «Depuis quatre ou cinq ans, c’est une thématique qui a émergé. Auparavant, nous étions dans la vague de la connaissance du client, et maintenant, c’est celle de la connaissance du produit», souligne Michel Mailloux.
Dans le document 33-404 sur les propositions de rehaussement des obligations des conseillers, des courtiers et des représentants envers leurs clients, les ACVM proposent d’obliger les représentants à avoir «une connaissance approfondie de tous les titres qu’elles négocient pour [le client]».
Les courtiers n’échappent pas à la consultation des ACVM. Selon les règles proposées, la firme à laquelle le représentant est lié devrait détenir une liste de produits approuvés. Si par exemple le représentant recommande un produit qui n’est pas sur la liste, il devra en obtenir l’autorisation.
«[Les ACVM] suggèrent, déraisonnablement, qu’il y a une liste qui peut être « approuvée » ou « rejetée ». En fait, [l’obligation] peut amener les courtiers à obtenir l’approbation réglementaire pour les produits qu’ils mettent sur leurs tablettes», selon le Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ).
Si les propositions entraient en vigueur, les firmes de courtage devraient procéder à une «enquête de marché équitable et impartiale» sur les produits compris dans leur liste. L’objectif est de permettre «une comparaison des produits qui vise à établir si ceux qu’elle offre sont représentatifs de l’ensemble raisonnable des produits les plus susceptibles de satisfaire les besoins et objectifs de placement de ses clients», peut-on lire dans le document de consultation.
Cette réforme a reçu un accueil défavorable dans l’industrie.
«Le modèle du one-size-fits-all pourrait s’avérer difficile à appliquer. Par exemple, le concept de l’étude de marché préalable à l’acceptation d’un produit pourrait s’avérer viable pour le secteur des marchés dispensés, où le nombre de fournisseurs est restreint, mais très difficilement applicable pour les courtiers en placement où le nombre de produits est presque infini», écrit le Groupe Cloutier.
Irréaliste
Les participants à la consultation pensent qu’il s’agit de propositions impossibles à appliquer dans leur réalité.
«Nous considérons que l’obligation pour les représentants de comprendre chaque produit de leur firme est irréaliste», écrit Fidelity.
Les sociétés s’appuient sur la quantité de produits que les représentants devraient maîtriser pour justifier leur argumentation. Par exemple, pour la Banque Scotia, les conseillers devraient se familiariser avec 110 000 codes de valeurs, y compris 1 500 fonds communs de placement (FCP).
Les intervenants admettent toutefois qu’il est important que les produits offerts correspondent au profil du client.
Certains, comme la Chambre de la sécurité financière (CSF), jugent d’ailleurs que les objectifs cernés par les ACVM sur ce plan ont déjà été atteints. «Il n’y a pas lieu d’aller plus loin en ajoutant des critères d’applications supplémentaires», écrit Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la CSF.
Manuvie élargit cette vision, invitant les ACVM à reprendre les règles et les directives sur la connaissance du produit de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) et de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).
Soulignant le caractère habituellement «réaliste» des autorités de réglementation, Michel Mailloux ne croit pas, malgré tout, que celles-ci iront de l’avant avec cette règle.
L’industrie croit que l’implantation de telles mesures impliquerait des coûts substantiels, notamment en matière de technologie et de ressources humaines.
«Les coûts associés à l’enquête pourraient être importants, d’autant que l’information sur les produits peut être difficilement accessible», écrit le Mouvement Desjardins.
Les indépendants et les firmes de taille modeste craignent également que cette obligation soit plus lourde à porter.
Les hausses de coûts envisagées par les sociétés de courtage impacteront directement le marché et pourraient même être transférées aux investisseurs, d’après les participants.
«Certains de ces coûts seront facturés aux investisseurs ou des produits de placement pourront ne plus être offerts (ou peuvent devenir moins accessibles), et donc l’univers des fonds d’investissement sera limité», soutient Martin Gagnon, premier vice-président à la direction, Gestion de patrimoine, et coprésident et cochef de la direction de la Financière Banque Nationale.
Offre de produit menacée
Plusieurs intervenants évoquent le risque que le client se retrouve avec une offre de produits réduite, d’où l’importance pour les ACVM de réviser leur proposition.
«Nous craignons que certaines personnes inscrites décident de réduire de manière significative la gamme de leur offre, ce qui ne servirait pas les intérêts supérieurs des investisseurs», ajoute Martin Gagnon.
La Banque de Montréal abonde dans le même sens : «Les entreprises peuvent choisir de réduire le nombre de leurs produits pour améliorer la gestion de la conformité et réduire sa responsabilité potentielle sur le plan de la connaissance des produits et des obligations supplémentaires».
Le Groupe Cloutier pousse plus loin la critique en affirmant que des courtiers ont déjà pris certaines mesures à la suite de la publication du document de consultation : «Un courtier a déjà annoncé à ses conseillers qu’en vertu du présent document de discussion, des pénalités financières seraient imposées aux conseillers qui travaillent avec ce qu’ils considèrent être un trop grand nombre de fonds différents, et ce, avant même que les réformes finales ne soient annoncées et mises en place».