Selon les experts, la confusion qui a régné récemment au sujet des simples fiducies (bare trusts) est l’exemple le plus récent de la complexité inutile du système fiscal canadien.
Les directives de l’Agence du revenu du Canada (ARC) ont été insuffisantes, affirme John Oakey, vice-président de la fiscalité à CPA Canada. Les comptables, les avocats et les conseillers en services financiers espèrent donc que leur interprétation correspondra à celle du gouvernement. « L’incertitude n’est pas une bonne chose », prévient-il.
Et comme personne n’a rempli de déclaration pour une simple fiducie avant cette année, peu de gens savent ce qu’il faut entendre par là. « Si je dis que nous sommes à une fête et que je te demande de tenir ma bière pour moi, c’est une simple fiducie », plaisante John Oakey. (On parle de « bare trust » lorsqu’une personne détient le titre de propriété d’un bien pour une autre personne, sans en avoir la propriété effective.)
L’incertitude liée à la simple fiducie n’est qu’un des nombreux problèmes qui rendent le système fiscal canadien difficile à appréhender.
« Il est facile d’obtenir un consensus sur la nécessité d’une réforme fiscale. Il est très difficile d’obtenir un consensus sur ce à quoi devrait ressembler le système fiscal réformé », souligne Fred O’Riordan, responsable national de la politique fiscale chez EY Canada.
Depuis la dernière réforme fiscale adoptée par le Canada en 1972, les fiscalistes ont trouvé des moyens de contourner chaque mise à jour de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les amendements visant à combler ces lacunes ont encore augmenté la complexité du système fiscal, assure Fred O’Riordan.
« La complexité du système [fiscal] est telle que même les professionnels sont plus que susceptibles de commettre des erreurs », déclare John Oakey.
Cela crée des difficultés pour le contribuable moyen. Pour construire un système plus équitable, les experts disent que le système a besoin de plus de simplicité — et le gouvernement devrait reconsidérer la question de savoir si l’ARC est la mieux placée pour distribuer des prestations aux Canadiens vulnérables.
L’ARC était autrefois une simple agence d’exécution et de recouvrement des impôts. Mais son rôle inclut désormais la redistribution des richesses, car le gouvernement s’appuie sur elle pour distribuer les programmes de prestations, résume John Oakey. L’ARC est passée de 42 000 employés en 2016 à près de 60 000 en 2024.
« J’étais en vie lorsque les chèques d’allocations familiales étaient versés et n’avaient rien à voir avec le système de l’impôt sur le revenu, se souvient Kim Moody, fondatrice du cabinet fiscal Moodys Private Client, basé à Calgary. Mais ils ont abandonné ce système et l’ont intégré au système fiscal. »
« De nombreux Canadiens vulnérables ne bénéficient pas de prestations parce qu’ils sont trop intimidés pour remplir leur déclaration d’impôts ou parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer une préparation fiscale professionnelle, selon Kim Moody. Le citoyen moyen ne peut pas s’adresser à une personne comme moi. Je coûte trop chère, et ce n’est pas juste. Dans un monde parfait, je n’aurais pas de travail ».
Même si les Canadiens déposent une demande de prestations, il se peut qu’ils n’obtiennent pas ce qu’il faut. Un contribuable peut risquer de faire l’objet d’une nouvelle cotisation s’il comprend mal une règle, s’il remplit mal sa déclaration ou s’il demande une prestation à laquelle il n’a pas droit, explique John Oakey. L’ARC tente de récupérer des milliards qui ont été distribués à des personnes qui n’avaient pas droit aux prestations liées à la pandémie, par exemple.
Les conséquences d’une déclaration incorrecte peuvent inclure des intérêts, des pénalités et même une peine d’emprisonnement, rappelle Philip Lawrence, député conservateur et Ministre associé du Cabinet fantôme responsable des Finances et de la Prospérité de la classe moyenne dans le cadre de la réforme fiscale.
La déclaration de revenus est encore plus compliquée pour les couples. Ils sont confrontés à un système mixte où chaque personne fait une déclaration individuelle, mais où les revenus sont attribués en tant que famille avec des règles incohérentes, ajoute John Oakey. Par exemple, alors que les couples peuvent choisir le conjoint qui demande le crédit d’impôt pour frais médicaux, le crédit d’impôt pour garde d’enfants doit être attribué au conjoint ayant les revenus les plus faibles.
« Soit on va jusqu’au bout [pour les déclarations individuelles], soit on en fait une unité fiscale familiale, suggère John Oakey. Nous nous trouvons dans une situation beaucoup plus compliquée si nous essayons de combiner les deux. »
À l’autre extrémité du spectre, les taux marginaux d’imposition élevés découragent la productivité. Le taux marginal d’imposition fédéral/provincial le plus élevé est supérieur à 50 % dans toutes les provinces sauf deux.
Le transfert des recettes publiques de l’impôt sur le revenu vers les taxes à la consommation, comme la TPS, pourrait contribuer à stimuler la productivité, d’autant plus qu’il existe des mécanismes tels que le crédit TPS/TVH qui permettent de rembourser une partie des taxes à la consommation aux contribuables à faible revenu, dit Kim Moody.
Des taux marginaux d’imposition plus bas pourraient également inciter les personnes à hauts revenus à rester au Canada plutôt qu’à s’installer dans des juridictions où les impôts sont moins élevés, selon John Oakey.
Les préoccupations juridictionnelles affectent également la réforme fiscale, la consultation des provinces étant un autre facteur de complication. De nombreuses lois fiscales provinciales font référence à la loi fédérale de l’impôt sur le revenu, affirme John Oakey. Par exemple, la loi de l’impôt sur le revenu de l’Ontario fait plus de 300 références à son équivalent fédéral.
« Vous voudrez soit obtenir l’accord des provinces sur ce que vous faites, soit faire cavalier seul et laisser les provinces apporter les corrections qu’elles souhaitent », dit John Oakey.
Mais les changements n’ont pas besoin d’être apportés d’un seul coup. Alors que Fred O’Riordan estime qu’il est préférable de faire table rase du passé, car les améliorations progressives ne feront qu’ajouter de la complexité, Philip Lawrence estime que certains domaines peuvent être abordés plus tôt.
Philip Lawrence pense que les 338 députés soutiendront probablement l’idée d’une réforme fiscale, mais il invite à la prudence avant de procéder à de grands changements. « La Loi de l’impôt sur le revenu compte des milliers de pages, de sorte qu’il existe de nombreuses possibilités de se tromper dans le cadre d’une réforme fiscale », a-t-il déclaré.