Ces émissions d’obligations de 50 ans ont fait l’objet d’une demande exceptionnellement élevée des investisseurs nationaux et étrangers.
«Les acheteurs, explique Stephen Frank, vice-président, élaboration de politiques et santé, de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), sont essentiellement des investisseurs institutionnels qui ont des engagements à long terme, telles les compagnies d’assurance ou les caisses de retraite. Ils se servent de ces obligations pour gérer le risque, c’est-à-dire pour assurer que l’argent sera là pour respecter leurs engagements.»
«Par exemple, dit Benoît Durocher, vice-président exécutif et chef stratège économique chez Addenda Capital, une compagnie d’assurance peut émettre une assurance vie ou une rente viagère en utilisant un taux comparable à celui de ces obligations et acheter ces titres pour respecter ses engagements à long terme.»
«L’assureur a un autre avantage, ajoute-t-il, puisque la réglementation n’exige pas de charge en capital sur des titres gouvernementaux.»
Normalement, les compagnies d’assurance doivent mettre du capital de côté pour se protéger contre certains types d’actifs, s’il existe un risque de perte.
Ainsi, si un assureur achète une obligation de société, comme il existe un risque que l’émetteur ne fasse pas les paiements prévus, il sera obligé de maintenir un capital pour se protéger. Cependant, les titres gouvernementaux sont traités comme étant sans risque…
Pour ce qui est des caisses de retraite, une hausse des rendements obligataires pourrait diminuer de façon importante la valeur des obligations ultra-longues, et des pertes seraient encourues s’il devenait nécessaire de les vendre avant l’échéance.
«L’élément le plus important consiste donc à allouer ces obligations de longue échéance à des engagements d’échéance comparable, explique Yves Allard, directeur, développement des affaires, solutions prestations, chez Financière Sun Life. Ainsi, une variation des taux d’intérêt aurait un impact identique sur les actifs et les passifs.»
Demande des assureurs
Même si l’industrie de l’assurance de personnes accueille favorablement l’initiative du fédéral, elle fait des pressions pour que le gouvernement émette davantage d’obligations ultra-longues et que d’autres paliers de gouvernement lui emboîtent le pas.
«Nous espérons que les récentes émissions annoncent le début du développement d’un marché d’obligations à très long terme», dit Stephen Frank.
En effet, au Canada, le gouvernement fédéral vient de faire une première incursion dans ce segment de marché, et seulement quelques rares émissions ont été faites par des provinces (par exemple le Québec et la Nouvelle-Écosse) et des municipalités (par exemple Montréal) par le passé, selon Addenda Capital.
Résultat, comme ces titres sont achetés en grande majorité par des investisseurs institutionnels qui les conservent à long terme, il n’existe pas de véritable «marché secondaire» pour les négocier… Ce qui a pour effet de limiter la demande et les stratégies d’achat.
«Pour avoir un « vrai » marché secondaire, dit Stephen Frank, il faudrait que les divers gouvernements émettent, d’ici cinq ans, autant d’obligations de 50 ans qu’il y a présentement d’obligations de 30 ans.»
L’industrie de l’assurance de personnes considère que le contexte actuel est favorable à ces émissions. La vidéo «Bâtissons ensemble», mise en ligne sur le site de l’ACCAP, explique en effet qu’il est nécessaire pour les gouvernements de financer de grands projets d’infrastructure.
Les experts évaluent le déficit en matière d’infrastructures des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux à 400 G$. Pour financer ces projets, une avenue qui s’offre à eux consiste à émettre davantage d’obligations ultra-longues.
Avantages d’un marché
Ces émissions permettraient de créer un marché secondaire, ce qui faciliterait la négociation de ces titres et pourrait même donner naissance à un marché de swaps. Ce produit dérivé aiderait les investisseurs à se protéger contre les risques liés à ces obligations.
Les obligations de 50 ans sont en outre très volatiles. «Pour une hausse de 1 % des taux d’intérêt, indique Benoît Durocher, la baisse du prix des obligations de 50 ans du gouvernement fédéral sera de 27 %, par rapport à 18 % pour les obligations de 30 ans.»
Les acheteurs d’obligations, qui aiment généralement la sécurité, vont donc perdre sur papier une forte portion du capital.
En revanche, le risque de crédit des obligations gouvernementales est moins grand.
«Il est rare qu’un gouvernement ne respecte pas ses obligations, étant donné qu’il peut taxer davantage, note Benoît Durocher. Sans compter que le gouvernement fédéral peut émettre sa propre monnaie.»
Même si le gouvernement canadien est conscient des besoins des compagnies d’assurance, il ne veut pas s’engager trop rapidement dans de futures émissions.
«Nous ne ciblons pas d’investisseurs particuliers avec nos émissions d’obligations, explique Stéphanie Rubec. À l’heure actuelle, nous ne prévoyons pas l’établissement d’un programme d’émissions régulières dans le segment des obligations à très long terme. Cependant, le gouvernement pourrait rouvrir cette émission à très longue échéance à l’avenir, si les conditions du marché étaient favorables.»