«L’AMF s’attend à ce que les incitatifs ne nuisent pas au traitement équitable des consommateurs», lit-on dans le rapport.
Mauvaise cible ?
Le problème soulevé par l’AMF en est-il vraiment un ?
«Au cours de ma carrière, je n’ai jamais vu de concours portant sur un produit d’assurance en particulier, comme la vente de T20 ou d’assurance vie universelle. Les concours portent sur des ensembles plus vastes, par exemple la vente de polices d’assurance vie durant une période donnée», remarque Flavio Vani, qui dirige son propre cabinet, Assurance et Produits Financiers Vani.
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En conséquence, ajoute-t-il, les concours de vente ne causent pas de conflit d’intérêts, puisque les produits d’assurance vie pouvant être vendus répondent à divers besoins.
«On fait l’analyse de besoins et on recommande ensuite le produit qui correspond aux besoins du client. Aucun concours ne pourrait nous faire vendre des T10 si des clients ont des besoins d’assurance vie universelle», dit Flavio Vani, qui est également président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF).
Même son de cloche chez Robert Landry. Ancien vice-président exécutif d’AXA Canada maintenant consultant, Robert Landry dit n’avoir jamais vu de ventes de «mauvais produits» en raison de concours de ventes.
«Ces concours portent sur des gammes de produits comme l’assurance vie. Pas sur un produit spécifique comme une T10», rappelle-t-il.
Pas de preuve de conflit d’intérêts
Vice-présidente aux affaires québécoises de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), Claude Di Stasio souligne que son organisme «n’a aucune preuve qui corrobore qu’un produit est davantage proposé qu’un autre à cause de concours de ventes».
Claude Di Stasio rappelle d’ailleurs le risque énorme auquel s’exposeraient les conseillers en sécurité financière qui vendraient des protections d’assurance inutiles à leurs clients. «En ne recommandant pas les produits les plus adaptés aux besoins des clients, les conseillers en sécurité financière mettraient carrément leur carrière en jeu», dit la vice-présidente de l’ACCAP.
En effet, selon le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (CSF), le représentant doit subordonner son intérêt personnel à celui de son client.
D’ailleurs, selon le rapport, l’AMF qualifie de «bonne pratique» une politique de gestion des incitatifs d’un assureur qui énonce «qu’un non-respect des règles de souscription ou du Code de déontologie […] pouvait entraîner la suspension du versement des incitatifs».
Il reste qu’en théorie, les concours de vente pourraient désavantager les consommateurs en favorisant un manufacturier de produits d’assurance aux dépens des autres.
Par exemple, l’assureur XYZ pourrait proposer aux conseillers en sécurité financière qui produiraient un certain montant de primes en assurance vie de participer à un «congrès» dans le Sud. Ces conseillers pourraient ainsi être incités à ne proposer que les produits de cet assureur à tous leurs clients qui ont des besoins d’assurance vie.
«Certains produits pourraient en effet être un peu moins bons pour certains consommateurs. Mais on pourrait en dire autant des produits offerts par les réseaux captifs, car leur choix est limité», remarque Robert Landry.
Le point de vue de James McMahon, président de l’agent général Groupe Financier Horizons pour le Québec, rejoint celui de Robert Landry sur la question de l’impact des concours de vente sur le choix d’un manufacturier de produits plutôt qu’un autre.
«Les concours peuvent favoriser un assureur aux dépens des autres. C’est pourquoi je pense que ces concours pourraient être organisés par les agents généraux afin d’éliminer ces préférences. Les concours d’agents généraux récompenseraient ainsi les performances globales de vente des conseillers en sécurité financière», remarque James McMahon.
Cela dit, ajoute James McMahon, «sauf pour des besoins très pointus, la grande majorité des conseillers ne font affaire qu’avec deux, parfois trois assureurs, pas plus».
Pourquoi la critique de l’AMF ?
Les probabilités de conflit d’intérêts des concours de vente étant faibles, comment expliquer que l’AMF dise qu’ils peuvent «stimuler les ventes d’un produit au détriment du besoin réel des consommateurs» ?
James McMahon soulève la possibilité que l’AMF voie le monde de l’assurance de personnes à travers le prisme de l’univers des valeurs mobilières.
«Le régulateur a éliminé les concours de vente en valeurs mobilières. L’AMF pense peut-être qu’il devrait en être de même en assurance de personnes, même si la problématique est différente», estime-t-il.
Robert Landry admet quant à lui qu’il a été surpris par la mise en garde du régulateur.
«Je me suis demandé pourquoi les concours de vente avaient ainsi fait réagir l’AMF. Il est possible que l’Autorité pense que ces concours donnent une mauvaise image de l’industrie. Il est possible aussi que l’AMF considère ces concours avec un regard moralisateur», dit-il.
Or, poursuit le consultant, du point de vue des assureurs, ces concours répondent à une stratégie d’affaires : augmenter les parts de marché. «Les assureurs qui veulent accroître leurs ventes choisissent en général entre deux possibilités : soit ils font des concours de vente, soit ils baissent les prix», conclut Robert Landry.
Photo Ingka D. Jiw / Shutterstock