Les conseillers en assurance qui n’ont pas adapté leurs modèles d’affaires pour faire face à la prochaine interdiction réglementaire de la vente de fonds distincts à frais d’acquisition reportés (FAR) pourraient avoir du mal à survivre.
« Vous avez 12 mois pour ajuster vos pratiques, sinon, ce sera un défi pour vous », prévient John Cucchiella, président de SMEx Advisory à Toronto. Les conseillers qui adoptent une approche holistique de leur activité seront les mieux placés pour prospérer, estime-t-il. « Je pense que ceux qui n’ont pas les meilleures pratiques de gestion sont déjà ou seront bientôt sur la touche. »
Plus tôt cette année, le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) et les Organismes canadiens de réglementation en assurance (OCRA) ont exhorté les assureurs à « s’abstenir d’effectuer de nouvelles ventes de FAR dans des contrats de fonds distincts, conformément à l’interdiction du 1er juin 2022 dans les valeurs mobilières, et à prévoir une transition vers la cessation de ces ventes d’ici le 1er juin 2023. »
Les modifications apportées aux modèles de rémunération en raison des changements réglementaires ne sont pas nouvelles pour l’industrie du patrimoine, « mais c’est la première fois que cela touche le monde de l’assurance », constate Byren Innes, directeur général et consultant exécutif chez Jennings Consulting à Toronto.
En fait, le secteur de l’assurance – y compris les managing general agents (MGA) et les fabricants – fait des pieds et des mains pour se préparer non seulement à l’interdiction des ventes par FAR, mais aussi aux restrictions éventuelles ou à l’élimination des commissions initiales.
Le CCRRA et les OCRA ont déclaré qu’ils se consulteraient sur les commissions initiales dans le cadre de la vente de fonds distincts et qu’ils envisageraient une interdiction totale dans le but d’harmoniser les réglementations relatives aux fonds communs de placement et aux fonds distincts « pour éviter tout arbitrage réglementaire ».
Les conseillers en placement qui cherchaient à éviter l’interdiction des FAR pour les fonds communs de placement ont pu se tourner vers la vente de fonds distincts, mais maintenant « il n’y a plus d’autre catégorie d’enregistrement possible », souligne Dan Hallett, vice-président et directeur du HighView Financial Group d’Oakville, en Ontario.
Selon Byren Innes, les ventes de fonds distincts avec FAR ont diminué « graduellement », car certains conseillers et l’industrie ont anticipé les changements réglementaires. « À mon avis, cependant, la majeure partie des ventes de fonds distincts se fait par l’entremise des FAR », précise-t-il.
Investment Executive a demandé à huit manufacturiers de fonds distincts s’ils prévoyaient de mettre fin aux ventes de FAR avant le 1er juin 2023. Il a également demandé aux sociétés si les clients pouvaient annuler les contrats de fonds distincts avec FAR existants, en bénéficiant d’une exonération partielle ou totale des pénalités de rachat anticipé avant la date d’interdiction.
Sur les six sociétés qui ont répondu, quatre ont indiqué qu’elles avaient l’intention de mettre fin aux ventes de fonds distincts avec FAR avant l’interdiction, sans toutefois donner de date précise.
John Killeen, vice-président et chef de la distribution des placements chez Placements mondiaux Sun Life (Canada) déclare dans un courriel que l’utilisation de l’option des frais de souscription reportés avait connu un « déclin constant » et que la société était en train d’élaborer un plan pour mettre fin aux ventes de frais de souscription reportés avant juin 2023.
Les conseillers de la Sun Life ne vendent plus de fonds distincts avec FAR, ajoute John Killeen, et les conseillers tiers ont « continué à réduire leur recourt aux fonds avec FAR au fil du temps ».
Les entreprises ont déclaré qu’elles travailleraient avec les clients selon les termes de leurs contrats de FAR existants, qui peuvent déjà permettre des rachats anticipés ou le transfert de calendriers entre mandats sans pénalité. Aucune entreprise n’a indiqué qu’elle autoriserait les rachats anticipés spécifiquement en relation avec l’interdiction prévue, bien que plusieurs aient dit qu’elles considéraient déjà les demandes de rachat anticipé au cas par cas.
Aly Damji, président de HUB Capital à Woodbridge, en Ontario, constate que la tendance à l’abandon des frais de souscription reportés dans les fonds distincts s’est accélérée en raison de la popularité croissante de la rétrofacturation des commissions. En vertu de cette structure, c’est le conseiller, et non le client, qui rembourse les commissions initiales si le client rachète le fonds de façon anticipée.
Aly Damji affirme être favorable à l’interdiction des FAR, mais ajoute que les clients « ont besoin de conseils indépendants, quel que soit le montant de leurs actifs. En éliminant certaines de ces commissions initiales, les clients auront moins d’options ».
Si les régulateurs vont de l’avant avec leurs propositions d’interdiction, les conseillers devront accroître leurs portefeuilles ou faire faillite, car « leurs revenus vont diminuer de façon significative », croit Kirk Purai, président et chef de la direction de Carte Risk Management, une MGA.
« Les conseillers doivent faire passer leur portefeuille à 10 millions de dollars (M$) plutôt qu’à 5 M$ », dit Kirk Purai, ce qui correspond à la taille moyenne du portefeuille de fonds distincts des conseillers de Carte. « Pour ceux qui sont en dessous de 5 M$, ils devront peut-être s’associer à un autre conseiller et financer leurs coûts d’une manière ou d’une autre. »
Cependant, les conseillers qui s’accrochent aux FAR et/ou aux commissions initiales ne font que retarder l’inévitable, selon Byren Innes.
L’ère des ventes de fonds distincts avec FAR « est révolue – j’en suis certain », appuie-t-il. Et si les autorités de réglementation décident de ne pas interdire les commissions initiales, « elles auront un champ d’action très restreint : « Vous pouvez facturer X sur ce type de fonds et Y sur ce type de fonds ». Je ne pense pas que ce soit une solution [en tant que modèle économique à long terme]. La solution, ce sont les comptes à honoraires, très franchement, et c’est là que le monde des fonds communs de placement est allé. »
Byren Innes suggère aux conseillers qui envisagent une transition vers un modèle basé sur les frais de déterminer combien de revenus ils prévoient perdre en conséquence.
« L’analyse du portefeuille [d’affaires] est la première étape – il s’agit de déterminer quel sera l’impact, puis quelles sont les stratégies à adopter », affirme Byren Innes.
L’étape suivante consiste à communiquer avec les clients pour les informer sur la façon dont le secteur de l’assurance évolue, assure David Gray, consultant principal chez Jennings Consulting. À la fin d’avril, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) et le CCRRA ont publié des propositions qui amélioreraient la déclaration du coût total pour les fonds de placement et les fonds distincts.
« La première chose que vous devez faire est d’être transparent, recommande David Gray. Personne n’aime avoir une surprise ». Si les MGA et les fabricants avec lesquels un conseiller fait affaire « n’avancent pas aussi vite que vous le pensez » en termes d’aide à la divulgation et à la transition des affaires, « impliquez-vous et faites bouger les choses. »
L’élimination des FAR et une éventuelle élimination des commissions initiales pourraient rendre le soutien aux nouveaux conseillers dans l’entreprise encore plus difficile pour une industrie qui lutte pour attirer la prochaine génération.
« Vous allez devoir vous éloigner, pendant les premières années, d’un modèle basé sur les commissions pour vous rapprocher d’un modèle salarial, assure David Gray. C’est ce que l’on constate dans de nombreuses boutiques de l’OCRCVM. Celles-ci regroupent beaucoup de petits comptes, où un ou deux conseillers salariés s’occupent des actifs sous gestion, et où ces conseillers passent ensuite à des portefeuilles plus importants. »
Cindy David, présidente et conseillère en planification successorale de Cindy David Financial Group à Vancouver, croit que l’industrie de l’assurance élaborera davantage de programmes pour offrir aux conseillers plus âgés un plan de relève. Et de plus en plus de conseillers transmettent leur entreprise à leurs enfants, souligne-t-elle.
Une transition de l’industrie vers l’abandon des FAR sera « une bonne chose, même du point de vue de la pratique, pense Cindy David. Si vous avez déjà éliminé les FAR, vous avez déjà une bonne idée des conséquences et vous êtes plus à même de vous asseoir et réfléchir à la meilleure façon de servir votre client. »
Les conseillers en assurance doivent relever le défi de l’évolution des réglementations et trouver des moyens d’adapter leurs activités pour mieux servir leurs clients, conclut Cindy David. « Est-ce que je vous veux comme conseiller si vous n’avez pas les moyens de trouver comment survivre [aux changements dans] votre industrie ? Pas vraiment. »