Le cabinet de Michel Proteau est le courtier d’assurance collective de la plupart des entreprises locales, dirigées par des entrepreneurs qui sont également des clients en assurance individuelle.
Depuis qu’il a ouvert ses portes il y a 25 ans, «environ 60 %» des Méganticois font affaire avec le seul cabinet en sécurité financière indépendant qui a pignon sur rue dans la municipalité de quelque 6 000 personnes. Grâce à un actif sous administration de quelque 20 M$ en fonds distincts et environ «300 000 $ de primes par an» en assurance de personnes et collective, Assurances Michel Proteau est un des courtiers les plus importants de la région.
Si l’on ajoute les réclamations d’assurance collective des employeurs aux réclamations en invalidité des travailleurs autonomes qu’elle sert, tous des clients directement touchés par la tragédie, c’est une soixantaine de dossiers qu’Assurances Michel Proteau doit traiter. «Dont la femme qui a été ma gardienne quand j’avais cinq ans, et qui était ma cliente depuis 17 ans», avant de périr dans l’incendie, relate Steven Poirier.
Celui qui s’est joint à Michel Proteau en 2002, puis à l’actionnariat en 2008, devait aller célébrer l’anniversaire de sa femme pendant les heures qui ont précédé les multiples explosions d’une soixantaine de wagons-citernes, transportant chacun 130 000 litres de pétrole brut. «Il n’y avait plus de place, alors on est repartis. On aurait peut-être été encore là nous aussi…»
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Pour les associés du cabinet d’assurance de personnes, la fin de semaine du 6 juillet est longue. Très longue. «Les premiers rapports faisaient état de 1 000 disparus», relate Michel Proteau. Tous ceux qu’on n’arrivait pas à joindre étaient présumés disparus. «Tous les gens qui étaient là sont en poussière. C’est horrible !» remarque-t-il encore. Au total, 47 personnes ont perdu la vie dans la nuit du 5 au 6 juillet dernier.
Au cours des premières heures qui ont suivi le sinistre, les conseillers se sont surtout affairés à démêler la situation. Lac-Mégantic est un véritable champ de bataille ; on a finalement éteint l’incendie le mardi, soit quatre jours après les explosions des wagons de pétrole. «Il y avait de la fumée partout, des hélicoptères, des ambulances, des camions de pompiers» ponctuant chaque minute d’un va-et-vient continuel, raconte Steven Poirier.
La maison où loge Assurances Michel Proteau, baptisée «Maison des services financiers», est située à un peu plus de un kilomètre du sinistre. Du stationnement de la maison, on voit le périmètre condamné un peu plus bas, au bout de la pente douce du boulevard Laval. La maison sert rapidement de base d’opérations pour quiconque a besoin d’un bureau pendant une heure, une journée, ou plus.
Le cabinet devient rapidement un des nombreux centres d’urgence pour certains sinistrés. Des propriétaires d’entreprise, dont les bâtiments se trouvent à l’intérieur du périmètre inaccessible, se présentent chez Michel Proteau. «Ils n’ont pas de crayons, pas de trombones, mais ils ont besoin d’un bureau», dit Steven Poirier.
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Lorsque les conseillers arrivent sur place, le lundi 8 juillet au matin, il n’y a pas d’électricité, pas d’eau courante, et la ville est encore enfumée. Dans des installations prises d’assaut par des sinistrés, alimentées par la génératrice que son voisin, le courtier d’assurance de dommages FGL, partage avec eux, les six associés mettent sur pied une cellule de crise.
Pendant que les bureaux servent aux sinistrés, il faut préparer les dossiers des clients qu’on pense disparus, regrouper les comptes, etc. Pour l’assurance collective, c’est également le chantier : les clients ont besoin de soutien moral et psychologique, mais aussi de services. Ceux qui ont perdu des proches doivent faire leur réclamation aux assureurs. Ceux qui sont en détresse et couverts par un régime collectif ont besoin de soins, de soutien, parfois même des deux.
Il faut aussi et surtout «communiquer avec les assureurs pour avoir toutes les réponses aux questions que les clients pouvaient poser», explique Guillaume Hallée.
Pour ce jeune conseiller qui s’est joint à l’actionnariat de Michel Proteau il y a moins de deux ans, les premières journées ont été cauchemardesques. Il passe ainsi de longues heures à chercher ses amis, victimes du sinistre, mais aussi à se demander «si, pour ce jeune père de famille, j’ai bien fait mon travail, si sa couverture est adéquate, si elle permettra à ses enfants d’avoir quelque chose», dit-il, la gorge nouée par l’émotion.
Le lundi matin, tandis que les conseillers ratissent leurs classeurs et établissent la liste des clients susceptibles de faire des réclamations, les adjointes parlementent avec les assureurs, il faut pallier tous les inconvénients que leurs clients qui ont tout perdu pourraient subir.
«Certains assureurs étaient déjà prêts à traiter les réclamations en urgence», explique la chargée de compte Claudia Lachance, qui travaille au cabinet depuis 1999. Ce fameux lundi, elle devait se rendre à Québec en compagnie de Marie-Christine Marceau pour passer l’examen de l’AMF afin d’obtenir le droit de pratique. Elles ont plutôt fait en sorte que la machine soit bien huilée pour épauler les conseillers, qui recevaient des clients en état de choc.
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Le plus difficile, «c’est de voir les noms passer sur les réclamations. Tu vois la fille avec qui tu courais, ton voisin… tu vois des réclamations passer, et tu penses au petit gars qui va grandir tout seul…», témoigne Claudia Lachance.
Et ce, pendant que les ambulances transportant les corps de ceux qu’elle voit défiler sur papier passent et repassent devant leur cabinet. Au total, la tragédie aura fait 21 orphelins, selon les derniers bilans. Un des clients du groupe, décédé, laisse dans le deuil quatre enfants en bas âge.
Tous saluent le travail des assureurs et de leur agent général, le Groupe Cloutier. «Ils ont tout fait pour que ce soit le plus facile possible», affirme Marc Latulippe, le premier associé à se joindre à Michel Proteau, en 1999.
En effet, les difficultés sont nombreuses : par exemple, ceux dont le testament a brûlé à la fois dans leur résidence et dans l’étude de notaire où il était entreposé posent plusieurs problèmes aux conseillers, qui tentent de déterminer à qui les indemnisations doivent être remises dans la succession.
Sans parler des constats de décès qui tardent à venir dans les jours qui suivent le sinistre ; parce qu’on n’a toujours pas identifié tous les corps, les preuves manquent pour que les assureurs versent les indemnités. «Mais la plupart d’entre eux ont mis sur pied une procédure rapide», ce qui fait en sorte qu’on émet les chèques d’abord et qu’on pose les questions ensuite.
En début de semaine, les premiers clients se manifestent. Les conseillers portant eux aussi le deuil de proches, l’émotion est à son comble. «Des fois, on parle avec quelqu’un et la conversation s’arrête», les pleurs prenant le relais, rapportent les conseillers. Pendant l’entrevue de groupe avec Finance et Investissement, d’ailleurs, quelques pauses sont nécessaires.
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Premier baume sur une plaie laissée béante par la tragédie : «On a très bien fait notre travail», disent les quatre conseillers. Ainsi, «les contrats étaient bien faits, ça a été un soulagement, en tant que conseiller, de constater que j’avais fait tout ce qu’il fallait faire, qu’il ne manquait rien», dit Guillaume Hallée.
Si la tragédie a permis aux conseillers de tirer d’importantes leçons quant à leur rôle pour la collectivité de Lac-Mégantic, elle n’en laissera pas moins une plaie qu’il sera difficile de fermer.
«C’est là qu’on comprend à quel point le service qu’on offre et les produits qu’on propose à ses clients sont importants», constate Guillaume Hallée. À l’instar de ses collègues, l’analyse des besoins, les documents légaux – testament, mandat d’inaptitude, etc. – et la relation avec le client ont pris tout leur sens dans la foulée des événements de l’été.
D’ailleurs, les conseillers relèvent que les clients sont nombreux à s’informer du type de couverture qu’ils ont, et veulent s’assurer qu’elle est adéquate. La tragédie a eu pour effet de responsabiliser les gens quant à leurs besoins de protection, observent les quatre associés.
Cependant, «on restera avec ça toute la vie, on en a pour des mois à s’en remettre», poursuit Guillaume Hallée. Tant lui que ses collègues concèdent qu’ils n’ont pas vraiment eu le temps de faire leur deuil, de prendre la pleine mesure de la tragédie. «Je ne suis pas capable de partir en vacances, je ne penserais qu’à ça», ajoute Michel Proteau. Sans compter que ses clients ont besoin de lui.
Même quand tout sera terminé, «on en a pour des années à vivre avec un centre-ville dévasté. Et c’est la relève de Lac-Mégantic, plein de jeunes qui s’engageaient, qui a disparu ce soir-là», déplore Guillaume Hallée.