Au Canada, la défense des intérêts des investisseurs reposent de plus en plus sur les épaules des organismes gouvernementaux et de réglementation du secteur. Mais des voix s’élèvent pour affirmer qu’un financement stable permettant une défense indépendante des intérêts des investisseurs est indispensable.
C’est le cas de Laura Tamblyn Watts, PDG du groupe de défense des personnes âgées CanAge Inc. et directrice indépendante du conseil d’administration de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM). Elle affirme que la présence de représentants indépendants d’organisme de défenseurs des consommateurs et des investisseurs au sein d’organismes de réglementation du secteur contribue à promouvoir « le changement de l’intérieur », mais que le soutien au changement issu de l’extérieur de ces cercles demeure « très limité ».
Les comités internes peuvent aider les régulateurs à identifier les problèmes qui affectent les investisseurs et à fournir des conseils, explique Neil Gross, président de Component Strategies Consulting, basé à Toronto, et président du groupe consultatif des investisseurs de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO). Toutefois, il est d’avis que les voix indépendantes « font contrepoids aux groupes liés à l’industrie » et « braquent les projecteurs sur des questions plus directement liées à la protection des investisseurs ».
Jusqu’ici, les gouvernements et les régulateurs n’ont participé que très timidement au financement d’organismes indépendants dédiés la défense des intérêts des investisseurs.
L’année dernière, la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada) a été contrainte de retourner une donation de 2,4 millions de dollars (M$) à la Fondation Stephen Jarislowsky après avoir échoué à obtenir un financement de contrepartie. Dans une lettre ouverte, Stephen Jarislowsky a reproché aux gouvernements, aux autorités de régulation et à l’industrie d’être « satisfaits de voir l’espace de défense des investisseurs de détail limité principalement aux personnes âgées et à quelques autres groupes de défense sans personnel ». Selon lui, « les entreprises préfèrent garder les investisseurs de détail dépendants et sous-informés ».
Après que FAIR Canada eu retourné la subvention, Ken Kivenko, président de l’organisation de défense des investisseurs Kenmar Associates à Toronto, a redoublé d’efforts pour faire pression. « En plaçant des personnes à des postes clés, nous pensons pouvoir compenser partiellement le manque de défenseurs indépendants des investisseurs », affirme-t-il. Mais Ken Kivenko espère que la nouvelle direction de FAIR Canada, qui demeure la principale organisation nationale de défense des investisseurs au Canada, annonce un changement de cap.
Jean-Paul Bureaud, un avocat qui a travaillé auparavant à la Banque mondiale et à la CVMO, est devenu le nouveau directeur exécutif de FAIR Canada en août. Il remplace Ermanno Pascutto, qui a contribué à la fondation de FAIR Canada en 2008 et a assuré l’intérim à la tête du groupe.
Selon Jean-Paul Bureaud, FAIR Canada a « eu des discussions avec un certain nombre de bailleurs de fonds potentiels qui ont été réceptifs à [leurs] demandes et, pour l’instant, [ils restent] optimistes quant à [leur]capacité à répondre à [leurs] besoins de financement à long terme ». En attendant, le financement actuel de FAIR Canada « nous permettra de mener à bien notre mission jusqu’à l’année prochaine », ajoute Jean-Paul Bureaud.
Neil Gross, ancien directeur exécutif de FAIR Canada, estime qu’il est temps que les décideurs politiques soient proactifs : « Si l’objectif de la défense des intérêts des investisseurs est d’aider les décideurs politiques à mettre en place une meilleure réglementation qui améliore la protection des investisseurs et accroît le professionnalisme du secteur des investissements, alors cet objectif devrait être soutenu par un financement des décideurs politiques ».
Harold Geller, un avocat de MBC Law Professional à Ottawa qui représente les investisseurs et les personnes assurées, déclare qu’à l’exception de FAIR Canada, le paysage de la défense des intérêts des investisseurs est largement constitué de vétérans du secteur en fin de carrière qui peuvent donner de leur temps et de leur argent. En conséquence, la défense des intérêts réglementaires est « complètement déséquilibrée » en faveur du secteur de l’investissement, explique Harold Geller.
La décision inattendue de l’Ontario de continuer à autoriser les frais de vente différés sur les fonds communs de placement – après que les défenseurs des investisseurs aient milités pendant des années pour obtenir leur interdiction – est un exemple de l’impact obtenu par « le lobbying de l’industrie », souligne Harold Geller, qui est également membre du conseil consultatif des consommateurs et des investisseurs de l’Ombudsman des services bancaires et des investissements (OBSI).
Elizabeth Mulholland, PDG de Prosper Canada, un organisme caritatif basé à Toronto qui se consacre à la promotion de l’autonomie économique des Canadiens à revenu faible ou modeste, affirme que si les organismes de réglementation veulent vraiment protéger les Canadiens vulnérables qui cotisent à des REEE ou à des REEI, ils doivent soutenir les organisations qui aident directement ces personnes.
« Je peux vous garantir qu’il y a beaucoup de jeunes dans mon secteur qui défendent activement et passionnément les personnes avec lesquelles ils travaillent », assure Elizabeth Mulholland.
Bien que les régulateurs ne financent pas régulièrement ou directement les organisations indépendantes de défense des investisseurs, ils ont récemment montré leur volonté de fournir des ressources aux les initiatives de protection des investisseurs, en plus de renforcer la représentation d’investisseurs dans leurs comités.
Cette année, l’OCRCVM a annoncé son intention de créer un groupe d’experts sur les questions relatives aux investisseurs, a nommé trois nouveaux administrateurs indépendants ayant une expérience des questions relatives aux consommateurs ou aux petits investisseurs, et a accordé une subvention de cinq ans à la Clinique de protection des investisseurs (CPI) de la faculté de droit Osgoode Hall de l’université York à Toronto. (La CPI offre bénévolement des conseils juridiques aux investisseurs lésés).
La clinique Osgoode, la première du genre au Canada, expose également les étudiants en droit aux problèmes des investisseurs de détail à un stade précoce de leur carrière, explique Poonam Puri, professeur à Osgoode Hall et co-fondatrice et directrice de la CPI. « Peu importe où [les étudiants en droit] aboutissent, ils emportent avec eux ces perspectives d’investisseurs particuliers », affirme Poonam Puri.
La faculté de droit de l’Université de Toronto a également mis en place une clinique d’aide juridique similaire, et Poonam Puri espère que d’autres cliniques verront le jour dans tout le pays.
Laura Tamblyn Watts, qui a participé à la rédaction de la subvention de l’OCRCVM pour la CPI, déclare : « Nous avons besoin de beaucoup, beaucoup plus de cliniques [d’aide juridique] » pour les investisseurs lésés, mais ajoute : « Nous ne devrions pas compter uniquement sur les étudiants [en droit] » pour veiller sur les investisseurs.
Au Québec, l’Autorité des marchés financiers a récemment créé un comité d’investisseurs similaire au groupe consultatif des investisseurs de la CVMO. Ken Kivenko indique que Kenmar Associates fait pression sur les autres commissions provinciales des valeurs mobilières pour qu’elles lancent leurs propres comités consultatifs d’investisseurs.
En outre, l’autorité de régulation des services financiers de l’Ontario a récemment lancé un comité consultatif des consommateurs, et l’OSBI a annoncé qu’il nommait un directeur chargé des intérêts des consommateurs au sein de son conseil d’administration.
Des groupes indépendants de défense des investisseurs affirment que la consultation menée récemment par le groupe de travail sur le projet de modernisation des marchés financiers de l’Ontario contient plusieurs propositions qui pourraient être utiles à la protection des investisseurs (bien que plusieurs lettres de commentaires aient noté que d’autres propositions pourraient nuire à la protection des investisseurs). Le groupe de travail a notamment recommandé de doter l’OBSI d’un pouvoir décisionnel contraignant.
Actuellement, lorsque l’OSBI recommande aux courtiers en valeurs mobilières d’indemniser les clients lésés, ces derniers sont libres d’offrir à leurs clients des montants de règlement inférieurs – ou rien du tout – s’ils ne sont pas d’accord avec les recommandations de l’OSBI. Cette façon de faire « ne favorise pas la confiance des investisseurs », déclare Cindy Tripp, membre du groupe de travail et associée fondatrice, et ancienne directrice générale et codirectrice du secteur institutionnel chez GMP Securities LP.
« Nous considérons l’OBSI comme un élément pouvant contribuer à la protection des investisseurs, si ce n’est comme un véritable organisme de défense, déclare Ken Kivenko. Un pouvoir de décision contraignant peut vraiment aider à prévenir les abus [des investisseurs] ».