Au Canada, près des deux tiers de l’actif des régimes de pension étaient alors détenus par les huit principales caisses de retraite publiques du Canada, dont l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada (319 G$ d’actifs bruts à la fin 2015), la Caisse de dépôt et placement du Québec (291 G$), le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (263 G$) et le Healthcare of Ontario Pension Plan (127 G$). Les huit caisses se retrouvent sur la liste des 100 principales caisses de retraite dans le monde, et trois d’entre elles se classent parmi les 20 plus importantes.
Le modèle canadien
Selon les auteurs de l’étude de la Banque du Canada, il existe un «modèle canadien» de gestion des caisses de retraite. Les caisses canadiennes recourent davantage à la gestion d’actif à l’interne et proposent une rémunération plus concurrentielle pour attirer et retenir des spécialistes. Elles investissent aussi dans une plus vaste gamme de catégories d’actif, avec des styles de placement plus variés et elles font aussi davantage appel aux produits dérivés.
Même s’ils soulignent que les caisses de retraite canadiennes «ne doivent pas être considérées comme un groupe homogène qui réagirait de la même manière à un choc sur le marché», les auteurs semblent préoccupés par certains développements récents.
Par exemple, les caisses de retraite n’ont pas échappé à la «quête de rendement» à laquelle la persistance des bas taux d’intérêt les oblige. Comme d’autres, les caisses se sont tournées vers des actifs non traditionnels moins liquides.
Entre 2007 et 2015, la part des actifs non traditionnels – immobilier, placements privés et infrastructures – est ainsi passée, en moyenne, de 21 à 29 % du portefeuille des huit grandes caisses. Toutes les caisses n’ont cependant pas les mêmes stratégies, ce pourcentage variant entre 10 et 40 %.
La gestion du risque
L’étude de la Banque souligne aussi que les caisses canadiennes ont augmenté leur levier, souvent par du financement à court terme. Si ces stratégies de levier ne sont pas gérées «adéquatement», elles pourraient, selon les auteurs, «créer des difficultés dans un contexte de vives tensions financières.»
La gestion des risques par les caisses de retraite n’est d’ailleurs pas encore au point, selon Michel Magnan, chercheur au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) et professeur de comptabilité à l’Université Concordia. Il a étudié récemment la gouvernance des caisses de retraite québécoises et il est d’avis que les caisses se préoccupent encore trop du rendement.
«Il y a une préoccupation pour la performance, mais la gestion des risques ne semble pas avoir l’importance qu’elle devrait revêtir dans la gouvernance des caisses de retraite», explique-t-il.
L’étude de la Banque du Canada démontre que la crise financière a amené plusieurs caisses «à nettement renforcer leur gestion des risques», particulièrement leurs risques de liquidité. Michel Magnan croit pourtant qu’il existe une différence entre la manière dont la gestion de risques est faite dans les entreprises financières et dans les caisses de retraite. «Le contrôle du risque est maintenant au coeur de la gouvernance des entreprises financières, mais au niveau des caisses, on n’en est pas là», déplore-t-il
Le marché des pensions
Le problème du levier par le financement à court terme est d’autant plus préoccupant que la banque centrale fait état de difficultés à mesurer la prise de risque. Il semble qu’il soit impossible «d’évaluer précisément le levier total à partir de sources publiques.» Une grande part de ce levier proviendrait néanmoins du marché des pensions.
La mise en pension d’actifs est en fait une vente d’actif doublé d’un contrat de rachat. Les caisses de retraite utilisent ce procédé, selon la Banque, «pour se financer auprès des banques pour mettre à levier leur portefeuille obligataire et ainsi ajuster sa durée et augmenter son rendement.»
Les auteurs estiment qu’à la fin de 2015, les huit grandes caisses participaient à hauteur de 15 à 35 % environ des opérations de pension menées avec des institutions financières canadiennes.
C’est là que la Banque du Canada voit une vulnérabilité importante, soit dans le «risque de contrepartie», advenant un défaut de paiement ou des turbulences sur les marchés.
«Si les banques elles-mêmes devaient connaître une période de fortes tensions financières causées par un événement défavorable imprévu, elles pourraient réduire leurs opérations de pension même avec leurs contreparties de premier ordre, comme les caisses de retraite publiques, ce qui pourrait forcer ces contreparties à vendre des actifs pour rembourser les fonds empruntés», peut-on lire.
Une contrepartie centralisée
C’est pourquoi la Banque du Canada appuie depuis longtemps une initiative qui vise à mettre en place une contrepartie centrale pour le marché canadien des pensions. La Corporation canadienne de compensation de produits dérivés (CDCC), affiliée au Groupe TMX, est d’ailleurs en train d’élaborer, avec la Banque et les quatre caisses les plus actives sur le marché des pensions, un nouveau «modèle de compensation à responsabilité limitée».
Glenn Goucher, président et chef de la compensation à la Bourse de Montréal, confirme que la CDCC travaille à un projet-pilote qui devrait s’officialiser au milieu ou à la fin de l’année. «C’est un changement important. Plutôt que d’être des clients de banques, les caisses deviendront des contreparties directes de la CDCC.» Autrement dit, dans une transaction entre une caisse et une banque, c’est la CDCC qui devient l’acheteur et le vendeur.
Un tel système de contrepartie centralisée agit comme une sorte d’assurance, selon Glenn Goucher : «Notre rôle est de faire en sorte qu’aucun des membres n’est exposé au risque individuel d’une contrepartie.» Un risque de contrepartie se matérialise quand une des parties ne peut pas remplir ses obligations contractuelles. «Cela signifie qu’en cas de crise, une caisse n’aura pas à se préoccuper de la solidité d’une contrepartie à une transaction.»
Selon l’étude de la Banque, «ces efforts permettront d’accroître davantage la résilience globale de ce marché de financement essentiel et faciliteront l’accès des caisses de retraite au financement au moyen d’opérations de pension en périodes de tensions.»