Bien que la Réserve fédérale n’ait pas encore précisé l’échéancier de cette soi-disant réduction, les fonds d’obligations des marchés émergents ont déjà été les plus durement touchés. Pour la période de trois mois terminée le 31 juillet, ces fonds ont essuyé des pertes allant de 4,3 % à 8 %. En comparaison, le fonds médian de titres à revenu fixe canadien n’a chuté que de 3,3 %.
Cependant, le repli n’a pas seulement été occasionné par l’annonce inattendue de l’éventuelle réduction des mesures de QE3. Il s’explique aussi par le ralentissement de la croissance économique, particulièrement en Chine, au Brésil et en Russie. « Deux événements sont survenus simultanément : la possibilité du retrait de la liquidité par la Fed et une certaine détérioration de la conjoncture macroéconomique », explique Sergei Strigo, directeur des titres de créances des marchés émergents et de la gestion des devises à Amundi Asset Management, à Londres, et gestionnaire du Fonds Excel revenu élevé , dont l’actif s’élève à 119 M$.
L’écart par rapport aux obligations du Trésor américain, qui servent d’indice de référence, a augmenté d’environ 120 points de base (pdb), soit de 5,3 à 6,5 %, pour les obligations libellées en devise locale. L’écart par rapport aux obligations libellées en dollars américains a augmenté d’environ 100 pdb. (Les écarts augmentent lorsque les cours obligataires chutent.)
Les autres titres à revenu fixe mondiaux se sont redressés sensiblement à la suite des propos soi-disant « modérés » de la Fed, mais ce ne fut pas le cas des titres de créances des marchés émergents, a ajouté M. Strigo.
« On note un ralentissement et une poussée inflationniste, a déclaré M. Strigo, mais leur magnitude n’a rien de préoccupant pour le moment. » Ce n’est que par pure coïncidence que les titres de créances des marchés émergents ont souffert de l’amélioration des données économiques en provenance des États-Unis et de l’Europe, qui ont soutenu leurs marchés du crédit. « Ces deux régions ont sensiblement contrebalancé l’inquiétude soulevée par le retrait des mesures d’allègement quantitatif et atténué la hausse des taux d’intérêt, a expliqué M. Strigo. C’est la raison pour laquelle les titres de créances de ces régions ont obtenu de meilleurs résultats que les titres de créances des marchés émergents. »
Quoi qu’il en soit, M. Strigo soutient que la débandade des obligations n’est pas justifiée, parce que les marchés émergents sont en meilleure posture pour composer avec un ralentissement de la croissance. « Les réserves en devises étrangères sont considérables et la quantité de titres de créances libellés en dollars n’a pas été aussi faible depuis de nombreuses années. À mon avis, les pays des marchés émergents sont mieux placés pour composer avec un éventuel ralentissement que les marchés des pays industrialisés. »
Les titres de créances des marchés émergents sont désormais plus attrayants, a affirmé M. Strigo, grâce en partie à l’inversion des rentrées de fonds. Environ la moitié des 40 G$ US qui ont été investis dans cette catégorie d’actifs en 2013 en sont ressortis, d’après JPMorgan.
« Cela dit, 20 G$ US de rentrées de fonds depuis le début de l’année, c’est quand même bien, a ajouté M. Strigo. À un moment donné, le marché devrait s’apercevoir que l’évaluation des titres de créances des marchés émergents est plus attrayante que celle des autres titres de créances. Cela se produira-t-il maintenant ou lorsque la prime de rendement aura augmenté d’un autre 50 pdb, c’est difficile à dire. »
Le créneau des fonds d’obligations est en essor
Le premier fonds d’obligations des marchés émergents offert aux épargnants canadiens fut le FINB BMO obligations de marchés émergents couvert en dollars canadiens ZEF . , lancé en mai 2010. C’est le seul fonds de cette catégorie d’actif dont les antécédents remontent à trois ans. Au 31 juillet, il affichait un rendement annualisé sur trois ans de 5,6 %.
À l’heure actuelle, on compte deux autres fournisseurs de FNB et six sociétés de gestion de fonds communs de placement qui rivalisent dans ce créneau. Outre les fonds d’AGF, Excel et Invesco, les autres fonds communs de placement de cette catégorie sont le Fonds en titres des nouveaux marchés de la HSBC , le Fonds de titres de créance des marchés émergents Manuvie et le Fonds d’obligations de marchés émergents RBC . Le fonds RBC est le plus gros avec un actif de 402 M$.
Les trois FNB, qui sont les fournisseurs à faible coût, incluent aussi les FNB iShares J.P. Morgan USD Emerging Markets Bond Index et First Asset Morningstar Emerging Markets Composite Bond Index ETF. (Déni de responsabilité : Le FNB First Asset n’est pas promu, recommandé ou vendu par Morningstar, qui est le fournisseur de l’indice. De surcroît, Morningstar ne fait aucune déclaration quant à l’opportunité d’investir dans ce fonds.)
C’est aussi l’avis d’Eric Lindenbaum, gestionnaire de portefeuille principal d’Invesco Fixed Income de New York, qui supervise la gestion du Fonds de titres d’emprunt marchés émergents Invesco, dont l’actif se chiffre à 64 M$.
« Il est toujours très difficile de prédire le creux du marché. Les facteurs déterminants sont étroitement liés au marché des obligations du Trésor américain, a précisé M. Lindenbaum. Si les obligations du Trésor américain se stabilisent à un nouveau seuil et se négocient à des cours viables, je crois que nos marchés vont se stabiliser. C’est ce qui s’est produit en juillet, lorsque la volatilité s’est estompée et que les sorties de fonds des titres de créances des marchés émergents ont diminué considérablement. »
Comment les gestionnaires de portefeuilles réagissent-ils à ce repli? Jean Charbonneau, vice-président principal de Placements AGF à Toronto et cogestionnaire du Fonds d’obligations des marchés émergents AGF , dont l’actif s’établit à 176 M$, croit que le pire reste à venir.
« Nous pourrions assister à une recrudescence de la volatilité, du moins sur les marchés des changes locaux, compte tenu de la détérioration des déficits du compte courant et des réserves externes, et du resserrement des politiques monétaires. Nous devons être prudents à l’égard de certains pays », a déclaré M. Charbonneau, qui a précisé que le Brésil, la Turquie et l’Afrique du Sud avaient été plus durement touchés que les autres pays des marchés émergents. En revanche, il a ajouté que certains marchés, comme le Mexique, s’étaient relativement bien tirés d’affaire, grâce à leurs liens étroits avec les États-Unis en situation de rebondissement.
Dans la conjoncture actuelle, les investisseurs doivent faire preuve de prudence, surtout s’ils investissent dans une perspective à court terme, a souligné M. Charbonneau. « Cependant, à long terme, c’est une catégorie d’actif qui prend de l’expansion et qui se classe parmi les plus performantes depuis environ cinq ans. Une pause, à ce stade-ci du cycle économique, ce n’est pas mauvais en soi. Beaucoup de ces pays sont habitués à une forte croissance. En ce moment, la croissance de certains pays a ralenti à quelque 3 %. Ces pays devront modifier leur politique monétaire et budgétaire en conséquence mais, chose certaine, la croissance va reprendre. »
Sur le plan stratégique, M. Charbonneau a adopté une attitude défensive en raison de l’incertitude entourant l’orientation de la Réserve fédérale américaine. Il a ramené la durée du portefeuille à 4,5 ans, soit un an de moins que l’indice de référence JPMorgan Emerging Markets Bond Index Global Diversified en dollars américains.
Qui plus est, M. Charbonneau maintient une pondération quasi neutre d’obligations libellées en dollars américains par rapport aux obligations libellées en devise locale, soit une répartition de 61 % contre 39 %. (Il n’y a pas de couverture en dollars canadiens). Environ 65 % des obligations sont des titres d’États souverains et le reste est investi dans des obligations de sociétés. Le tiers du portefeuille est investi dans des obligations à faible cote de solvabilité.
M. Lindenbaum d’Invesco joue de prudence lui aussi. « Nous avons adopté un positionnement plus défensif que l’indice de référence », a-t-il précisé, ajoutant que le Fonds investit exclusivement dans des obligations libellées en devise locale qui ne sont pas couvertes en dollars canadiens. « Nous sous-pondérons légèrement les devises au bêta plus élevé, comme celles de l’Indonésie et de la Thaïlande. »
Environ 20 % de l’actif du Fonds Invesco est investi en Asie, contre 26 % pour l’indice JPM Government Bond Index-Emerging Markets Global Diversified (qui piste les devises locale).
Par ailleurs, M. Lindenbaum se montre très sélectif à l’égard des titres de l’Amérique latine, qui représentent 30 % de l’actif du Fonds, comparativement à 25 % pour l’indice. Pour ce qui est de la durée, celle du fonds est de 4,76 ans, ce qui est un peu plus long que la durée de l’indice. La majeure partie de l’actif du Fonds est investie dans des titres d’États souverains.
Même si la devise rend les fonds d’obligations des marchés émergents plus volatils que les fonds de titres à revenu fixe canadiens, M. Lindenbaum soutient que les perspectives à plus long terme demeurent bonnes. « Il y a six mois, on aurait pu dire que beaucoup de devises étaient surévaluées, mais ce n’est plus le cas. De plus, les rendements ont augmenté. Si vous croyez que le rendement des obligations du Trésor américain va se fixer autour de 3,25 %, le pire est passé. Dans cette nouvelle fourchette de taux, les devises sont moins chères et les rendements plus élevés. »
Pour sa part, M. Strigo d’Amundi mise également sur la prudence et a ramené la durée de son portefeuille à 5,6 ans contre 5,8 ans pour son indice de référence mixte (qui inclut les indices JPMEMBI Global Diversified et JPMorgan Government Bond Index-Emerging Markets Global Diversified). Environ 57 % de l’actif du fonds est investi dans des titres d’États souverains de première qualité, 38 % dans des obligations à rendement élevé et 5 % dans des liquidités. Quant aux positions de change, le portefeuille renferme 60 % de titres libellés en dollars américains et 40 % de titres libellés en devises locales. Il y a une couverture partielle des devises.
M. Strigo a souligné que la débandade n’a pas été généralisée et que certains secteurs se sont mieux comportés que d’autres. Il a ajouté que cette catégorie d’actif avait de bonnes perspectives d’avenir. « Si l’on considère l’évaluation relative des titres, on peut dire que les obligations des marchés émergents sont attrayantes », a déclaré M. Strigo, qui aime bien les obligations d’États souverains émises par le Venezuela et l’Argentine, et les obligations de sociétés de la Russie, par exemple, parce qu’elles sont bon marché. « Si vous investissez aujourd’hui, vous n’achetez pas au moment des écarts les moins élevés où du rendement le plus bas. Allez-y petit à petit, car il est très difficile de prédire le creux du marché. »