L’appariement des revenus et des charges
Le budget Flaherty 2013 a mis la hache dans les opérations de requalification permettant aux fonds communs de placement de «transformer» des revenus en gain en capital à imposition reportée grâce à des contrats à terme.
Ainsi, de nombreux fonds composés entièrement de titres à revenu fixe ont été fermés aux nouveaux investissements, puis fusionnés avec leur équivalent fiduciaire à l’expiration des contrats. La raison de ces fermetures, annoncées pour la plupart dans les jours qui ont suivi le budget de mars 2013, est toute simple : l’impossibilité d’apparier les revenus générés par les titres à revenu fixe des sociétés de placement à capital variable avec leurs charges d’opérations.
Il existe toujours certains fonds à 100 % en revenu fixe qui, grâce aux dépenses de l’ensemble des fonds (lire : des catégories d’actions) de la société, ne créent pas de revenus excédentaires.
La proportion de revenu fixe dans la société doit être très bien gérée pour y parvenir. Sinon, l’intérêt et le revenu étranger y seront imposés à fort taux, ce qui augmente le ratio de frais de gestion (RFG) du fonds et force la distribution d’un dividende par la société. L’exercice devient plus complexe que jamais pour diverses raisons.
D’abord, les fonds d’actions canadiennes sont moins populaires qu’auparavant, et les titres étrangers, beaucoup plus. La quantité de dividendes de sociétés américaines ou internationales, pleinement imposables au même titre que de l’intérêt, est donc plus présente aujourd’hui qu’au cours des dernières années dans les fonds communs canadiens.
Une étude de Patrimoine Hollis d’octobre dernier relate qu’en date du 31 août 2015, la plupart des sociétés de placement en structure corporative des grandes familles de fonds canadiennes sont majoritairement composées de revenu fixe et d’actions étrangères. Sur les 14 sociétés évaluées, qui sont en fait les plus importantes du pays, seulement deux ont moins de 50 % de leur contenu en obligations et en actions hors Canada. La proportion combinée moyenne en revenu fixe et en actions étrangères est de 65 %.
Qui plus est, compte tenu des objectifs de placement changeants des clients – dont de nombreux membres de la population active qui prendront leur retraite au cours des prochaines années – l’importance de la sécurité du capital aura certes une incidence sur le maintien de titres à revenu fixe comme des instruments prépondérants des fonds communs.
Cette donnée s’ajoute à la pression à la baisse sur les frais de gestion et à l’utilisation plus courante des fonds en série F. En générant moins de dépenses susceptibles d’être adossées aux revenus, les fonds communs devront en verser davantage. Il s’agit malgré tout d’un gain net pour les clients, puisqu’il est plus payant de recevoir un rendement imposé que ne pas recevoir le rendement en question à cause de dépenses.
L’enjeu des pertes reportées
De nombreuses sociétés de gestion d’actif avaient accumulé des pertes en capital au sein de leur structure corporative au cours des marchés baissiers du début des années 2000 et de la Grande Récession de 2008.
Tout comme les particuliers, les sociétés d’investissement peuvent reporter indéfiniment des pertes afin de les adosser à des gains futurs pour annuler l’impôt payable sur lesdits gains. Si les gains excèdent les pertes de l’année et les pertes antérieures, il y a distribution de gains aux porteurs de parts.
Compte tenu des hausses importantes des valeurs boursières et d’une prise de gains dans plusieurs titres par les gestionnaires, seules certaines des grandes sociétés de fonds ont toujours des pertes accumulées.
Parmi les 15 plus grandes sociétés de fonds communs canadiennes, seules Invesco Trimark et AGF bénéficient de pertes accumulées importantes – les autres sociétés auront épuisé les leurs avec les exercices 2015 et 2016. C’est un facteur dont il faut se soucier lorsqu’on hésite entre deux fonds pour un client dans un compte non enregistré.
Les distributions de gains de fin d’année ont parfois été importantes en 2015. Les distributions sont généralement fidèles à la réalité des titres sous-jacents – les fonds de revenu ou équilibrés à faible taux de distribution interne versent peu de gains, tandis que ceux qui cristallisent des gains importants les versent aux détenteurs. C’est toutefois la société de fonds qui établit les distributions à verser.
Prenons l’exemple de la société la plus utilisée par les représentants québécois : Fidelity. Pour leur série B, soit la version avec frais d’entrée assortie d’une commission de suivi, la plupart de leurs fonds d’actions canadiennes ont distribué moins de 1 % de gain en capital, faisant ainsi foi du faible nombre de titres à gains sur le marché canadien pour 2015.
Leur fonds de télécommunications mondiales, quant à lui, a distribué plus de 13 %. Un juste reflet de la fluctuation à la hausse du fonds, certes, mais pas le report indéfini auquel certains s’attendent d’un fonds en société.
Compte tenu de toutes ces données, le concept apparaît moins vrai qu’on ne le laisse généralement entendre dans la communauté financière. La vaste majorité des fonds distribuent des gains, parfois élevés.
La prétention des conseillers auprès des clients qu’il n’y a que peu ou pas de distribution lorsqu’on investit dans un fonds en société est à la fois erronée et très répandue.
Il vaut mieux faire preuve de vigilance et ne pas être trop catégorique au moment d’aborder les attributs des fonds en société, puisqu’ils ne sont pas tous égaux et que plusieurs ont atteint leurs limites d’efficience.
Magasiner et vérifier
Il vaut mieux magasiner les sociétés de gestion d’actif en fonction de leur politique et de leur historique de distribution. L’adaptation aux besoins du client est aussi un élément important, puisque certains investisseurs n’ont pas d’objection à recevoir des gains progressivement au fil de leur réalisation – il ne faut simplement pas leur vendre une chose et que le contraire se produise.
Si possible, il peut valoir la peine de retarder des achats de fonds après les distributions. On peut notamment penser aux achats à l’automne, puisque beaucoup de distributions ont lieu entre novembre et mars.
Ainsi, la juste valeur marchande des fonds chute de l’équivalent de la distribution, ce qui permet de payer moins cher un fonds. On évite également de recevoir un revenu non gagné et d’être imposé dessus. La plupart des clients seront très reconnaissants de l’attention portée à ce genre de détail.
Il ne faut évidemment pas que cette décision soit prise à la légère et uniquement dans une perspective fiscale – si le moment d’investir est le bon sur le plan économique, il ne faut pas se laisser influencer à tort, surtout si les distributions prévues sont peu importantes.
Les gains de change réalisés grâce à la hausse du billet vert sont une autre épée de Damoclès qui plane au-dessus de la tête des investisseurs de fonds communs à contenu américain.
Plusieurs gestionnaires qui effectuent une gestion active de l’exposition aux devises réaliseront tôt ou tard les gains obtenus afin de se couvrir contre l’éventuel risque d’une hausse du dollar canadien. Ces importants gains ne sauraient être sous-estimés, puisqu’ils constituent à eux seuls 30 % du rendement obtenu au cours des trois dernières années pour un fonds d’actions 100 % américaines n’utilisant aucune couverture de devise.
En toutes circonstances, il vaut mieux développer le réflexe de faire les démarches nécessaires auprès des sociétés de fonds que l’on utilise pour ne pas coincer les clients.