André Bourbonnais désire également implanter une culture d’entreprise forte et commune à toute l’organisation. On veut favoriser les échanges entre les différents groupes qui gèrent chacune des catégories d’actif. Auparavant, ces groupes agissaient de manière autonome.
En développant la marque PSP, son organisation pourra avoir une envergure mondiale, dit-il. Pour y parvenir, on compte recruter les meilleurs talents disponibles à l’échelle locale et internationale. Après avoir ouvert des bureaux à New York en novembre dernier, PSP compte également ouvrir des bureaux à Londres cette année, puis en Asie en 2017.
«Le monde du placement change, et PSP doit changer aussi, affirme André Bourbonnais. Les marchés sont particulièrement volatils aujourd’hui et réagissent au moindre soubresaut macroéconomique, aux politiques monétaires et à toutes sortes de facteurs qui n’ont souvent rien à voir avec la valeur intrinsèque de l’actif.»
Cependant, si plusieurs catégories d’actif affichent des prix élevés et de bas rendements, les bonnes affaires existent, croit André Bourbonnais.
Les rendements réels très bas et les bons rendements générés par PSP durant la dernière décennie représentent un défi de taille. Sur une période de 10 ans, PSP affiche un rendement net annualisé de 7,6 %, soit 1,6 point de pourcentage de plus que son objectif, qui est le taux de rendement actuariel à long terme qu’utilise le Bureau de l’actuaire en chef du Canada (BAC).
Miser sur les marchés privés
Pour atteindre ses objectifs de rendement, PSP a choisi de miser sur les marchés privés.
Au cours des prochaines années, on souhaite réduire le pourcentage investi dans les marchés publics au profit des marchés privés que sont les placements privés, les infrastructures et les ressources naturelles. Cette catégorie d’actif se caractérise par une diversification sectorielle et géographique avec des horizons de placement de 5 à 10 ans, parfois plus.
PSP veut également investir dans de nouvelles catégories d’actif. L’ouverture récente d’un bureau à New York en témoigne.
Ainsi, PSP compte sur les placements en dettes et titres de créances privés pour atteindre ses objectifs et diversifier ses avoirs. Pour ce faire, l’organisation a d’ailleurs embauché en novembre dernier David Scudellari, premier vice-président, chef des placements en dettes et titres de créances privés.
«Le marché du financement par endettement représente 1 000 G$, et il est en pleine transformation. Il offre une occasion incroyable pour PSP», affirme le président.
«Le marché du placement privé est aussi un métier de proximité qui nécessite une intelligence locale, des interactions plus fréquentes avec les partenaires actuels et potentiels», souligne-t-il à Finance et Investissement. Et l’expertise dans les placements en dettes et titres de créances privés se trouve à New York, précise André Bourbonnais.
On compte profiter de cette main-d’oeuvre locale en envoyant à New York les employés de Montréal afin qu’ils acquièrent eux aussi cette expertise et qu’ils en fassent ultimement bénéficier l’ensemble de l’organisation.
L’approche sera un peu la même à Londres, où l’on misera plutôt sur les marchés privés. «Dans tous les cas, on veut unir le talent local à celui de PSP afin de diffuser la culture d’entreprise à l’étranger», dit cet avocat de formation.
Une bonne stratégie
«En investissant dans les marchés privés, Investissements PSP devient un fournisseur de liquidité. Vendre de la prime de liquidité est une bonne stratégie, puisque cette caisse de retraite est jeune, que son afflux de liquidité est important et le sera encore longtemps», explique Pascal Duquette, directeur de la Fondation HEC Montréal. Ce dernier a travaillé près de 20 ans chez Investissements Canadien National, qui gère la caisse de retraite du Canadien National (CN).
«Les actifs des marchés privés sont souvent beaucoup moins chers que ceux des marchés publics», ajoute-t-il.
«Toutefois, puisque c’est un marché moins efficace, il faut beaucoup de travail pour trouver l’information pertinente sur la société qui m’intéresse. On peut examiner 50 dossiers avant d’y parvenir, et ensuite, on doit rester engagé dans l’entreprise pendant plusieurs années. Parfois, on devra faire de la restructuration. On devient le nouveau propriétaire», précise Pascal Duquette.
Il faut également être prêt à supporter le manque de liquidité. «Si une crise financière survient, comme en 2008, quand plusieurs caisses de retraite ont reçu des appels de liquidités (cash call), cela peut être problématique», affirme l’ancien président de Natcan.
Dans le cas de certains projets privés, ou même de projets d’infrastructure ou d’immobilier, le montant prévu n’est pas toujours investi d’un seul coup. En cas de problèmes dans les marchés, on pourrait demander d’accélérer les versements, et il faut alors avoir la liquidité pour le faire. «Certains gestionnaires de caisses de retraite ont dû vendre leur portefeuille d’actions pour répondre à ces appels en 2008», rappelle-t-il.
De nombreuses caisses de retraite importantes au Canada et dans le monde adoptent actuellement ce genre de stratégie. «Mais en faisant le travail de recherche et d’analyse soi-même, comme semble vouloir le faire PSP, on économise énormément en intégrant les coûts dans sa structure», indique Pascal Duquette.
«Comme les grandes banques d’affaires britanniques, Investissements PSP a compris que les occasions se trouvent un peu partout sur la planète et qu’il faut avoir une perspective mondiale», affirme Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP). Bien qu’inaccessibles aux petits investisseurs, les marchés privés sont des voies d’avenir pour les grands gestionnaires de caisses de retraite comme PSP, croit Michel Nadeau.
«En développant sa main-d’oeuvre et son expertise à l’interne et au Québec, on s’assure d’avoir des employés loyaux. On évite ainsi que des mercenaires venus de Londres, de New York et de Paris ne viennent travailler chez nous pour de courts mandats afin d’étoffer leur CV», souligne Michel Nadeau.
Enjeux de gouvernance
Cependant, faut-il le rappeler, les placements dans les marchés privés ne sont pas inscrits en Bourse. L’évaluation de la valeur marchande de ces investissements peu liquides pose donc un défi. On risque de surévaluer la valeur de l’actif. «Il faut s’assurer que les 112 G$ représentent vraiment 112 G$», remarque Michel Nadeau.
«Bien évaluer la valeur d’une forêt, par exemple, n’est pas simple. Cela soulève des enjeux de gouvernance. Il faut un comité d’évaluation externe qui supervise l’évaluation des placements en infrastructure, en immobilier, dans les ressources naturelles et les placements privés, afin qu’elle soit faite selon des modèles qui tiennent la route et qui rassureront le conseil d’administration», précise Michel Nadeau.
Le conseil d’administration de PSP est élu de façon indépendante, et c’est lui qui nomme le chef de la direction. «Plusieurs de ses administrateurs indépendants ont des compétences ou de l’expérience en finance, comme Léon Courville, ancien président de la Banque Nationale», précise Michel Magnan, chercheur et Fellow du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).
«Étant donné la nature des placements qui se complexifient, il faut s’assurer que les comités de retraite ont les compétences nécessaires pour comprendre ces produits financiers, afin d’assurer le suivi de la performance des gestionnaires», dit Michel Magnan.
«Dans les marchés privés, l’évaluation sera souvent effectuée selon un modèle théorique qui comporte des hypothèses à long terme permettant de faire du lissage des rendements. Cela laisse donc entendre qu’ils sont moins volatils, ce qui n’est pas nécessairement le cas», ajoute le chercheur du CIRANO.
Il faudra également gérer le risque de liquidité des actifs, si on doit s’en départir pour une raison particulière, rappelle-t-il. En misant de plus en plus sur les marchés privés, les caisses de retraite doivent donc comprendre que cela crée de nouveaux enjeux de gouvernance, conclut-il.