La forte progression du principal indice boursier canadien au premier semestre de 2021 ne devrait pas signaler aux investisseurs qu’il est temps de paniquer et de vendre en prévision d’une correction majeure, estiment des experts.
« Je crois que les investisseurs avisés apprécient le voyage », a observé Allan Small, conseiller principal en investissement chez IA Gestion privée de patrimoine.
En cette période où l’indice composé S&P/TSX cumule une progression de plus de 16 % depuis le début de l’année, Allan Small est habitué à recevoir des questions sur la durée de cette reprise.
« Les investisseurs se contentent parfois de se retirer complètement du marché, même dans les bons ou les mauvais moments », a-t-il noté lors d’une entrevue.
Mais Allan Small affirme ne pas être un grand partisan de ces opérations de vente, à moins que des circonstances personnelles ne justifient une telle décision. Au lieu de cela, il préfère retirer des bénéfices et déplacer de l’argent vers des secteurs ou des actions qui n’ont pas autant augmenté.
« Si l’on continue à faire circuler l’argent entre différents types d’investissements, à ne pas être cupide et à cueillir ses bénéfices lorsqu’on en a, je pense que c’est le meilleur moyen de se protéger en cours de route, car nous savons tous que rien ne monte pour toujours », a-t-il expliqué.
« Je pense qu’il faut profiter de cette période, car on ne sait jamais quand le prochain ralentissement se produira et si l’on ne profite pas des bons moments, les mauvais moments sont d’autant plus dévastateurs. »
Les marchés boursiers nord-américains ont le vent en poupe depuis leur plongeon du printemps 2020, en raison de l’impact de la pandémie de COVID-19. L’argent facile provenant des mesures de relance monétaire et budgétaire a soutenu les mouvements vers des séquences de records.
Après avoir bondi au cours des six premiers mois de l’année, Allan Small juge qu’il n’est probablement pas très probable que les marchés prennent un autre 15 % d’ici la fin de l’année.
« Je pense que les gains seront plus atténués au second semestre. Je pense toujours qu’il y aura des gains, mais peut-être que la croissance finira par être de 20 % ou 22 % à la fin de l’année, avec une croissance de 15 % dans la première moitié de l’année et seulement 5 % ou 7 % dans la seconde moitié. »
Après une solide progression et de bons rendements avant la COVID, Allan Small a indiqué que certains investisseurs étaient devenus complaisants et « devenaient presque insensibles » à tout sauf aux rendements solides.
Cette tiède réaction est triste parce que ces niveaux de rendement pour le marché ne sont pas courants, a-t-il souligné, notant que la moyenne à long terme pour le marché boursier de Toronto est d’environ 7 %.
Attentes plus élevées
Les investisseurs canadiens sont sortis de la crise de la COVID avec des attentes élevées en ce qui a trait aux revenus d’investissement, selon un sondage de Natixis Investment Managers.
L’enquête réalisée auprès de 8550 investisseurs dans le monde, dont 300 au Canada, a révélé que les attentes à long terme des investisseurs canadiens étaient 15 % plus élevées qu’avant le début de la pandémie, et deux fois supérieurs au rendement de 5,1 % que les professionnels de la finance jugent réalistes.
« Cependant, les investisseurs doivent être émotionnellement prêts pour résister aux niveaux de risque plus élevés qui sont nécessaires pour atteindre ces rendements démesurés », a observé Dave Goodsell, directeur général du centre pour les perspectives des investisseurs de Natixis Investment Managers.
L’enquête a révélé que 71 % des répondants reconnaissaient que des fluctuations soudaines du marché de 10 % étaient normales et 69 % convenaient que la volatilité pouvait créer des occasions d’investissement. Pourtant, 56 % ont déclaré qu’ils ne sont pas à l’aise de prendre des risques pour aller de l’avant, et 78 % préféreraient la sécurité de la protection des actifs à la performance des investissements.
Dans l’ensemble, 42 % des investisseurs canadiens ont apporté des modifications à leurs placements à la suite de la pandémie, dont 15 % qui disent avoir investi plus d’argent.
Les Canadiens ont dépensé davantage en investissements, notamment grâce aux 220 milliards de dollars (G$) d’économies résultant de la réduction des dépenses pendant la pandémie, ainsi qu’à l’aide des subventions gouvernementales. Et la valeur nette des ménages canadiens, y compris les avoirs immobiliers, a augmenté de 2000 G$ pendant la pandémie pour dépasser 16 000 G$, selon l’économiste en chef de la Banque de Montréal, Douglas Porter.
Pendant ce temps, une enquête mondiale menée par le CFA Institute auprès des professionnels de l’investissement a révélé que 44 % de ses membres canadiens pensaient que les mesures de relance du gouvernement avaient été « une mine d’or pour la classe des investisseurs, élargissant l’écart de richesse dans la société ».
Une pluralité de personnes interrogées dans le monde ont déclaré que les actions se sont remises trop rapidement de la crise du marché et devraient subir une correction d’ici un à trois ans.
Les bons moments devraient se poursuivre au moins jusqu’à la fin de 2022, lorsque les banques centrales pourraient commencer à augmenter les taux d’intérêt. Mais certains indices ont récemment laissé entrevoir un ralentissement de la croissance de l’économie et du marché.
Anish Chopra, directeur général de la firme Portfolio Management, a indiqué que les investisseurs commençaient à anticiper un ralentissement de la croissance et procédaient à des ajustements en réduisant leur exposition aux actions cycliques.
Il suggère aux investisseurs des portefeuilles équilibrés qui reflètent leur tolérance au risque, car il est difficile de prédire comment le marché évoluera.
« Je ne pense pas que les investisseurs soient nerveux. Je crois qu’ils sont en train de réévaluer l’idée qu’une plus grande partie de la croissance à l’avenir proviendra de la technologie, et non des valeurs cycliques. »
La plupart des observateurs du marché s’attendent à un peu plus de turbulences dans la seconde moitié de l’année, ce qui ralentira la croissance, l’année se terminant probablement par une légère reprise.
« Nous pourrions donc assister à une certaine volatilité tout au long de l’été », a estimé Colin Cieszynski, stratège en chef des marchés chez SIA Wealth Management.
Selon lui, la situation requiert de la part des investisseurs qu’ils soient plus sélectifs, plutôt que d’attendre la « marée montante qui soulève tous les bateaux ».
« C’est une période qui favorise un investissement un peu plus actif que passif. »
Pour les investisseurs à plus long terme, la meilleure chose à faire est de simplement attendre, a-t-il ajouté, notant que même dans un marché latéral, des sommets historiques sont tout de même atteints et la croissance se poursuit lentement.
« Donc, il pourrait y avoir d’étranges signaux d’avertissement, mais ce ne sont pas des drapeaux rouges criants comme lorsque (certains titres) sont achetés de façon ridicule en trop grande quantité, ou lorsque tout déraille, ou quelque chose comme ça. »