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Les conseillers en services financiers et leurs clients incorporés n’ont plus que quelques semaines pour décider s’ils déclenchent des milliards de dollars de gains en capital et ajustent en conséquence leur planification à long terme avant la hausse proposée par le gouvernement fédéral du taux d’inclusion des gains en capital de 50 % à 66 % sur les sommes de plus de 250 000 $.

« Nous finirons par manquer de temps, et tout le monde ne sera pas en mesure de faire le meilleur choix », s’inquiète Alexandra Spinner, associée en fiscalité chez Crowe Soberman, à Toronto. Elle prévoit de rencontrer des clients au cours du mois pour discuter des étapes à venir d’ici le 25 juin, date à laquelle le relèvement du taux d’inclusion des gains en capital entrera en vigueur.

L’un des clients de Spinner devra payer 1,8 million de dollars supplémentaires en impôts sur la vente d’un actif détenu par la société, en raison de la hausse du taux d’inclusion des gains en capital. L’actif doit être vendu après le 25 juin pour des raisons réglementaires. « Parfois, vous êtes simplement coincé », a-t-elle déclaré.

Joseph Bakish, gestionnaire de portefeuille et conseiller en placement chez Patrimoine Richardson, à Pointe-Claire, prévoit que son équipe et lui rencontreront des clients au cours de la première moitié de mai.

« Nous procédons à une évaluation complète pour tous nos clients afin de voir si un actif peut être cristallisé et à quelle date, puis nous évaluons quelles en sont les implications globales pour eux », a déclaré Joseph Bakish. Celui-ci se spécialise dans le conseil aux médecins constitués en société. « Ce ne sont pas tous les investisseurs qui détiennent des actions et des obligations liquides. »

Le 29 avril, l’Agence du revenu du Canada a publié une lettre d’interprétation indiquant que la vente d’une grande partie des actifs avant le 25 juin ne serait pas considérée comme de l’évitement fiscal.

« Nous sommes d’avis que lorsqu’un contribuable cristallise un gain en capital accumulé avant l’augmentation de la RGCG, la [règle générale anti-évitement (RGAÉ)] ne s’appliquerait généralement pas », indique la lettre. Toutefois, l’agence a averti que si l’objet principal de l’opération consiste à obtenir un avantage fiscal autre que l’imposition d’un gain lié à la hausse du taux d’inclusion actuelle, la RGAÉ peut s’appliquer.

Dans le budget fédéral de 2024, le gouvernement a proposé d’augmenter le taux d’inclusion aux deux tiers sur les gains en capital réalisés par les particuliers au cours d’une année pour la portion qui excède 250 000 $ pour les particuliers à compter du 25 juin. Pour les sociétés par actions et les fiducies, le relèvement du taux d’inclusion s’appliquera à l’ensemble des gains en capital réalisés, et ce, à compter du 25 juin.

Les modifications apportées au taux d’inclusion sur les gains en capital n’ont pas été incluses dans le projet de loi d’exécution du budget C-69, qui a franchi l’étape de la première lecture le 2 mai. Le gouvernement a toutefois indiqué que les ajustements auraient lieu comme annoncé.

Il s’avère pourtant difficile de conseiller les clients sans la présence d’une législation définitive. Par exemple, le gouvernement n’a pas indiqué comment les pertes en capital des années précédentes pourront être réparties en 2024, avant et après le 25 juin, ni si le seuil de 250 000 $ sera indexé.

Joseph Bakish vise à ce que ses clients déclenchent des gains en capital vers la mi-juin, dans l’espoir que le gouvernement fournisse plus de clarté sur les propositions d’ici là.

Ce qui est clair, c’est qu’après le 25 juin, il sera encore plus avantageux sur le plan fiscal de générer des gains en capital que de le faire dans une société si les changements sont adoptés tel que proposé.

En Ontario, par exemple, le taux d’imposition des gains en capital réalisés par une société et distribués sous forme de dividendes à des particuliers imposés au taux marginal le plus élevé sera de 38,62 % en vertu du relèvement du taux d’inclusion sur les gains en capital, alors qu’il était de 28,97 % avant le 25 juin. En comparaison, le taux d’imposition des particuliers sur les premiers 250 000 $ de gains sera de 26,77 % et de 35,69 % au-delà de ce seuil en vertu des modifications proposées.

L’écart entre les taux d’imposition sur les dividendes et les gains en capital réalisés sur les placements détenus dans une société va également se réduire à compter du 25 juin.

« Plutôt que de déclencher des gains en capital dans la société, vous voudrez peut-être revoir votre portefeuille pour vous assurer que vous déclenchez davantage de gains en capital au niveau personnel, car vous devez tenir compte du seuil de 250 000 $ », a déclaré Hemal Balsara, chef, Fiscalité, retraite et planification successorale, Assurance individuelle, à la Société Financière Manuvie, à Toronto.

Toutefois, si un client déclenche personnellement un gain en capital important avant le 25 juin, il pourrait se retrouver à payer le nouvel impôt minimum de remplacement (IMR) si, par exemple, le gain en capital représente la majeure partie de son revenu pour l’année. L’IMR ne s’applique pas au revenu gagné dans une société.

Lorsqu’elles génèrent des gains en capital, les sociétés risquent de perdre plus rapidement l’accès au taux d’imposition des petites entreprises en vertu des règles proposées. Cela s’explique par le fait que le maximum de 500 000 $ de la déduction accordée aux petites entreprises (DAPE) est réduit graduellement lorsque la société a un revenu de placement global supérieur à 50 000 $, jusqu’à ce que la DAPE soit complètement éliminée à 150 000 $.

Avec un taux d’inclusion sur les gains en capital aux deux tiers plutôt qu’à la moitié, « le revenu de placement global augmentera plus rapidement en raison de l’inclusion d’un plus grand nombre de gains en capital dans le calcul », signalent les avocates fiscalistes MaryAnne Loney et Michelle Fong, de McLennan Ross, à Edmonton, dans un billet de blogue daté du 25 avril concernant les changements proposés.

« Les sociétés devront se demander s’il est plus logique de verser des montants aux particuliers, en renonçant au report d’impôt, mais en leur permettant de profiter du seuil de 250 000 $ pour les gains en capital personnels et de permettre à leur société de conserver l’accès à la DAPE », ont-ils écrit.

Selon Joseph Bakish, les clients pourraient chercher à tirer plus de revenus de leur société, malgré la perte du report, afin de maximiser leurs CELI, leurs REER et d’autres comptes fiscalement avantageux.

Hemal Balsara est d’avis que les clients qui ont suffisamment d’argent dans leur société pour financer les besoins de leur vie courante peuvent envisager de contracter une assurance-vie qui sera détenue par l’entreprise. Les dépôts fructifient alors à l’abri de l’impôt dans le cadre de la police, et la prestation de décès libre d’impôt fournira des liquidités permettant de financer les obligations fiscales. La différence entre le capital-décès et le prix de base rajusté de la police peut être distribuée à partir du compte de dividendes en capital de la société sous forme de dividende libre d’impôt.

En effet, « nous requalifions les bénéfices non répartis en dividendes en capital libres d’impôt », a déclaré Hemal Balsara. « Le seul hic, c’est que l’assuré doit décéder. »

Les clients peuvent également envisager de demander à leur société d’établir et de financer un régime de retraite individuel. Cela leur permettrait de reporter leur rémunération pendant que les cotisations augmentent à l’abri de l’impôt.

« Nous croyons toujours fermement qu’il faut avoir une combinaison de stratégies basées sur l’assurance, les régimes de retraite et les placements traditionnels » à des fins de diversification dans une société, signale Joseph Bakish.

Cependant, l’augmentation du CGIR « pousse presque [les clients] davantage vers » les stratégies d’assurance et de retraite.

Les stratégies de dépouillement des excédents, qui visent à convertir les dividendes en gains en capital pour profiter du taux d’imposition plus bas, sont devenues moins attrayantes en raison de la hausse du CGIR et d’autres changements de politique.

« En augmentant le un taux d’inclusion sur les gains en capital, nous ne sommes pas exactement sur le même pied [en termes de taux d’imposition des dividendes et des gains en capital], mais nous nous en rapprochons beaucoup plus », analyse Alexandra Spinner, associée en fiscalité chez Crowe Soberman LLP à Toronto. « Les poteaux du but se sont rapprochés. »

Pourquoi les sociétés travaillent-elles encore pour le report d’impôt ?

La constitution en société continuera d’avoir du sens après le 25 juin pour les propriétaires d’entreprise et les professionnels s’ils génèrent plus de revenus dans leur entreprise qu’ils n’en ont besoin pour financer leurs dépenses personnelles, considère Alexandra Spinner.

Une société privée sous contrôle canadien en Ontario, par exemple, est imposée au taux des petites entreprises de 12,2 % sur la première tranche de 500 000 $ de revenu tiré d’une entreprise exploitée activement. Au-delà de ce seuil, le revenu provenant d’une entreprise exploitée activement est imposé au taux général des sociétés, soit 26,5 %.

En revanche, un propriétaire unique est imposé à son taux marginal d’imposition personnel, qui en Ontario atteint 53,53 % sur les revenus supérieurs à 246 752 $.

Lorsque le revenu sera éventuellement retiré de la société sous forme de dividendes, il sera imposé au niveau des particuliers. Toutefois, la différence importante entre les taux d’imposition permet aux propriétaires de sociétés de reporter l’impôt et d’affecter à des placements une plus grande partie de leur revenu après impôt. C’est « une énorme longueur d’avance — c’est comme [avoir] un super REER », estime Alexandra Spinner

Un propriétaire d’entreprise pourrait tirer un revenu de sa société pour investir personnellement et profiter du taux d’inclusion sur les gains en capital de 50 % pour les gains inférieurs à 250 000 $, « mais il devra peut-être payer de l’impôt sur le revenu des particuliers et renoncer au report », a-t-elle déclaré. « Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre [en vertu du changement proposé]. »

Cet article est tiré de l’édition de mai d’Investment Executive.