La Loi sur la non-discrimination génétique a reçu la sanction royale en mai. Elle interdira à toute personne ou entité – y compris les assureurs – d’exiger qu’un individu subisse un test génétique ou qu’il en communique les résultats comme condition à la fourniture de biens ou de services.
Selon une déclaration de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), l’industrie est «extrêmement déçue» que le projet de loi ait été adopté sans amendement significatif : «Nous croyons que le projet de loi aura des conséquences imprévues, y compris sur l’accessibilité de l’assurance. L’industrie examine actuellement son impact sur les consommateurs et évalue ses options à la lumière de la décision du Parlement.»
Les assureurs de personnes n’exigent pas que les assurés subissent des tests génétiques dans le cadre du processus de demande d’assurance. Toutefois, si ces demandeurs d’assurance ont subi un test génétique qui les a informés de leur prédisposition à une maladie, les assureurs disent avoir besoin d’accéder à cette information afin d’évaluer les risques adéquatement.
Bloquer l’accès aux données génétiques, selon l’ACCAP, mènerait à des réclamations moins prévisibles et à des coûts plus élevés pour tous les consommateurs. L’association souligne une étude réalisée par l’Institut canadien des actuaires qui concluait que le projet de loi S-201 entraînerait une augmentation des coûts des polices d’assurance vie temporaire de 30 % pour les hommes et de 50 % pour les femmes. Ce qui, selon l’ACCAP, rendrait l’assurance vie inabordable pour de nombreux Canadiens de la classe moyenne et à plus faible revenu.
Des doutes
Toutefois, d’autres membres de l’industrie de l’assurance doutent que cette loi ait un impact aussi significatif sur les primes. Ami Maishlish, président de CompuOffice Software, de Markham, en Ontario – l’entreprise qui a mis au point LifeGuide, le logiciel de comparaison et de soumission d’assurance vie – remarque que les assureurs souscrivaient des polices bien avant que les tests génétiques soient offerts, sans que cela ait des conséquences financières négatives.
Par ailleurs, selon Ami Maishlish, même sans accéder aux résultats des tests génétiques, les assureurs peuvent recueillir des données génétiques par d’autres moyens. Par exemple, dans bon nombre de formulaires de demande d’assurance de personnes, une question est posée aux demandeurs pour savoir si des membres de leur famille ont reçu un diagnostic de maladies héréditaires. «Les compagnies d’assurance recueillent déjà cette information», dit-il.
D’après Ami Maishlish, l’entrée en vigueur de la loi S-201 est une chose positive pour les demandeurs d’assurance vie. «Je suis très content que [le projet de loi] ait été adopté, dit-il. C’est avant tout un problème de droit de l’homme.»
Bien que l’accès aux tests génétiques puisse augmenter les profits des assureurs, Ami Maishlish ajoute qu’il ne s’attend pas à ce que la mise en oeuvre de la loi S-201 entraîne une augmentation des primes.
Toutefois, si les tests génétiques devenaient plus courants comme façon de déterminer sa prédisposition à une maladie, l’impact négatif de la loi sur les compagnies d’assurance pourrait devenir significatif, selon William Watson, directeur suppléant du Département d’économie de l’Université McGill, à Montréal, et senior fellow de l’Institut Fraser. «Je crois que les gens viennent d’apprendre qu’ils peuvent subir ces tests, dit-il. Mais une fois que 30 % de la population commencera à le faire, [les résultats des tests] pourront alors constituer un matériau essentiel.»
William Watson affirme que le projet de loi présenté crée un écart de connaissances entre les demandeurs et les compagnies d’assurance, qui désavantage les assureurs : «[En tant que demandeur] vous connaissez les risques [de maladie], vous demandez à la compagnie d’assurance de vous vendre une assurance contre ces risques, mais sans totalement l’informer de ces risques. Alors, cela semble vraiment injuste.»
La mise en oeuvre de la loi pourrait être confrontée à des obstacles. L’industrie de l’assurance, ainsi que des politiciens dont le premier ministre Justin Trudeau et la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, ont fait part de leurs préoccupations quant à l’inconstitutionnalité de la loi parce que les provinces ont compétence sur l’industrie de l’assurance. Jody Wilson-Raybould a indiqué qu’elle prévoit présenter à la Cour suprême du Canada une question sur la constitutionalité de la loi, qui pourrait mettre en danger le sort réservé à la loi.
Entre-temps, l’industrie de l’assurance prend des mesures pour répondre aux préoccupations des clients concernant les tests génétiques. L’ACCAP, dont les compagnies membres représentent 99 % des activités de l’assurance de personnes, a récemment apporté un amendement au code de pratiques de l’industrie de façon à inclure l’engagement qu’à partir de janvier 2018, ses membres n’exigeront plus ou n’utiliseront plus les informations des tests génétiques pour les nouvelles demandes d’assurance vie allant jusqu’à 250 000 $. Ce qui signifie qu’on ne demandera pas les résultats de tests génétiques à environ 85 % des demandeurs d’assurance vie.
Afin de prévenir tout préjudice potentiel dans le processus de souscription, toutefois, Ami Maishlish considère que les assureurs ne devraient pas avoir du tout accès à l’information des tests génétiques.
«Les tests génétiques fourniront immanquablement de l’information sur la race et l’ethnie de la personne. Aucune compagnie d’assurance n’a le droit d’avoir cette information, dit-il. Si c’est autorisé, nous ouvrirons une boîte de Pandore que les futures générations regretteront.»