Le groupe de réflexion de droite fait valoir que le taux moyen de l’impôt sur le revenu des sociétés aux États-Unis (taux combiné fédéral et États), qui était de 39 %, est passé à 26 % en 2018 à la suite de la réforme fiscale de l’administration Trump, alors que le taux canadien (taux combiné fédéral et provinces), qui était hautement compétitif à 27 %, est demeuré inchangé, perdant ainsi son avantage.
L’institut, qui est soutenu par la grande entreprise du secteur privé, avait fait les mêmes représentations auprès du ministre des Finances Bill Morneau en février dernier à l’approche du dépôt de son budget et l’appel survient, cette fois, à la veille de la mise à jour économique du ministre fédéral.
En entrevue avec La Presse canadienne, l’économiste Mathieu Bédard a cependant précisé que « ça fait même plusieurs années que (l’investissement) va mal, mais les choses vont potentiellement s’aggraver avec cette perte de compétitivité ».
Or, la baisse des impôts aux États-Unis, elle, ne peut avoir eu d’impact depuis plusieurs années, puisqu’elle vient d’entrer en vigueur. Invité à donner un exemple de perte d’investissement récente, M. Bédard a cité l’annulation de 87 milliards de dollars (G$) d’investissements en infrastructures de pipelines, mais il a dû reconnaître que la perte de ces investissements n’était aucunement attribuable à la fiscalité, mais bien à la conjoncture internationale de l’industrie pétrolière et à l’absence d’acceptabilité sociale des projets annulés en question.
Contrairement à ce qu’affirme l’Institut, d’ailleurs, l’organisme Montréal international signalait au printemps dernier des investissements étrangers à hauteur de 2 G$ en 2017 dans la région métropolitaine, une hausse de 50 % par rapport à 2016 et de 100 % par rapport à 2015.
Le président-directeur général de Montréal international, Hubert Bolduc, ne cachait pas son inquiétude de voir l’investissement étranger baisser cette année, mais cette inquiétude n’était nullement liée à une perte de compétitivité fiscale; elle était plutôt due à l’attentisme des investisseurs qui craignaient de perdre l’accès au marché américain avec la remise en question de l’Accord de libre-échange nord-américain par le président Donald Trump, crainte qui a été apaisée avec la conclusion récente d’un nouvel accord.
Impôt des sociétés en baisse constante
Malgré tout, l’IEDM persiste à réclamer la poursuite de la baisse de l’impôt sur le revenu des entreprises amorcée en 2001.
Au niveau fédéral, cet impôt était de 28 % en 2001 et la réduction s’est amorcée sous le gouvernement libéral de Jean Chrétien pour se poursuivre sous Paul Martin et ensuite sous les conservateurs de Stephen Harper pour atteindre en 2012 son taux actuel de 15 %. L’autre portion du taux canadien moyen de 27 % est attribuable aux provinces, où il varie de 11,5 % en Ontario à 16 % à l’Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse.
L’Institut soutient que cet impôt est l’un de ceux dont les effets sur l’économie sont les plus néfastes et il avance qu’Ottawa a une marge de manoeuvre amplement suffisante, malgré ses déficits, pour réduire ses revenus fiscaux de l’impôt sur les revenus des entreprises de 29 G$ (ces revenus atteignaient 45 G$ en 2017).
Mathieu Bédard note que la réduction du taux au fédéral entre 2001 et 2012 n’a entraîné aucune perte de revenus pour l’État fédéral en bout de ligne, les revenus se maintenant en raison d’importants investissements, stimulés par cette réduction d’impôt.
Là encore, toutefois, l’Institut ne peut attribuer entièrement la forte croissance de l’investissement durant cette période à la réduction d’impôt, reconnaissant que « cela est dû en partie, bien sûr, au boom des matières premières ».
L’économiste rappelle cependant que « lorsqu’on réduit ce type d’impôt, il y a énormément d’entreprises qui rapatrient ce genre de revenus-là où les impôts ont été baissés, simplement pour profiter du taux d’imposition qui est plus compétitif. (…) Il y a des entreprises qui ont rapatrié des profits qui étaient auparavant taxés à l’étranger, là où c’était moins cher et qui, maintenant, les payaient au Canada ».
Mathieu Bédard reconnaît cependant que les baisses d’impôt comme appât pour rapatrier des profits ont leurs limites dans un monde où la disponibilité de paradis fiscaux ouvre aux stratégies d’« optimisation » et d’«évitement ».
« Même si le fédéral baisse son impôt sur le revenu des entreprises, il n’ira pas aussi bas que ça (les paradis fiscaux). Le problème de la lutte contre l’optimisation fiscale ou l’évitement fiscal va toujours se poser », note-t-il avec réalisme.
Augmentation des salaires
L’Institut ajoute à son argumentaire que les travailleurs seront les grands gagnants d’une réduction de l’impôt sur le revenu des entreprises.
« Les études sont pas mal unanimes à cet effet, que les baisses d’impôt (sur le revenu des entreprises) se soldent généralement par des augmentations de salaire », affirme Mathieu Bédard.
La note économique précise à cet effet qu’« étant donné que ces investissements permettent aux travailleurs d’être plus productifs en produisant plus de biens et de services plus rapidement, les entreprises peuvent embaucher encore plus de travailleurs et aussi payer des salaires plus élevés ».
On peut aussi y lire que « l’expérience canadienne entre 2001 et 2012, lorsque le taux d’imposition fédéral des sociétés a été abaissé, corrobore ces conclusions: les salaires canadiens ont en effet augmenté plus rapidement qu’au cours de la décennie précédente et plus rapidement que dans les autres pays industrialisés ».
Encore là, des nuances s’imposent, toutefois.
L’investissement dans la productivité, qui implique une modernisation de l’équipement, s’accompagne très souvent d’un rehaussement de l’expertise requise pour opérer le nouvel équipement et, très souvent également, par le remplacement du travailleur par un collègue plus spécialisé. Le niveau général de salaire augmente, mais le salaire du travailleur initial reste le même s’il n’a pas bénéficié d’une formation professionnelle adéquate. Ou pire, il peut perdre son emploi.
Le rehaussement des salaires observé durant cette période s’explique aussi par d’autres facteurs, soit, tel que mentionné plus haut, le boom de ressources naturelles, où les salaires sont plus élevés que dans le secteur manufacturier, ainsi que par ce que M. Bédard appelle « l’explosion du secteur des services ».
Or, ce secteur offre une multitude d’emplois qui sont mieux rémunérés.
Le nombre d’éléments qui s’ajoutent à la réduction des impôts sur le revenu des entreprises menée en parallèle durant ces années rendent donc l’analyse extrêmement périlleuse, reconnaît l’économiste, qui maintient malgré tout l’argumentaire.
« C’est sûr que ce sont tous des phénomènes qui sont difficiles à départager, quel est le poids et quelle est la responsabilité de tout ça, mais je suis assez confiant dans le sens que toutes les études internationales montrent que, quand les impôts sur les entreprises baissent, les salaires augmentent. »