C’est ce qu’estime l’avocat Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services financiers. Il a consulté l’avis juridique sur ce régime transitoire qui a été le produit par le cabinet Lavery avocat, pour le compte de la CSF.
Selon cet avis, l’AMF serait en conflit d’intérêts au moment de la liquidation des biens de la CSF. Dès la sanction du projet de loi, l’AMF deviendrait l’administrateur provisoire de la CSF et « pourra, sans aucune intervention de la Cour supérieure du Québec, prendre possession de tous les biens de [la CSF], exercer ses pouvoirs et ceux de ses administrateurs et dirigeants, poursuivre en tout ou en partie les affaires de la Chambre ou prendre toute mesure conservatoire s’y rapportant, résilier ou résoudre tout contrat auquel est partie la [CSF], (…), faire cession, au nom de la Chambre, de tous ses biens au profit de ses créanciers et agir à titre de syndic », lit-on dans l’avis.
Or, comme la Cour supérieure n’est appelée à jouer aucun rôle dans le processus de liquidation « [l’AMF] se retrouve donc à jouer le rôle de juge et partie relativement à l’attribution des biens et actifs de la CSF, ce qui va notamment à l’encontre du principe énoncé aux articles 324 et 360 du Code civil du Québec voulant que le liquidateur, à titre d’administrateur du bien d’autrui, doive éviter de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et ses obligations d’administrateur », peut-on lire dans l’avis juridique écrit par les avocats Jean Martel et Raymond Doray, du cabinet Lavery avocats.
« C’est un fait que l’AMF se retrouve à la fois le liquidateur et le bénéficiaire des chambres si jamais l’intégration avait lieu, selon le projet de loi. C’est un peu particulier. Est-ce que dans le cadre de la liquidation, les décisions vont être faites en toute indépendance, ou au bénéfice de l’ensemble ? Peut-être que oui, je ne doute pas de la bonne foi de l’AMF. Il y a minimalement une apparence de conflit d’intérêts. Et ce n’est pas souhaitable », a déclaré Maxime Gauthier à Finance et Investissement.
Entre autres pour cette raison, Maxime Gauthier estime que l’avis juridique est suffisamment crédible pour ne pas être balayé du revers de la main par le ministre des Finances du Québec, Carlos J. Leitão: « Il faudrait qu’il se penche sur son régime transitoire. Il y a peut-être des écueils à cet endroit-là. L’attitude du ministre ne m’a pas rassuré sur son intention de se poser des questions. »
En effet, en commission parlementaire, Carlos Leitão a demandé à ses juristes d’examiner l’avis juridique. « Nous n’allons pas laisser ça [cet avis juridique] passer comme lettre à la poste, mais je ne suis pas un expert légal. Je vais me fier à mes experts. Mon opinion d’économiste, toutefois, c’est qu’il me semble que c’est un peu exagéré, mais je vais laisser ça aux experts », a-t-il dit.
Le projet de loi brimerait la liberté d’association
Le projet de loi 141 porte atteinte à la liberté d’association, parce qu’il impose la liquidation de la CSF qui est une association de personnes constituée en personne morale, d’après l’avis juridique.
En 2002, lors de l’adoption de la Loi sur l’Agence nationale d’encadrement du secteur financier, qui deviendra l’AMF, le législateur a reconnu qu’advenant le cas où l’AMF cesserait de reconnaître la CSF à titre d’organisme d’autoréglementation, cette dernière continuerait son existence en tant qu’association de personnes constituée en personne morale, selon l’avis juridique. Cette disposition se retrouve toujours dans la loi de l’AMF.
« Or, la liquidation pure et simple de la Chambre prévue à l’article 558 du PL 141 équivaut à l’abolition d’une association sans l’accord de son conseil d’administration ni celui de ses membres. Qui plus est, en privant cette association de ses actifs, la loi fait en sorte qu’elle ne peut plus véritablement renaître au profit et dans l’intérêt de ses membres », lit-on dans l’avis juridique.
« À notre avis, la liquidation pure et simple de la Chambre, sans prévoir la continuation de l’existence de l’association de membres qu’elle constitue actuellement (et qu’elle constituait avant qu’elle ne soit instituée en personne morale de droit public à qui des fonctions et pouvoirs ont été confiés), pourrait être considérée par un tribunal comme portant atteinte à la liberté d’association puisqu’elle empêche le maintien de l’entité associative qu’est la Chambre », d’après les auteurs de l’avis juridique.
Maxime Gauthier juge que cet argument est assez sérieux et étoffé pour que le gouvernement l’étudie adéquatement : « Que le gouvernement retire des pouvoirs aux chambres, c’est une chose. Mais qu’il force l’intégration d’association dûment composée de membres qui paient une cotisation et qui exercent un régime de gestion démocratique à l’intérieur de ces entités, ça m’apparaît très particulier. Ça mérite réflexion. »
Employés entre l’arbre et l’écorce
D’après l’avis juridique, le mécanisme de sélection des employés de la Chambre par l’AMF est entièrement discrétionnaire et contrevient aux normes usuelles en cette matière.
En effet, le projet de loi 141 prévoit que l’AMF désigne les employés de la CSF qui deviennent ses employés et qu’elle met fin aux contrats de travail des autres membres du personnel de la
CSF qui sont encore en fonction et dont elle n’a pas retenu les services, lit-on dans l’avis juridique : « Il n’y a donc pas en l’espèce de mécanisme d’intégration des employés de la Chambre à l’AMF comme c’est le cas usuellement lorsqu’il y a fusion d’organismes ou transfert de fonctions et de responsabilités d’un organisme à un autre. »
Cette façon de faire est contraire aux usages et politiques législatives applicables en pareilles circonstances, d’après l’avis juridique : « Ne reconnaître aucun droit aux employés est non seulement susceptible de créer des injustices, mais également, selon toute vraisemblance, de multiplier les recours judiciaires. »
Maxime Gauthier juge que le régime transitoire mérite d’être réévalué, même s’il ne voit pas d’intention malhonnête : « Dans le cadre d’une fusion, on essaie de minimiser les dommages collatéraux. Ce n’est pas la faute des employés des chambres que le gouvernement fait un projet de loi. Ils n’ont pas à faire les frais de cette situation. »
Lors de la Commission des finances publiques, le ministre Carlos Leitao a tenu à rassurer les employés des deux chambres. « L’AMF s’est engagée formellement à les intégrer. Les personnes pourront poursuivre leur carrière professionnelle à l’AMF », a-t-il déclaré.
Nationaliser la CSF, sans indemnité?
Le projet de loi 141 permettrait d’exproprier sans indemnité les membres de la CSF de ses actifs, selon l’avis juridique.
« En dépit du fait que le texte du projet de loi ne soit aucunement spécifique et clair à cet égard, il est permis de penser que l’AMF compte s’approprier de manière définitive les biens de la Chambre lorsque le processus de liquidation sera complété », lit-on dans l’avis juridique. « Rien ne permet en conséquence de penser que l’on ait envisagé la redistribution des actifs de la CSF à ses membres comme le prescrit le Code civil du Québec », écrivent les auteurs.
Maxime Gauthier juge inapproprié cette façon de faire. « Ce sont les membres qui, par leurs cotisations, ont toujours payé toutes les dépenses de la Chambre. Tous les salaires honoraires, mais aussi les biens de la CSF, comme le mobilier, les biens matériels, tout ce qui a été fait. C’est moi qui l’ai payé comme professionnel. Et là, on vient “nationaliser” la chose, sans même me donner le droit d’être entendu ? » déplore-t-il.