Liquidité affaiblie dans les obligations
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L’écart entre les prix acheteur et les prix vendeur des obligations de sociétés «a augmenté de plus de 50 % aux États-Unis, une situation un peu plus grave du côté canadien», précise Denis Senécal, premier vice-président et chef des placements, titres à revenu fixe canadiens, chez BMO Gestion mondiale d’actifs.

Ainsi, selon BMO, l’écart de 8,5 points de base (pb) en 2007 s’est creusé à 13,2 pb à la fin de 2015. «Et il ne fait que s’élargir depuis», ajoute Denis Senécal. Il s’agit d’une moyenne pour tous les titres dont les cotes s’étendent de BBB à AAA.

Avant la crise financière de 2007-2008, l’écart était en général de l’ordre de 4 à 5 pb. Dans les obligations gouvernementales, il n’était que de 1 à 2 pb.

Impact réglementaire

«Derrière cette baisse, on trouve le resserrement réglementaire touchant les banques», explique Richard Beaulieu, vice-président et économiste principal chez Addenda Capital.

«Les autorités ont voulu réduire le niveau de risque des institutions en accroissant les niveaux de leur capital de réserve réglementaire, ajoute-t-il. Cela a entraîné un changement de leur modèle d’entreprise.»

Auparavant, les institutions financières n’hésitaient pas à agir dans le marché à titre de «mainteneur de marchés», c’est-à-dire qu’elles détenaient de grands stocks d’obligations, prêtes pour une vente immédiate.

À présent, elles interviennent surtout à titre de «mandataires» : elles se contentent d’apparier les ordres d’achat et de vente sans détenir elles-mêmes les obligations négociées.

Du coup, les délais d’exécution sont prolongés et les écarts de prix acheteur et de prix vendeur, prolongés, car «l’acheteur doit payer une prime du fait que l’institution n’a pas les titres en stock et doit les trouver», note Benoît Durocher, vice-président directeur et chef stratège économique, chez Addenda Capital.

Nouveau modèle

L’affaiblissement de la liquidité est exacerbé par un modèle de transactions qui se déplace de plus en plus vers les plateformes électroniques, juge Richard Beaulieu.

Auparavant, dans un marché animé davantage par des courtiers et des mainteneurs de marché opérant de gré à gré, «le mainteneur connaissait les conditions de marché et détenait davantage d’information sur les détenteurs et les acheteurs. Il était plus à l’aise de détenir des titres en stock», explique-t-il.

À présent, comme c’est déjà beaucoup le cas dans le marché des actions, le secteur des obligations se déplace vers un modèle de négociation (trading) plutôt que d’investissement.

«Une grande partie du volume porte sur de petits montants, exécutés strictement pour découvrir les prix, déplore Benoît Durocher. Ça donne un marché dans lequel les mouvements sont brusques et disposent de peu de liquidité.»

Mouvement freiné

La Banque du Canada assigne un niveau de risque moyen à l’affaiblissement des liquidités. Il faut dire qu’un facteur important contribue à le contenir : les achats massifs de titres obligataires par les banques centrales américaine, européenne et japonaise.

Rappelons que les prix des obligations évoluent en sens inverse de leur rendement ou de leur taux.

«Pour compenser la liquidité plus faible, les investisseurs demandent un rendement plus élevé, ce qui devrait pousser les taux vers le haut. Par contre, les achats massifs des banques centrales ont freiné ce mouvement», explique Jimmy Jean, économiste principal au Mouvement Desjardins.

Denis Senécal est du même avis : «Le risque est diminué en raison de l’implication des banques centrales».

Choc possible

Toutefois, un choc quelconque pourrait rapidement aggraver la situation.

«Dans un marché normal, des liquidités moindres n’ont pas trop de conséquences», affirme Benoît Durocher.

Toutefois, quand les marchés sont plus désordonnés et que des surprises importantes surgissent, «il n’y a plus d’intermédiaire prêt à mettre son bilan en jeu. Dans un tel marché, les prix tombent très vite», souligne-t-il.

Un tel désordre pourrait suivre n’importe quel choc inattendu : une déstabilisation bancaire en Chine, une hausse trop appuyée des taux par la Réserve fédérale des États-Unis, une intensification des déboires bancaires en Europe.

Le secteur des fonds négociés en Bourse (FNB) pourrait être un amplificateur dans un marché en alerte.

Pour les acheteurs de FNB obligataires, le marché est au départ liquide et efficace. «Toutefois, les titres sous-jacents ne sont pas nécessairement très liquides, indique Richard Beaulieu. S’il y avait une course des détenteurs de FNB vers la sortie, les manufacturiers devraient vendre les titres sous-jacents, ce qu’ils ne pourraient pas faire sans essuyer de fortes pertes.»

Le problème serait plus prononcé dans les titres obligataires de sociétés, surtout les titres plus risqués qui portent un rendement plus élevé.

«Beaucoup d’émetteurs de qualité discutable ont quand même eu accès au marché à des conditions avantageuses ; les taux d’intérêt actuels accroissent la demande de titres de piètre qualité», dit Benoît Durocher.

«Si leurs détenteurs voulaient s’en départir, l’accès à la sortie serait pas mal restreint», complète Richard Beaulieu.

Comme en 2008 ?

On ne peut dire avec précision quelles pourraient être les conséquences d’un blocage des marchés obligataires.

 

Une chose est sûre cependant : les entreprises auraient beaucoup plus de difficulté à financer leurs projets de développement. «Cela pourrait saper l’effort des banques centrales qui cherchaient à diminuer les taux et à stimuler l’économie», dit Jimmy Jean.

Les turbulences s’étendraient sans doute à l’ensemble des marchés financiers. Un blocage de li quidité «reproduirait la situation de 2008 avec la crise du papier commercial, ajoute l’économiste de Desjardins. Cela minerait la confiance que les banques ont les unes envers les autres.»

«On risquerait donc d’assister à des effets ramifiés dans le système bancaire. Les subprimes [prêts à risque] étaient de mauvaise qualité, mais très liquides. Quand on en a découvert la mauvaise qualité, tout a gelé. La Banque du Canada craint que quelque chose de similaire ne se reproduise», indique Jimmy Jean.