Louis Vachon est le gagnant de la catégorie institutions financières à portée nationale du Top 25 de l’industrie financière du Québec.
Finance et Investissement (FI): Quels sont vos principaux faits d’armes depuis cinq ans?
Louis Vachon (LV) : Il y a notamment la création d’une vision internationale qui n’existait pas auparavant et qui représente maintenant 10 % des profits de la BN. Ça inclut Credigy aux États-Unis, une division qui était en place, mais qui a eu une très forte croissance depuis cinq ans. Il y a aussi évidemment ABA Bank au Cambodge qui n’était pas dans la famille de la BN et qui était beaucoup plus petite [lorsqu’on l’a acquise]. Aujourd’hui, on a 4000 employés au Cambodge et on a une banque qui génère près de 100 M$ de profits en dollars canadiens.
Deuxièmement, nous avons beaucoup progressé dans la numérisation et l’automatisation du point de vue technologique. Nous avons fait des investissements et des progrès énormes du point de vue technologique. On déploie des technologies qui n’existaient pas il y a cinq ans comme, entre autres, l’apprentissage machine et l’intelligence artificielle.
Finalement, il y a eu l’évolution culturelle de la BN. En effet, l’évolution démographique et culturelle de la banque continue de progresser de belle façon.
FI : Avez-vous gagné votre pari à l’international?
LV : L’important c’est d’avoir au moins un coup de circuit. Nous ne nous attendions pas à en faire un sur les trois placements que nous avons faits à l’international, mais Credigy a été un coup de circuit pour nous. Avec Credigy, nous générons deux fois plus de profits que ce que nous avons payé pour la compagnie en 2006. Un ratio de cours-bénéfice de 0,5 ça n’arrive pas souvent.
Est-ce qu’il y a eu de la pression [lorsque nous avons décidé de faire notre développement international]? Oui, bien sûr, toute organisation canadienne qui va à l’extérieur du pays recevra initialement des commentaires comme : « Tu vas te casser la gueule, tu sors du domaine que tu connais ». Ce n’était pas toujours facile, mais maintenant, comme je dis souvent, il faut toujours se garder une certaine modestie dans ces choses-là. La preuve ultime sera dans cinq ou dix ans lorsqu’on pourra voir la performance sur quelques années et lorsqu’il y aura un ralentissement économique. Comment ces divisions-là vont-elles se comporter dans le ralentissement économique? Ce sera là que le verdict final va tomber. Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu de récession et il faut se garder une certaine humilité.
FI : Selon vous, quels sont les risques qui sont sous-estimés actuellement
LV : Je ne pense pas qu’il y ait des risques qui soient sous-estimés ces temps-ci. Cela dit, un risque qui est présent et toujours plus dur à évaluer, c’est le risque technologique. L’être humain est assez bon à gérer des vieux risques qu’il a déjà connus, mais il est moins bon pour les voir venir lorsqu’ils sont liés à l’arrivée d’une nouvelle technologie ou d’un nouveau produit financier. Il y a de nouvelles occasions, mais aussi de nouveaux risques. Il faut garder une certaine agilité et l’œil ouvert.
FI : Que pensez-vous du fait que certains régulateurs affichent des réserves quant aux honoraires qui comporteraient un risque de conflit d’intérêts dans certaines situations?
LV: C’étaient les mêmes agences réglementaires qui nous disaient il y a quelques années qu’une rémunération sur une base de commissions était une source de conflit d’intérêts. Il y a toujours quelqu’un qui va s’opposer à la paix et à la prospérité. Vous pouvez me citer là-dessus.
FI : Comment pensez-vous que le segment indépendant va évoluer durant les prochaines années?
LV : En général, dans l’industrie, on pense que le marché de la gestion de patrimoine est divisé en deux: les services-conseils et les investisseurs qui font les choses par eux-mêmes. Nous, on croit plutôt que le marché se divise en trois : le conseil affilié aux grandes organisations, les conseillers indépendants et le courtage direct.
Nous sommes la seule institution financière majeure au Canada à être impliquées dans les trois segments. Nous croyons dans les trois segments et nous estimons qu’il y a des besoins pour les trois. Aux États-Unis par exemple, on voit que le segment indépendant va continuer de croître et je crois qu’on va voir la même chose au Canada.
Nous offrons donc des services d’arrière-guichet et de démocratisation de la techno par National Bank Independant Network (NBIN). Nous avons aussi une approche basée sur l’architecture ouverte en termes de sélection des produits. Nous pensons qu’en ce qui concerne le choix des consommateurs, il y aura une pression réglementaire pour favoriser l’architecture ouverte dans les grandes firmes de gestion de patrimoine. On est déjà très bien positionnés dans l’avenir.
FI : Qu’auriez-vous fait si vous n’aviez pas été banquier?
LV : J’ai développé à 18 ans une passion pour la finance. Je n’ai jamais été quelqu’un qui se questionnait beaucoup. J’avais deux choix à 18 ans : aller étudier aux États-Unis ou m’enrôler au Collège militaire royal de Saint-Jean. Je serais donc peut-être allé dans l’armée si je n’avais pas été banquier.
FI : Faites-vous des erreurs, si oui, lesquelles?
LV : Des erreurs, j’en fais. C’est très important. Dans la vie ce ne sont pas les gens qui font des erreurs qui sont dangereux, ce sont ceux qui font des erreurs et qui ne sont pas capables de les admettre. C’est un défaut que je n’ai pas, je fais l’erreur, je l’admets et je passe à un autre appel. J’en ai fait, je vais en refaire encore. Par exemple, j’ai fait l’erreur de retarder le déploiement du service bancaire sur téléphone d’un an.
FI : Pensez-vous que les changements réglementaires frappent plus durement les plus petits acteurs de l’industrie? Certains prétendent que ce sont les grandes institutions financières qui les demandent afin d’étouffer les plus petits acteurs. Est-ce juste comme allégation?
LV : C’est de la finance fiction. La réalité c’est que le resserrement réglementaire est un phénomène mondial, surtout dans les dix dernières années. Ce n’est pas un phénomène made in Canada. Le Canada a quand même gardé un assez bon équilibre réglementaire comparé à d’autres juridictions où l’industrie est surréglementée. La surrèglementation a un impact négatif sur tous les joueurs, c’est un « lose, lose, lose ».