Desjardins Gestion internationale d’actifs (DGIA) a fait de la diversité un de ses chevaux de bataille. Certes, Desjardins offre de nombreux produits d’investissement responsable et la société s’est engagée publiquement à améliorer la diversité dans ses rangs. Mais au-delà de cette rhétorique, l’institution cherche à ce que les firmes dans lesquelles elle investit changent également.
En matière d’engagement, Desjardins fait partie du Club des 30 % à titre d’institution. À l’instar des autres membres de ce club, elle s’est engagée en 2019 à ce que son conseil d’administration (CA) et sa haute direction soient composés d’au moins 30 % de femmes d’ici 2022. Dès la fin de 2020, 50 % des membres de son comité de direction étaient des femmes et il y avait 34 % de femmes occupant des postes de cadres supérieurs du Mouvement.
Mais l’institution ne s’est pas arrêtée là. Elle a également décidé d’appliquer la ligne directrice du Club des 30 % à ses placements.
Pour y parvenir, l’équipe en investissement responsable (IR) de DGIA apporte son soutien aux équipes de placement. Dans le cas des portefeuilles en IR, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont d’office pris en compte, mais ces critères influent dorénavant davantage au moment de la sélection des placements plus traditionnels.
« Nos équipes chez DGIA ont un double chapeau. Elles vont s’occuper d’un portefeuille ESG et d’un portefeuille traditionnel. Nos analyses vont donc impacter aussi les portefeuilles traditionnels », explique Solène Hanquier, conseillère principale, Investissement responsable chez DGIA, et experte de la gestion de la diversité des genres dans les produits d’investissement responsable, en entrevue avec Finance et Investissement.
« Une controverse très sévère par rapport à la diversité peut influencer la présence d’un titre dans un portefeuille plus traditionnel », signale-t-elle.
Des règles strictes
En plus d’avoir adopté une politique de placement en IR, DGIA cherche à changer les choses sur le terrain, indique Solène Hanquier.
Ainsi, pour encourager la diversité dans les CA, DGIA a par exemple adopté une politique de droit de vote stricte, mais simple : dès que le CA d’une entreprise compte moins de deux femmes, DGIA s’abstient de voter pour le président du comité de nomination, illustre-t-elle.
« Lors de la saison de vote, l’année dernière, DGIA s’est prononcée environ 5 % des fois à l’encontre du président du comité de nomination en raison du manque de diversité au CA », relate Solène Hanquier.
La composition du CA doit être approuvée par les actionnaires, et DGIA s’assure que son vote a du poids. En fait, l’ensemble des filiales de Desjardins votent de la même façon.
« Pendant la saison de vote, de mars à juin, deux personnes sont déléguées par DGIA quasiment à temps plein pour nous représenter », dit Solène Hanquier.
DGIA fait également appel à ISS, une firme-conseil indépendante en matière de vote par procuration. Elle applique des règles de vote systématique en accord avec les critères de DGIA.
En plus du nombre de femmes en poste au CA, DGIA regarde quel est le processus de nomination des membres du CA, la durée des mandats et si les entreprises ont une politique en matière de diversité.
Un autre des critères observés concerne les membres indépendants. DGIA a fixé au tiers du CA la limite acceptable quant à la proportion de membres qualifiés de « non indépendants ». La firme considère qu’un administrateur n’est plus indépendant lorsqu’il est en poste depuis plus de 12 ans.
« Ça peut être bien d’avoir en poste un administrateur qui a énormément de connaissances, depuis plusieurs années, mais quand ce profil concerne plus du tiers d’un CA, on commence à s’abstenir de voter pour un administrateur », explique Solène Hanquier.
L’experte note toutefois que les critères de DGIA sont appelés à changer. « C’est une politique en évolution. Actuellement, nous parlons de deux femmes au CA, mais la saison prochaine, nous allons vraiment viser la cible de 30 %. »
DGIA cherche de toute manière à atteindre davantage que la parité dans les CA et dans les postes de haute direction. Elle veut s’assurer que la diversité est encouragée dans l’ensemble de l’entreprise. « Cette année, on porte notre regard de façon plus large, justement, et on le pose sur les employés, dans tous les paliers de l’entreprise pour évaluer ses pratiques en matière de diversité. On regarde, par exemple, la valeur des programmes mis en place, le pourcentage de femmes qui occupent des rôles décisionnels. Est-ce que des commandites ou des bourses sont remises à des organismes qui se consacrent à la promotion des femmes en milieu d’emploi, est-ce que des formations sont offertes pour atténuer les biais inconscients, etc. »
L’engagement actionnarial, un autre levier
DGIA fait aussi de l’engagement actionnarial. La firme et d’autres investisseurs, en collaboration, écrivent des lettres pour préciser leurs attentes envers les entreprises. Les équipes en IR vont également rencontrer des directions d’entreprises pour expliquer ce qu’elles pourraient améliorer et les bénéfices que cela pourrait leur apporter.
« À travers ces dialogues, lorsqu’on rencontre des directions d’entreprises à portes fermées, on les incite à augmenter la présence féminine dans leur CA et leur haute direction, mais aussi à mettre en place des programmes pour s’assurer qu’il y a un leadership en la matière au sein de l’entreprise », résume Solène Hanquier.
Une pratique qui porte souvent ses fruits, estime-t-elle. En 2017, DGIA a tenu une rencontre avec les dirigeants d’une entreprise du secteur minier, cite-t-elle en exemple. Aucune femme ne siégeait alors à son CA et le directeur administratif et financier ne voyait pas les motivations soutenant la demande en matière de diversité, puisque son entreprise était très performante. Aujourd’hui, son CA compte 30 % de femmes.
À l’inverse, bien que certaines entreprises paraissent ouvertes à la diversité, elles maintiennent un statu quo à cet égard, même après plusieurs rencontres. DGIA a par exemple mené des discussions avec une entreprise pendant plus de deux ans afin qu’elle augmente la représentativité féminine au sein de son CA. Une lettre cosignée par plusieurs investisseurs lui a même été adressée. Mais, lors de l’élection de 2020, ce fut encore un nouvel administrateur masculin qui a été élu. DGIA a donc décidé de rendre ce titre non admissible pour un portefeuille en IR.
« C’est vraiment rare, mais là, le manque de changement nous montrait un enjeu de gouvernance à cet égard », commente Solène Hanquier.
Des arguments récurrents
Selon Solène Hanquier, parmi les arguments qu’avancent les entreprises pour expliquer la faible proportion de femmes dans leur CA, deux sont plus fréquemment évoqués :
- Le bassin limité de femmes possédant l’expérience de l’industrie dans laquelle évolue l’entreprise. DGIA conseille alors de chercher des personnes qualifiées dans des secteurs qui seraient bénéfiques à l’industrie (cybersécurité, services juridiques, ressources humaines, etc.).
- Le recrutement basé sur le mérite. DGIA rétorque dans ce cas qu’il existe peut-être des préjugés inconscients ou systémiques au sein de l’organisation susceptibles de fausser l’évaluation.
Solène Hanquier constate malgré tout davantage d’ouverture. D’autant que maintenant, nombre de dirigeants d’entreprise sont conscients qu’une diversité plus grande est souvent bénéfique pour les rendements d’une entreprise.
« Quand on parle de la diversité des genres, ce n’est pas seulement une question d’équité, mais aussi de gestion des possibilités de rendements financiers supérieurs », précise-t-elle.
Un défi pour tous
Toutefois, l’investissement responsable, c’est comme les mousquetaires : tous pour un et un pour tous, rappelle Solène Hanquier. DGIA n’est pas seule dans sa lutte et c’est ce qui permet de faire avancer les choses.
Quand une entreprise choisit de changer ses façons de faire, « c’est très difficile de s’en attribuer le mérite. DGIA fait partie d’un ensemble d’investisseurs qui ont mis ces valeurs de l’avant », dit-elle.
Dans cette perspective, 2020 n’a pas apporté que du mauvais. Cette année a mis en évidence les inégalités sociales, autant en matière de diversité culturelle que de diversité des sexes. Et les investisseurs, tout comme les firmes, sont plus motivés que jamais à lutter contre le manque de diversité dans les entreprises.
Quant à la manière d’amener les investisseurs à travailler pour des objectifs communs, les initiatives et les stratégies ne manquent pas. Dans le Club des 30 %, par exemple, une liste des entreprises canadiennes à étudier au cours de l’année est dressée et un regroupement d’investisseurs est chargé d’établir un dialogue avec chacune d’elles.
Cette collaboration entre investisseurs s’établit donc également de diverses manières, et aussi à l’extérieur de groupes structurés, ajoute Solène Hanquier.
« L’IR, c’est quand même une petite communauté », évoque-t-elle.