Il reste que, bien que les conseillers qui vendent soient sensibles aux prix reçus, ceux-ci ne recherchent pas nécessairement le meilleur prix, mais des affinités avec l’acquéreur potentiel, selon les répondants au sondage mené dans le cadre du Top 11 des cabinets multidisciplinaires.
Toutefois, cette position ne fait pas l’unanimité.
Sylvain De Champlain, président de De Champlain Groupe Financier, se dit plus ou moins d’accord avec celle-ci : «Si j’avais à vendre, je m’assurerais si possible que l’acheteur partage ma vision. Mais de là à dire que je vendrais moins cher, je n’en suis pas sûr. Cependant, il y a facilement cinq acheteurs pour un vendeur actuellement. Je n’aurais donc pas de difficulté à trouver un acheteur qui correspond à mes exigences», ajoute celui qui est représentant en épargne collective et conseiller en sécurité financière.
Son cousin Normand de Champlain, de NDC Services Financiers, est plutôt sceptique à l’idée que les affinités avec l’acquéreur puissent avoir préséance sur le prix et la rapidité de paiement. «Voyons donc ! C’est la réponse que l’on donne aux médias, ça. Lorsque j’achète la clientèle d’un représentant, ce qui l’intéresse, c’est d’être payé rapidement et sans solde de vente», lance le représentant en épargne collective et en assurance de personnes qui a procédé à 19 acquisitions.
Gino Savard, président de Mica Services financiers, se dit pour sa part plutôt en accord avec la position des conseillers consultés. «Les conseillers développent une relation forte avec leurs clients. Ils deviennent parfois quasiment des amis et ils veulent être fiers de leur relève. Ils ne veulent pas avoir honte lorsqu’ils rencontreront leurs anciens clients au centre commercial», atteste celui qui participe à tous les dossiers de transfert de clientèle réalisés chez Mica.
Alors, pourquoi certains conseillers décident-ils de vendre si les prix offerts ne sont pas plus élevés ?
«Je ne vends pas»
«Moi, à trois ou quatre fois mes commissions, je ne vends pas, affirme Sylvain De Champlain. Nous avons la chance dans l’industrie d’avoir des commissions de suivi. C’est une machine génératrice de revenus réguliers. Si je vends ma clientèle à 55 ans pour quatre fois mes commissions, je ferai quoi à 59 ans ?»
Sylvain De Champlain propose plutôt une approche graduelle : «Je pourrais rester actif, mais ne conserver peut-être que mes 50 meilleurs clients et prendre une retraite progressive».
Chez De Champlain Groupe financier, ce genre de retraite progressive est possible, car le cabinet compte sur deux autres associés et un représentant qui est payé en partie à salaire et en partie à commission.
«Je peux ainsi transférer mes autres clients au représentant junior, et le cabinet reste propriétaire des dossiers et des commissions afférentes», explique Sylvain De Champlain.
Cette approche semble également prisée par Mica Services financiers. «Les success-stories se produisent lorsque la transition se fait graduellement. Le représentant se concentre sur certains clients et délègue de plus en plus de responsabilités à celui qui prendra la relève. Les clients ont ainsi le temps de s’habituer au nouveau conseiller. C’est également plus respectueux pour les clients, qui n’ont pas ainsi la sensation d’avoir été vendus et d’être délaissés par le conseiller à qui ils ont fait confiance».
Pourtant, tous ne favorisent pas cette approche. Normand de Champlain ne croit pas à son bien-fondé : «L’idéal selon moi, c’est lorsque l’ancien conseiller reste au maximum trois mois : le temps de me présenter les clients.»
«Imaginez les relations entre l’ancien conseiller et le nouveau si le dernier réussit à développer rapidement un ancien dossier», dit-il, avant d’ajouter : «Je serais même prêt à payer plus cher pour qu’il s’en aille plus vite».
Robert Frances, président et chef de la direction de Groupe financier Peak, estime quant à lui que l’approche graduelle n’a pas que de bons côtés.
«Il ne faut pas oublier qu’en raison des nouvelles exigences en matière de conformité, le conseiller qui veut ralentir progressivement ses activités devra néanmoins se maintenir à jour en matière de réglementation, veiller à ce que le portefeuille de ses clients soit toujours à jour. Il ne peut pas se permettre d’attendre la révision annuelle du portefeuille pour apporter les changements requis s’il survient quelque chose» ajoute-t-il. Selon lui, chaque cas est un cas d’espèce.
Robert Frances prévient également les conseillers qui voudraient attendre trop longtemps avant de vendre. «Il faut parfois faire alors une vente précipitée», constate-t-il.
Books en demande
Selon plusieurs répondants, les books d’affaires les plus recherchés seraient ceux constitués essentiellement d’actif en fonds communs de placement, étant donné la constance des commissions de suivi. (Voir les commentaires en page 37)
Ce point de vue n’est pas partagé par tous. «Les produits d’assurance vie à commission nivelée (et non à commission high and low) et d’assurance invalidité se retrouvent en tête de liste. Viennent ensuite les produits d’investissement et d’assurance collective», observe Daniel Guillemette, conseiller en sécurité financière, représentant en épargne collective et président de Diversico assurances et investissements.
«Attention : l’investissement et l’assurance collective sont plus risqués. Un client peut transférer son portefeuille d’épargne collective ou d’assurance collective à un autre courtier et le conseiller perdra alors les revenus qu’il vient d’acheter.»
Gino Savard fait le même constat : «L’assurance coûte moins cher, et si le client change de conseiller, on conserve la commission. En plus, cela permet d’ouvrir des portes, surtout si le volet placement n’a pas été développé par l’ancien conseiller.»
Fin de la pénurie ?
La pénurie relative de books à vendre pourrait cependant ne pas perdurer, si l’on en croit Daniel Guillemette.
«En juillet 2016, les conseillers devront divulguer leur rémunération sur les fonds communs. Or, dans les pays qui ont imposé des règles similaires, beaucoup de conseillers indépendants ont abandonné la profession», constate-t-il.
Selon Daniel Guillemette, de 15 à 20 % des représentants québécois en épargne collective pourraient faire de même l’an prochain. «Cela devrait défavoriser ceux qui vendent», croit-il.
Les cabinets devront donc peut-être revoir leurs programmes de relève afin d’aider les représentants qui décideront de vendre leur clientèle.
Or, selon le sondage mené dans le cadre du Top 11, de nombreux conseillers se disent insatisfaits de ces programmes, en déplorant la méconnaissance de ceux-ci. Les conseillers, tout comme leur cabinet, auraient donc du pain sur la planche au cours des mois qui viennent.
Photo Bloomberg