Rappelons que le jugement Alary, qui a été porté en appel cette semaine, indiquait que « dans la mesure où des conjoints font appel à un ministre du culte pour célébrer un mariage uniquement religieux, le Tribunal ne voit pas pourquoi ce ministre du culte devrait faire parvenir au Directeur de l’état civil la déclaration de mariage».
La juge Christiane Alary ajoute ensuite que « certes, les parties ne seront pas alors mariées civilement et ne pourront nullement réclamer ce statut juridique du point de vue civil. »
Dans le divorce en question, le demandeur indiquait que, puisqu’il devait pour respecter sa foi se marier pour vivre en couple, il se voyait forcé de se plier aux obligations civiles du mariage. En effet, il s’était marié religieusement avec la défenderesse et il s’opposait aux conséquences civiles et économiques du mariage.
Selon lui, il y avait un traitement différent des croyants, forcés de se marier, et des non croyants, pouvant vivre en union de fait, et il estimait que sa liberté de religion était atteinte par les dispositions du Code civil sur le mariage.
« La Procureure générale du Québec et Madame disaient pour leur part qu’un ministre du culte pouvait célébrer une union religieuse seulement, conformément à sa foi, sans que ce mariage ait des conséquences civiles », explique Me Pinard.
La juge Christiane Alary a rejeté les arguments constitutionnels et l’idée voulant que la liberté de religion de Monsieur ait été atteinte, mais la question de l’union uniquement religieuse a fait quand même couler beaucoup d’encre.
La question du « célébrant compétent »
C’est l’article 366 du Code civil du Québec qui indique qui est apte à célébrer des mariages civils, c’est-à-dire qui est un « célébrant compétent » au sens de la loi. L’article 366 identifie comme aptes à célébrer des mariages les greffiers et les greffiers-adjoints de la Cour supérieure désignés par le ministre de la Justice, les notaires habilités par la loi à recevoir des actes notariés ainsi que « toute personne désignée par le ministre de la Justice, notamment les maires, d’autres membres des conseils municipaux, des conseillers d’arrondissements et des fonctionnaires municipaux ».
Quant aux ministres du culte, plusieurs conditions s’appliquent: ils doivent être habiletés à célébrer un mariage par leur société religieuse, ils doivent résider au Québec et y exercer, en tout ou en partie, leur ministère, il faut que « l’existence, les rites et les cérémonies de leur confession aient un caractère permanent», qu’ils célèbrent des mariages dans des lieux conformes à ces rites ou aux règles prescrites par le ministre de la Justice et qu’il « soient autorisés par ce dernier».
Cette dernière partie est centrale pour bien comprendre le jugement Alary, selon Me Pinard: « C’est le « et qu’ils soient autorisés par ce dernier » qui est important. Le paragraphe 66 du jugement Alary est clair là-dessus: le ministre du culte n’est pas tenu d’enregistrer l’acte de mariage à l’état civil s’il n’est pas un « célébrant compétent », c’est-à-dire s’il n’est pas autorisé à célébrer des mariages par le ministère de la Justice et par le culte auquel il appartient.»
C’est en effet l’acte de mariage qui prouve ce dernier, s’il n’est pas transmis au directeur de l’état civil, les deux conjoints ne peuvent pas revendiquer le titre d’époux ou les avantages économiques liés au mariage. Sans acte de mariage, il n’y a donc pas de protection légale pour les époux.
De plus, dès qu’il est autorisé en tant que « célébrant compétent » par le ministère de la Justice, le ministre du culte a l’obligation, selon l’article 375 du Code civil du Québec, rédiger la déclaration de mariage civil.
Conjoints de fait
Les conjoints qui seraient mariés religieusement par un ministre du culte qui ne serait pas un « célébrant compétent » ne seraient donc pas plus que des conjoints de fait.
« Ce qui est dangereux, ce sont les mythes qui courent autour de l’union de fait, rappelle Me Elisabeth Pinard. Beaucoup de gens pensent que parce qu’ils vivent en union de fait depuis trois ans, ils ont la même protection qu’un couple marié.»
Certaines lois spécifiques du Québec, comme celle liée à la Régie des rentes (RRQ) par exemple, vont accorder une protection au conjoint de fait, rappelle Me Pinard : « Par exemple, s’il est de notoriété publique qu’il vivait maritalement avec un conjoint depuis trois ans, ou un an dans le cas de la naissance d’un enfant, le conjoint de fait pourra avoir droit à la rente du conjoint survivant.»
L’avocate cite d’ailleurs un exemple qui avait fait jurisprudence, la cause Droit de la famille – 0933038, où un couple marié par un imam lors d’une cérémonie religieuse avait alors refusé qu’on transmette la déclaration de mariage à l’état civil parce qu’ils souhaitaient tenir un mariage civil au palais de justice par la suite.
«Or, aucun mariage civil n’avait eu lieu et il n’y a pas eu d’acte de mariage enregistré auprès de l’état civil. Je juge a retenu qu’il n’y avait pas de preuve de mariage civil », conclut Me Pinard.