Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) prévoient interdire toutes les formes de vente de fonds avec l’option de frais d’acquisition reportés (FAR) et abolir le paiement de commissions de suivi aux courtiers qui ne procèdent pas à l’évaluation de la convenance, comme les courtiers exécutants à escompte. Cependant, les commissions de suivis ne seront pas interdites, mais davantage encadrées.
Les ACVM prévoient aussi rehausser les règles visant à atténuer les conflits d’intérêts pour les courtiers et leurs représentants afin d’exiger que tous les conflits d’intérêts existants, y compris ceux découlant du paiement de commissions intégrées, soient réglés au mieux des intérêts des clients ou évités.
C’est ce qui ressort de l’avis 81-330 des ACVM, dans lequel le groupe de régulateurs provinciaux fait le point sur la consultation relative aux commissions intégrées et les prochaines étapes. Les ACVM publieront un avis de consultation en septembre qui présentera des projets réglementaires sur ces réformes ainsi que des mesures transitoires.
Ainsi, les commissions versées avec l’option des frais d’acquisition reportés sont sur le respirateur artificiel. Celles-ci ont entraîné par le passé des « pratiques problématiques et préjudiciables aux investisseurs », ce qui nécessite leur interdiction, jugent les ACVM.
Rappelons que l’option des FAR procure une commission initiale au courtier, versée par le gestionnaire de fonds d’investissement et non par l’investisseur, pouvant atteindre 5 % du montant de la souscription, en plus de la commission de suivi. Plus un client détient un fonds comportant des FAR durant une longue période, moins il paiera de frais au moment de le racheter. Les frais diminuent chaque année selon un calendrier fixe.
Par comparaison, la commission initiale versée dans le cadre de l’option des frais prélevés à l’acquisition peut être aussi de 5 %, mais est généralement moins puisqu’elle est négociée avec le client. Cette commission a généralement baissé au cours des dernières années, entre autres en raison de la concurrence, observent les ACVM.
« Le fait que, dans l’option des frais d’acquisition reportés, la rémunération initiale soit plus élevée et provienne d’un tiers crée un conflit d’intérêts qui peut inciter les courtiers et représentants à favoriser cette option par rapport à d’autres qui pourraient mieux convenir aux investisseurs », écrivent les ACVM dans leur avis.
Selon les ACVM, les FAR ont également déjà fait assez dégât par le passé. En 2015, l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) révélait que des fonds avec FAR dont les calendriers de rachat étaient plus longs que l’horizon de placement ont été vendus à des clients, et des titres de fonds assortis de cette option ont été vendus à des clients de plus de 70 ans.
Bien que l’option des FAR semble, à première vue, avantageuse pour les clients puisqu’elle ne les oblige pas à verser une commission initiale, elle peut néanmoins modifier considérablement leur comportement en raison de la « pénalité » associée aux frais de rachats, selon les ACVM : « Cette pénalité peut dissuader fortement les investisseurs de demander le rachat de leurs titres ou de modifier la répartition de leurs actifs, même lorsque le fonds affiche systématiquement un piètre rendement, que survienne un besoin imprévu de liquidités ou que leur situation financière change. »
Les ACVM soulignent également l’iniquité découlant de l’option avec FAR. Ces frais sont financés à partir des frais de gestion annuels du fonds et tous les investisseurs dans le fonds assument ces coûts de financement, quelle que soit leur option de souscription. C’est ce qu’on appelle aussi l’interfinancement. « D’où la question de l’équité en ce qui a trait aux investisseurs qui ont choisi l’option avec frais prélevés à l’acquisition, puisqu’ils financent la commission versée au moment de la souscription sur les transactions effectuées selon l’option des frais d’acquisition reportés et, par conséquent, paient des frais de gestion plus élevés qu’ils ne l’auraient fait autrement », soulignent les ACVM.
Par ailleurs, parmi le peu de gestionnaires de fonds d’investissement qui offre des séries de fonds distincts pour chaque option de souscription, les frais de gestion des séries assorties de l’option des FAR semblent plus élevés que ceux des séries dont les frais sont prélevés à l’acquisition, notent les ACVM : « Ce qui prouve que l’option des frais d’acquisition reportés entraîne des coûts plus élevés. »
Les ACVM s’attendent à ce que l’abolition de l’option de souscription avec FAR « lève les conflits d’intérêts qui en découlent, favorise des évaluations de la convenance plus conformes aux besoins et objectifs des investisseurs et leur permette de modifier leurs investissements pour améliorer leur situation financière. Elle devrait aussi permettre de réduire la complexité des fonds et, par conséquent, simplifier l’information fournie au sujet des frais, ce qui pourrait aider les investisseurs à mieux comprendre et maîtriser les coûts associés à la rémunération des conseillers. »
Les ACVM s’attendent également à une légère baisse des frais de gestion des fonds et de l’interfinancement des coûts avec le temps.
Les commissions de suivi survivent, mais seront encadrées
Les ACVM n’ont pas interdit toutes formes de commissions étant donné les risques de créer des conséquences négatives sur les participants du marché comme sur les clients. Dans l’industrie financière, plusieurs craignaient que les courtiers et les représentants délaissent définitivement les clients ayant peu d’actif à investir, ce qui aurait limité leur accès au conseil financier.
Toutefois, l’utilisation des commissions intégrées entraîne des conflits d’intérêts et les ACVM prévoient une série de mesures pour mieux encadrer ces conflits. Le groupe de régulateurs provinciaux projette d’obliger les sociétés inscrites et leurs représentants à traiter tous les conflits d’intérêts existants et raisonnablement prévisibles au mieux des intérêts du client.
« Si le conflit ne peut être traité au mieux des intérêts du client, la personne inscrite doit l’éviter. Nous proposons également de nouvelles obligations de consigner les conflits d’intérêts relevés ainsi que la façon dont ils ont été traités au mieux des intérêts du client, et des obligations rehaussées de déclarer ces conflits aux clients. »
« Dans la mesure où une société inscrite offre à ses clients des titres lui permettant de recevoir une rémunération de tiers (y compris des commissions intégrées), nous nous attendrons à ce qu’elle soit en mesure de démontrer que la composition de sa gamme de produits ainsi que les recommandations faites au client sont fondées sur la qualité des titres et non sur la rémunération offerte par un tiers à l’égard de ces titres », lit-on dans l’avis des ACVM.
En plus de ces mesures d’atténuation des conflits d’intérêts, les ACVM proposent également de rehausser l’obligation de convenance au client. Selon celle-ci la personne inscrite devra donner préséance aux intérêts du client au moment de procéder à l’évaluation de la convenance. « Le représentant devra aussi, en vertu de cette même obligation, tenir expressément compte des coûts potentiels ou réels sur les rendements du client », lit-on dans le document des ACVM, lequel fait référence à l’avis de consultation des ACVM qui prévoit la modification du règlement 31-103.
Les ACVM veulent aussi rehausser l’obligation de connaissance du client, obligeant le représentant de recueillir de l’information plus précise et exhaustive sur la situation personnelle, les besoins et objectifs, le profil de risque et l’horizon de placement du client.
Le groupe de régulateurs veut aussi ajouter des obligations en matière de connaissance du produit. Selon celle-ci, « les sociétés inscrites seront, par exemple, tenues de bien comprendre les éléments essentiels des titres offerts aux clients, notamment les frais initiaux et continus associés à chaque titre, l’incidence de ces frais, de même qu’une comparaison entre le titre proposé au client et les titres similaires offerts sur le marché. »
Finies les commissions de suivi aux courtiers à escompte
Les ACVM veulent aussi empêcher les courtiers exécutants, comme les courtiers en lignes ou à escompte, à recevoir des commissions de suivi sur les fonds qu’ils distribuent. « Bien que les services offerts par les courtiers exécutants soient limités, avec peu d’exceptions, ceux-ci reçoivent habituellement les mêmes commissions de suivi que les courtiers de plein exercice. On se retrouve ainsi avec des investisseurs indépendants qui détiennent des titres d’organisme de placement collectif (OPC) [NDLR : comme des fonds communs de placement] acquis par l’intermédiaire de courtiers exécutants, mais paient des conseils qu’ils n’ont pas reçus ni sollicités. »
« Nous ne voyons aucune justification possible à la pratique consistant à verser à des courtiers exécutants des commissions de suivi récurrentes pour la vente des titres d’OPC », tranchent les ACVM.
Les gestionnaires de fonds d’investissement ont, au cours des dernières années, tenté de résoudre ce problème en offrant des séries de fonds à rabais par le réseau des courtiers exécutants. Généralement appelées « série D », ces séries comportent des commissions de suivi inférieures à celles facturées dans le cas des séries classiques offertes par les courtiers qui font des recommandations en matière d’investissement, étant donné l’absence de conseils.
Or, la plupart des gestionnaires de fonds d’investissement n’offrent toujours pas cette série dans leur portefeuille d’OPC. Sur les actifs de 30 G$ détenus dans des OPC souscrits par l’intermédiaire du réseau des courtiers exécutants à la fin de 2015, seuls 4,6 G$ étaient réellement détenus dans une série de titres d’OPC à rabais, observent les ACVM.
Selon les ACVM, cette interdiction devrait engendrer « une meilleure concordance entre les coûts facturés et les services fournis. Nous nous attendons aussi à un recours accru à d’autres formes de paiement plus transparentes ».
Par ailleurs, cette interdiction touche toutes les situations dans lesquelles des courtiers reçoivent une commission de suivi alors qu’ils ne réalisent pas d’évaluation de la convenance, « par exemple, lorsqu’un courtier ne procède pas à l’évaluation de la convenance relativement à un « client autorisé » qui a renoncé à se prévaloir de cette obligation de convenance », d’après les ACVM.