Cette nouvelle dispense s’ajoute à celle qui avait été adoptée en mai 2015 (Avis multilatéral 45-316 des Autorités canadiennes en valeurs mobilières, ACVM), qui permettait déjà aux entreprises en démarrage de lever un maximum de 500 000 $ par an et qui limitait les investissements individuels à 1 500 $ par ronde de financement.
Menace ou occasion ?
La nouvelle dispense diffère de la première, non seulement parce qu’elle autorise des montants plus élevés, mais aussi parce que les portails Internet qui agiront en tant qu’intermédiaires dans le cadre de ce régime doivent être inscrits à titre de courtiers, ce qui n’était pas le cas pour la dispense accordée aux entreprises en démarrage.
«Ce qu’on peut faire au moyen d’un portail reste tout de même assez limité, dit Pascal de Guise, associé au cabinet Borden Ladner Gervais. L’idée n’est pas de faire concurrence aux conseillers. Ces portails servent de facilitateurs entre les entreprises et les investisseurs.»
L’AMF y voit une façon de favoriser l’émergence de nouvelles entreprises. «Nous avons développé un cadre qui, j’en suis convaincu, aura à terme un effet positif sur le développement économique du Québec», dit Louis Morisset, PDG de l’AMF, dans son allocution prononcée lors du 10e Rendez-vous avec l’Autorité en novembre dernier.
Au Québec, le premier portail à s’être inscrit en vertu de la première dispense accordée aux entreprises en démarrage est GoTroo.com, qui offre deux types de levées de fonds : la version Junior pour les projets de 250 000 $ et moins, et la version Pro, pour les projets de 1,5 M$ et moins.
Démocratiser le placement privé
«On ne peut ni conseiller ni suggérer ni faire des recommandations», dit Philippe Brouillette, chef de la direction de GoTroo.com, qui a présenté deux projets depuis le lancement du portail en juillet 2015. Ce dernier dit vouloir démocratiser le placement privé auprès d’investisseurs non qualifiés. Auparavant, seuls les investisseurs qualifiés, soit ceux qui ont entre autres des revenus nets avant impôt d’au moins 200 000 $, avaient accès au placement privé.
Pour respecter les exigences de l’AMF, GoTroo.com est toutefois tenue d’aviser l’investisseur qu’il s’agit d’un investissement à risque. «Il s’agit de placement en capital, donc on peut avoir à attendre de 5 à 10 ans avant d’obtenir un rendement et on peut aussi tout perdre», précise Philippe Brouillette.
«Cela semble attirer des investisseurs de détail qui prennent des décisions impulsives avec peu d’information. C’est un modèle dans lequel les conseillers en placement qui souhaitent ce qu’il y a de mieux pour leur client n’ont pas affaire», dit Neil Gross, directeur général de la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada).
Selon ce dernier, le principal impact pour les conseillers est que l’argent ainsi investi n’est plus disponible pour des produits d’épargne et de placement traditionnels. «Cela pourrait nuire à ceux qui sont rémunérés en fonction de leur actif sous gestion», ajoute le directeur.
Mario Grégoire, PDG du Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF), suit l’enjeu de près, «en particulier l’approche du régulateur dans ce domaine, dit-il. Pour l’instant, le financement participatif est encore jeune, il est difficile de commenter sur la valeur concrète de cette innovation pour les professionnels en services financiers à ce stade-ci», ajoute-t-il.
Occasion d’affaires ?
Pour Pascal De Guise, l’apparition des portails de sociofinancement en capital est au contraire une bonne nouvelle pour les professionnels du secteur financier. «Quand on parle de sociofinancement, on parle d’entreprises en émergence. Certaines d’entre elles vont croître et devenir des émetteurs plus importants, ce qui profitera aux conseillers», dit-il. Pour les courtiers inscrits, voilà aussi une façon d’offrir du financement alternatif à certains clients.
En France, où le financement participatif est plus répandu, les autorités de réglementation ont adopté en 2014 le nouveau titre de conseiller en financement participatif (CIP). Les plateformes de sociofinancement doivent dorénavant opérer sous le statut de CIP, qui leur donne l’obligation de connaître le profil de l’investisseur et le droit d’exercer un rôle-conseil auprès de celui-ci.
Rien de ce genre n’est envisagé de ce côté de l’Atlantique, selon Pascal de Guise, mais de toutes les provinces, le Québec se montre jusqu’à maintenant le plus ouvert à toute forme de réglementation dans le domaine.
«Le Québec est le seul à avoir deux régimes qui cohabitent. Et en ce qui concerne la nouvelle dispense, seulement le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse l’ont adoptée. Le Québec a ouvert la porte à tous les régimes qui peuvent coexister au Canada», dit-il.
Les autorités canadiennes ne sont pas les seules à adopter un cadre de réglementation dans ce domaine. Aux États-Unis, la Security and exchange commission (SEC) a adopté un régime similaire qui entrera en vigueur en 2016. «On ne sait pas ce que ça donnera dans le marché, remarque Pascal de Guise. Différents modèles vont émerger, mais pour l’instant, on croit que ça restera du microfinancement très local, une solution de rechange au love money.»