Ainsi, en présentant la possibilité de recevoir une rente de 500 $ par mois sur une période de 20 ans, on demandait aux participants d’évaluer le capital nécessaire pour acheter une telle rente.
En adoptant l’hypothèse d’un taux d’intérêt très conservateur de 2 %, la valeur d’une telle rente serait de 98 837 $. À un taux de 4 %, que pratiquent couramment les compagnies d’assurance, sa valeur serait de 82 511 $.
Déroutant
Les évaluations soumises par les participants sont déroutantes.
Des 681 participants, 282 d’entre eux, soit 41 %, ont donné à la rente une valeur supérieure à 500 000 $.
En fait, 20 % d’entre eux l’ont évaluée à plus de 5 M$, de telle sorte que l’évaluation médiane de ce groupe s’élevait à 3,5 M$.
Un autre groupe de 147 participants (21,5 %) l’a évaluée à moins de 500 000 $, la médiane se situant à 200 000 $.
Un autre contingent de 117 participants (17 %) l’a nettement sous-évaluée à une valeur médiane de 25 000 $.
Seulement 20 % des participants (137) lui ont attribué une valeur à peu près correcte, la médiane de ce groupe se situant à 100 000 $.
À la lumière de cette étude, Robert Pouliot se demande si les investisseurs ont les moyens de comprendre les produits complexes et fréquemment «synthétiques» qui leur sont offerts de plus en plus souvent.
«Car ces produits ont une complexité bien plus grande que les rentes», fait remarquer Robert Pouliot.
Même constat de la part de Richard Guay, professeur de finance à l’ESG UQAM et chercheur au CIRANO.
«Je suis d’accord que bien des investisseurs et des conseillers n’y comprennent rien», dit-il.
Couches de complexité
Prenons l’exemple d’un type de produit qui présente une complexité élevée : les fonds négociés en Bourse (FNB) inversés, offerts notamment par Les fonds négociés en Bourse Horizons.
De tels fonds pratiquent la vente à découvert non pas sur des titres individuels, mais sur des indices entiers. Contrairement à la vente à découvert classique, ils limitent les pertes de l’investisseur au capital qu’il a investi, même dans les fonds qui exercent un double levier.
Les manufacturiers de ces fonds peuvent offrir une telle garantie de capital parce que la position d’un fonds inversé est liquidée quotidiennement et réinvestie (ou rééquilibrée) le lendemain.
Ce stratagème interdit toute perte au-delà de la durée d’un jour.
C’est ici que les choses se corsent, car ce stratagème a aussi comme conséquence de rendre le produit beaucoup plus difficile à comprendre à cause du phénomène de dérive qu’il induit.
Puisque le rendement de ces fonds est l’image inversée de leur indice de référence, on pourrait s’attendre à ce que le fonds donne un rendement de 10 %, par exemple, si l’indice baisse de 10 %, et vice versa.
Or, le rééquilibrage quotidien fait en sorte que ce suivi en mode inversé s’éloigne de plus en plus de sa cible au fur et à mesure qu’on s’éloigne du moment de l’achat et que la volatilité augmente.
L’effet de dérive peut avoir des effets extrêmement inattendus, comme le fait valoir Dan Hallett, vice-président et directeur, gestion des actifs, chez HighView Financial Group, à Toronto.
Dans une étude menée en 2009, celui-ci a mesuré, de juin 2007 à juin 2009, l’effet de dérive entre deux fonds qui suivaient l’indice sur l’or S&P/TSX Capped Global Gold.
Le gain de cet indice, pendant la période étudiée, a été de 16,92 %.
«On se serait attendu à ce que le S&P/TSX Global Gold Bull + (HGU) donne un rendement de 33,84 % (soit le double de la hausse puisqu’il est à double effet de levier), et que le S&P/TSX Global Gold Bear + (HGD) perde 33,84 %, soumet Dan Hallett. En fait, le HGU a perdu 41,47 %, tandis que le HGD, qui est le fonds inversé, en a perdu 93,54 %.»
Pour protéger les investisseurs des effets de dérive néfastes, Horizons signe un contrat swap avec la Banque Nationale, qui garantit un rendement parfaitement inversé.
Et du coup, la complexité du produit s’accroît puisqu’on ajoute un dérivé pour corriger un phénomène de dérive déjà difficile à saisir.
Avec de tels produits, et plusieurs autres à complexité variable, l’investisseur est loin des outils de placement classiques que sont les actions et les obligations.
«Ce n’est pas le marché qu’on achète, souligne Pierre Saint-Laurent, maître d’enseignement et responsable du programme DESS en profession financière, à HEC Montréal. En achetant des actions, c’est le risque d’entreprise qu’on prend. En achetant un FNB avec swap, on achète le rendement du marché, mais ce n’est pas le risque de marché que l’on achète, c’est le risque de contrepartie. Suis-je rémunéré pour ce risque-là ? Ce n’est pas évident.»
Par ailleurs, signale Richard Guay, gérer un portefeuille composé de divers dérivés «n’est pas le même travail que de gérer un portefeuille classique. Les échéances sont en général à court terme, ce qui veut dire qu’il faut les « rouler », sinon il peut y avoir des appels de marge. Ça impose une gestion plus serrée et ça ajoute des risques.»
Tous ces risques épars composent ce qu’on pourrait appeler le risque de complexité.
Il faut reconnaître, note Dan Hallett, que ces produits à plus haute complexité «sont encore loin de constituer la masse des produits disponibles sur le marché».
Mais on ne perd rien pour attendre, juge Robert Pouliot.
«On va en voir de plus en plus et l’offre va grossir», dit-il.
Pour une raison très simple : «On ne peut pas acheter d’actions, parce qu’il y en a de moins en moins à vendre. L’alternative, c’est de faire des dérivés, et ça, je peux en fabriquer autant que je veux».