Deux dirigeants de courtiers en épargne collective indépendants se disent déçus que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) aient choisi de créer un nouvel organisme d’autoréglementation (OAR) qui regroupera les fonctions de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM).

Bien que peu surpris quant à l’issue de la consultation, ils déplorent n’être perçus que comme des « dommages collatéraux » par les ACVM. Ils émettent certaines réserves quant à l’énoncé de position, lequel semble comporter plus de questions que de réponses.

 « On sentait clairement que c’était une demande qui était très chère aux grandes institutions financières qui occupent une proportion très importante du marché », commente François Bruneau, vice‑président, administration, chez Groupe Cloutier Investissements.

« Les ACVM ont beaucoup d’écoute pour les positions des grands joueurs, alors que nous sommes souvent vus comme marginaux et les inconvénients qu’on peut vivre des changements réglementaires sont vus comme des dommages collatéraux », ajoute Maxime Gauthier, directeur général et chef de la conformité de Mérici Services financiers.

Selon lui, en reconnaissant le nouvel OAR, l’AMF obligera les courtiers qui n’ont que des activités au Québec à y adhérer. « Or on ne connaît pas les règles ni la structure de coût. On ne sait pas où le siège social de cet OAR sera établi, même si la logique voudrait que ce soit Toronto. On nous dit qu’on espère avoir une représentation forte du Québec avec un bureau au Québec, mais je m’excuse, mais un bureau satellite n’est pas un siège social », soutient Maxime Gauthier. Il souligne que le Québec n’est ni une province majoritaire au Canada ni une industrie financière dominante au pays.

De plus, l’énoncé de position ne précise pas comment le nouvel OAR et la Chambre de la sécurité financière (CSF) vont cohabiter. Maxime Gauthier croit d’ailleurs que l’arrivée du nouvel OAR amplifiera le discours de ceux qui déplorent le double encadrement et qui souhaitent la mise au rancart de la CSF. Il redoute l’encerclement de la CSF, l’effritement de son influence et de ses pouvoirs relatifs. À terme, il craint qu’on ne veuille éventuellement faire passer l’encadrement de la discipline et de la formation continue des représentants en épargne collective du Québec sous la responsabilité du nouvel OAR.

« Ce matin, j’avais une pensée pour Bernard Landry [ancien premier ministre du Québec et ancien ministre des Finances du Québec], père de la création de la CSF et de l’idée qu’une entité chapeaute tous les professionnels comme les représentants ont souvent plus d’un permis. En plus de voir sa vision se faire démanteler morceau par morceau au fil des années, ça va se centraliser à Toronto. Il doit vraiment se retourner dans sa tombe », affirme-t-il.

Avec le nouvel OAR, on prend le chemin inverse d’une professionnalisation de l’industrie et d’une industrie qui se prend en main en élisant des pairs au conseil d’administration, ajoute Maxime Gauthier. « On veut créer un OAR qui va être loin des centres d’influence du Québec. »

François Bruneau se dit également curieux de voir comment l’AMF conjuguera à long terme ce nouvel OAR avec le rôle joué actuellement par la CSF.

Par ailleurs, Maxime Gauthier serait surpris que les frais d’adhésion au nouvel OAR pour son courtier et que les coûts indirects de s’adapter au nouveau corpus réglementaire soient neutres pour son entreprise… « contrairement aux grandes firmes qui sont sur les deux plateformes (celle de l’OCRCVM et de l’ACFM), qui vont sûrement avoir des économies d’échelles. »

François Bruneau, dont la firme est inscrite auprès de l’ACFM, est déçu que, « encore une fois », le secteur indépendant risque d’être le principal perdant par cette décision. Selon lui, les grandes institutions financières qui étaient membres de l’OCRCVM et de l’ACFM salueront probablement cette annonce puisque leur fardeau sera allégé.

« Pour les investisseurs, nous ne croyons pas que cela aura un impact significatif. Toutefois, pour les courtiers qui étaient uniquement membres de l’ACFM, le changement risque d’être très important, d’autant plus si les ACVM décident que le nouvel OAR s’inspirera davantage de la réglementation qui était en vigueur auprès de l’OCRCVM. »

« Les courtiers indépendants qui étaient uniquement membres de l’ACFM devront donc mettre énormément d’efforts à s’adapter à de nouvelles règles, mettre à jour leurs systèmes et leurs procédures et former leur personnel et leurs représentants, poursuit-il. Au final, les indépendants sont ceux qui risquent d’avoir à investir le plus de temps et d’argent dans l’adaptation au nouvel OAR, alors qu’ils sont aussi ceux qui ont déjà été très impactés par d’autres changements survenus dans les dernières années comme l’élimination des commissions au moment de la souscription par exemple. »

Maxime Gauthier déplore lui aussi la fatigue réglementaire qu’il vit par la succession de réformes réglementaires des dernières années qui forcent, chaque fois, son entreprise à s’y adapter, souvent à grands frais. La phase 2 du Modèle de relation client conseiller (MRCC 2), l’abolition des frais d’acquisition reportés (FAR), les réformes axées sur les clients, entre autres, figurent aux réformes réglementaires successives qui ont touché le secteur de la distribution des produits et services financiers. « Chaque minute que j’investis dans ces consultations est autant de temps que je ne passe pas à gérer mon entreprise et servir mes clients », souligne-t-il.

Incertitude fiscale persistante

Les ACVM créeront un groupe de travail qui aura pour mission de se pencher sur le versement autorisé de commissions à des tiers et la possibilité de l’incorporation des représentants en épargne collective. Actuellement, les membres de l’ACFM, sauf en Alberta, peuvent partager à une société tierce des commissions, alors que ce n’est pas permis pour les membres de l’OCRCVM.

Au Québec, le partage de commission est permis pour les représentants en épargne collective sous certaines conditions. Or, récemment, des représentants en épargne collective qui avaient effectué ce partage ont reçu des avis de cotisation de Revenu Québec. Face à ce risque fiscal grandissant, certains auraient même abandonné le partage de commission pourtant permis. Chose certaine, l’interprétation de l’industrie des règles permettant le partage de commission et celle de Revenu Québec semblent éloignées l’une de l’autre.

Des membres de l’industrie financière québécoise déplorent depuis des années de cette incertitude fiscale et souhaitent y mettre un terme avec l’incorporation des représentants qui distribuent des valeurs mobilières.

La création d’un comité de travail se penchant sur la question est accueillie tièdement. « Je suis content qu’ils le nomment, mais en même temps ça ne nous dit pas dans quelle direction ça va aller. En ce moment, c’est une non-nouvelle. Je n’ai rien pour me réjouir ni m’inquiéter », dit Maxime Gauthier.

« Ça ne m’empêchera pas de continuer mes démarches auprès du gouvernement et de Revenu Québec pour régler définitivement cette question. Il n’y a pas juste les lois qui encadrent les valeurs mobilières ni les règles d’un éventuel OAR pancanadien, la façon dont les règles fiscales sont appliquées est également un enjeu », ajoute-t-il.

François Bruneau voit à la fois d’un bon et d’un mauvais œil la création du comité. Selon lui, avec la sanction du projet de loi 141, le partage de commission entre un représentant et son cabinet d’assurance de personnes est permis. « Pour nous, ce volet de savoir si on peut le faire, il était gagné. Là, on parle de mettre un groupe de travail pour voir si c’est une bonne idée de permettre ça : il y a un risque qu’on puisse perdre ce qu’on avait gagné. Ça nous inquiète un peu. »

Il reste préoccupé des récents agissements de Revenu Québec. « Plusieurs représentants se sont fait cotiser dans la dernière année par Revenu Québec pour la portion versée à leur société. Il y a une incohérence : la Loi sur les valeurs mobilières permet le partage, mais la Loi sur les impôts ne le permet pas », précise François Bruneau.

Par ailleurs, le fait que les ACVM veuillent harmoniser le Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF), qui couvre les fraudes d’un représentant, avec les fonds de protection de l’OCRCVM et de l’ACFM, qui couvrent en cas d’insolvabilité d’un courtier, est reçu avec certaines interrogations.

« J’ai deux préoccupations. La première est que les investisseurs soient couverts de manière équivalente ou supérieure. Et la deuxième est que ce ne soit pas plus coûteux pour l’industrie. On est mis sous pression avec des ajouts de règles et de processus. Si, en plus, on se sert de cette intégration des deux fonds pour faire monter la facture, on ne s’en sortira pas. Si on a une protection supérieure à coût équivalent, ce serait bien », affirme Maxime Gauthier.

Finance et Investissement a sollicité des réactions à l’énoncé de position auprès de différents profils de courtiers membres de l’industrie financière. Au moment de la mise en ligne de cet article, quelques-uns avaient décliné cette invitation en raison de la période estivale et les vacances des membres de la haute direction alors que d’autres avaient besoin de temps pour analyser l’énoncé de 72 pages.