Minimum trois ans. C’est le délai qui sera probablement nécessaire à la création par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) d’un nouvel organisme d’autoréglementation (OAR) qui regroupera les fonctions de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM), selon Richard Boivin, sous-ministre adjoint au ministère des Finances du Québec jusqu’en décembre 2018.
« Le mandat est gros. Ce n’est pas demain la veille qu’on va y arriver. C’est complexe. Il y a bien des ficelles à attacher », estime-t-il.
En effet, cela peut prendre de deux à quatre années avant d’avoir un quasi-consensus quant au corpus réglementaire à adopter, évalue-t-il : « L’Autorité des marchés financiers (AMF) ne pourra probablement pas reconnaître le nouvel OAR sans revoir en partie ses règles, le règlement 31-103 en particulier. Il va falloir retourner au ministre. Quand on retourne au ministre, on ne fait pas ce qu’on veut. On est pris avec des délais, il faut consulter au Conseil exécutif… »
Malgré ces délais et étapes, « c’est un bon projet, qui va dans le bon sens, estime Richard Boivin. Tout ce qui va permettre aux OAR d’être plus efficaces et efficientes, c’est une bonne orientation. Ça devrait permettre une meilleure harmonisation des règles. »
Paul Balthazard, ancien président du conseil de la section du Québec de l’OCRCVM et ancien vice-président et directeur régional, Québec, chez RBC Dominon Valeurs mobilières, est également favorable à la création du nouvel OAR. Selon lui, en 2021, l’industrie doit être agile et rapide. Avec l’évolution de la technologie, l’industrie va changer de plus en plus vite : « Donc, les organismes de réglementation doivent suivre. Si tu as une multiplication des OAR, c’est impossible [d’y arriver].»
Le fait d’avoir encore plusieurs OAR crée également « beaucoup de confusion » auprès des clients, alors que ceux-ci n’y voient souvent aucun avantage. Il est d’ailleurs favorable à l’instauration d’un OAR qui intégrerait également le corpus réglementaire en assurance de personnes afin de simplifier le cadre actuel.
Paul Balthazard aime le modèle des OAR. « Ça fonctionne bien. Il y a des conseils de section qui sont collés sur l’industrie. Ce sont des membres de l’industrie. Tant que l’OAR démontre qu’il répond à ses deux grands mandats – de protection des investisseurs et de l’intégrité des marchés – ça va mieux fonctionner qu’un organisme gouvernemental qui a, par définition, moins d’agilité et de rapidité et [dont le personnel] provient plus ou moins de l’industrie. »
Plus de pouvoir aux ACVM?
Le projet des ACVM s’éloigne cependant de la conception traditionnelle d’un OAR, soit lorsque l’industrie se dote d’un encadrement allant au-delà de celui prévu par la réglementation gouvernementale des ACVM, note Richard Boivin.
« Ce ne sera pas un OAR pur, comme on le conçoit. Ça va être à mi-chemin entre un OAR et une commission des valeurs mobilières. Ça va ressembler à un organisme qui va exercer des pouvoirs délégués des commissions des valeurs mobilières », nuance-t-il.
La création du nouvel OAR conférera davantage de pouvoirs aux ACVM, fait valoir Richard Boivin. En effet, l’OAR sera assujetti aux ACVM alors que les règlements de l’AMF doivent être approuvés par le ministre des Finances du Québec. Il y aura ainsi un transfert de pouvoirs du ministère vers les ACVM.
« Il y a une sorte de glissement vers un plus grand pouvoir des ACVM et de l’AMF dans l’appréciation des règles de ce nouvel organisme, qu’elles auront participé à élaborer des règles », soutient-il.
Certains qui jugent essentielle la supervision ministérielle verraient d’un mauvais œil cette situation, mais il y a un côté positif, selon Richard Boivin : « La capacité de l’organisme d’adopter rapidement des règles et de les soumettre rapidement à des organismes qui ne sont pas pris à un carcan gouvernemental complexe. Ils vont être capables de se virer de bord rapidement. »
Le projet de création du nouvel OAR démontre en quelque sorte l’efficacité des ACVM et cela risque de faire taire bon nombre de critiques de l’industrie qui prétendaient le contraire, selon Richard Boivin : « Là, ils donnent un coup de barre. L’opportunité d’avoir une commission fédérale des valeurs mobilières va disparaître à mon avis. J’espère que ça va permettre à l’Ontario d’adhérer au passeport. »
Structure unique au Québec
Selon le cadre proposé, l’AMF va reconnaître le nouvel OAR, tout en s’assurant d’éviter qu’il y ait, au Québec, des doublons entre l’encadrement proposé et celui de la Chambre de la sécurité financière (CSF).
« L’AMF n’a pas d’intérêt à essayer de nuire à la CSF, car c’est une partie prenante du système québécois, indique Richard Boivin. La CSF a son encadrement qui est prévu par la loi. On ne peut pas attaquer cela. Une décision de reconnaissance de l’AMF qui viendrait affecter les pouvoirs et activités de la CSF, ça pourrait arriver par erreur, mais pas volontairement. L’AMF va trouver les moyens de ne pas créer de duplication. »
D’après Paul Balthazard, il sera intrigant de voir comment le nouvel OAR et la CSF vont cohabiter. « Ça va beaucoup dépendre de comment l’AMF va supporter tout cela. On va donner la chance à l’AMF d’être ouverte. » Il juge toutefois malheureux qu’au Québec on retrouve un encadrement des OAR qui soit différent.
Par ailleurs, les ACVM recommandent que le futur OAR ait « une forte présence au Québec pour offrir une expertise en français et y puise une importante représentation au sein de son conseil d’administration et dans son processus décisionnel. Il serait ainsi possible de maintenir la proximité nécessaire à une saine concurrence et à l’innovation autant sur le marché canadien que celui du Québec, dans un cadre réglementaire qui répond aux besoins des investisseurs et du secteur. »
Selon lui, il serait un peu exagéré de dire que les courtiers en épargne collective qui font principalement affaire au Québec et qui passeront du cadre de l’AMF à celui du nouvel OAR, soient les perdants de la réforme.
« Pour les cabinets et courtiers en épargne collective purement québécois, ça risque d’être un peu plus compliqué dans la mise en application que pour les autres », admet Richard Boivin.
« Dans la mise en œuvre de tout cela, l’AMF va devoir travailler avec le ministre et le ministère des Finances pour avoir l’assurance que les règlements de l’AMF ne viennent pas en contradiction avec les normes de l’OAR que l’AMF est prête à reconnaître. Une fois ce travail fait, je ne vois pas de problème particulier pour les cabinets québécois », estime-t-il.
Il est fort probable que l’AMF réussisse à s’assurer que les coûts d’inscription et le fardeau financier lié à l’inscription au nouvel OAR ne soient pas supérieurs au gain potentiel d’efficacité qu’on espère, d’après Richard Boivin.
Paul Balthazard s’attend à ce que le nouvel OAR respecte le fait que le Québec soit une société francophone et maintienne les acquis liés à cette singularité qu’on retrouve actuellement au sein de l’OCRCVM.
Selon le cadre proposé par les ACVM, la majorité des administrateurs du nouvel OAR doivent être indépendants, y compris son président du conseil. De plus, les comités consultatifs sur les politiques réglementaires du nouvel OAR devront inclure une proportion raisonnable de représentants des investisseurs/indépendants/du public.
Paul Balthazard juge ces idées intéressantes et ne voit rien de négatif à améliorer la gouvernance. « Je ne pense pas toutefois que ça faisait défaut dans le système actuel ».
C’est aussi une bonne chose selon Richard Boivin. « L’indépendance, c’est fondamental. On va dans la bonne direction », dit celui qui juge néanmoins qu’un organisme gouvernemental reste supérieur pour la protection du public qu’un organisme de l’industrie pur. « On veut aller plus loin, en créant une majorité d’indépendants, un président du conseil qui est un indépendant. On va plus vers un organisme qui va se rapprocher de l’AMF, qui va être un petit peu un mandataire, un délégué de l’AMF et ça va juste créer une plus grande confiance de l’organisme au sein du public. »
Le regroupement de l’OCRCVM avec l’ACFM sera également avantageux, car il instaure des règles du jeu équitables pour un plus grand nombre d’acteurs, d’après Paul Balthazard. De plus, il peut possiblement éviter des situations irritantes où le cadre d’un OAR était plus robuste que celle d’un autre, ce qui incitait alors les ACVM à agir afin d’améliorer le cadre pour tous, selon lui.