De prime abord, le rapport met en relief la croissance spectaculaire de ce marché depuis 10 ans. Il a triplé, et a bondi de 1 900 G$ US à 6 900 G$ US entre 2005 et 2014.

Néanmoins, il s’agit d’un marché passablement concentré. En effet, les obligations émises sur les marchés intérieurs chinois, sud-coréen et brésilien représentent à elles seules 70 % de tout le marché.

La concentration des entreprises émettrices d’obligations est elle aussi très importante. Les 10 émetteurs les plus importants représentent en moyenne 93 % du marché en Europe-Moyen-Orient-Afrique, 87 % dans les Amériques et 66 % en Asie.

Amélioration générale

Selon l’auteure du rapport, Rohini Tendulkar, l’étude fait ressortir une «amélioration générale» de la structure nationale des marchés d’obligations d’entreprises.

«Ces données font état d’un approfondissement général des marchés financiers et d’une certaine diversification des sources de financement», indique l’économiste de l’OICV.

Cependant, bien qu’en forte croissance, le marché des obligations de sociétés de pays émergents reste relativement mineur, rappelle Rohini Tendulkar. «Oui, 6 900 G$ US, c’est significatif, mais il faut relativiser. Les titres boursiers représentent 15 000 G$ US dans les pays émergents, et le secteur bancaire, 40 000 G$ US. C’est important de considérer la situation objectivement», dit-elle en entrevue à Finance et Investissement.

Par ailleurs, Rohini Tendulkar souligne l’apport de son étude quant à l’évaluation de l’activité sur les marchés secondaires, un marché naturellement moins développé dans les pays émergents. Malgré les rares données, une évaluation de la liquidité de ces marchés reste essentielle, puisqu’un volume de transactions trop faible «pourrait devenir un facteur de vulnérabilité en cas de stress financier», écrit-elle dans son rapport.

Un fardeau qui s’alourdit

Jean Charbonneau, vice-président principal et gestionnaire de portefeuille chez Placements AGF, note d’ailleurs certains dangers potentiels.

En outre, il s’inquiète de l’augmentation du fardeau de la dette pour les entreprises des pays émergents qui émettent une partie de leurs titres d’emprunt en devises étrangères, le plus souvent en dollars américains.

Selon le rapport de l’OICV, la Corée du Sud, le Mexique et le Brésil sont les plus grands émetteurs d’obligations sur les marchés internationaux (en dollars américains souvent), soit 169 G$ US, 136 G$ US et 105 G$ US, respectivement.

Le portrait diffère grandement d’une région à l’autre. En 2014, pour la région Europe/Moyen-Orient/Afrique, la majorité des émissions s’effectuait dans une devise étrangère (61 G$ US sur un total de 81 G$ US). C’était l’inverse en Asie, où la plupart des émissions étaient faites en monnaie nationale (673 G$ US sur un total de 802 G$ US). Dans les Amériques, les émissions en devises étrangères totalisaient 98 G$ US sur total de 137 G$ US en 2014.

«La force du dollar américain depuis un an et la dévaluation de certaines monnaies augmentent sensiblement le service de la dette pour les entreprises dans les pays émergents», affirme Jean Charbonneau, qui se dit aussi préoccupé par la détérioration générale des bilans.

Karin Anderson, analyste principale chez Morningstar à Chicago, est du même avis. En plus du risque de liquidité qui, selon elle, inquiète de plus en plus les gestionnaires, l’alourdissement du fardeau de la dette est une préoccupation constante.

«On a commencé en 2013-2014 à constater des défauts de paiement de certaines sociétés. On pourrait voir de plus en plus d’entreprises aux prises avec les mêmes problèmes», précise-t-elle.

Rohini Tendulkar vient atténuer les craintes à ce sujet : «Beaucoup de ces pays émetteurs ont une monnaie ancrée au dollar américain. Par ailleurs, une bonne partie de ces obligations proviennent de pays comme la Russie ou le Brésil, qui ont une activité exportatrice solide, ce qui leur offre une protection naturelle contre le risque lié à une dépréciation de leur monnaie», explique-t-elle.

De son côté, Jean Charbonneau note tout de même que souvent, ces mêmes pays ont profité du boom des ressources et que la chute des matières premières les place dans une «situation inconfortable».

Concentration dangereuse

La concentration des émissions d’obligations dans deux secteurs d’activité – les finances et les ressources – est une autre source d’inquiétude pour Karin Anderson.

De 2010 à 2014, les entreprises financières comptaient pour 43 % des émissions en dollars et en euros dans les pays émergents du continent européen, 37 % au Moyen-Orient, 33 % en Afrique, 26 % en Asie et 25 % dans les Amériques.

Pour leur part, les entreprises liées aux métaux, au pétrole et au gaz représentaient 35 % des émissions dans les Amériques, 25 % en Europe, 20 % en Asie, 17 % en Afrique et seulement 8 % au Moyen-Orient, selon le rapport de l’OICV.

Rohini Tendulkar recommande cependant une analyse attentive des données propres à chaque pays. «Souvent, en y regardant de plus près, on se rend compte que certains marchés n’interagissent pas entre eux. Il faut cesser de traiter ce marché comme homogène», plaide-t-elle.